Je
ne sais si je suis le premier à avoir employé
l'expression "écriture praticienne". Peu importe. En tous
cas,
elle est aujourd'hui, plus de quinze ans après la parution de
ma
Note,
assez répandue dans le secteur de la formation permanente.
Dans mon esprit (à l'époque mais encore
aujourd'hui),
cette expression renvoyait à trois configurations
différentes et complémentaires entre elles au
sens où elle font système :
- "écriture praticienne" versus "écriture patricienne",
écriture de ceux qui, faisant partie de la noblesse
universitaire, sont payés pour écrire, comme
disait Guy
Jobert ;
- "écriture praticienne" versus "écriture universitaire",
écriture de praticiens certes, mais soumise au crible de la
norme universitaire (mémoire, thèses, etc.) ;
- "écriture praticienne" versus "écriture
institutionnelle",
écriture qui, en règle
générale, contraint
les praticiens, leur assignant des tâches trop souvent
incompatibles avec l'exercice du droit d'écrire sur sa
propre
pratique.
Il est clair qu'aujourd'hui, ces trois configurations fonctionnent
à plein régime. Et que l'écriture
praticienne,
l'authentique, est plutôt au ralenti... Même dans
les
idées ! Le durcissement des relations de travail ainsi
que l'intensification et la précarisation du
travail
lui-même - tout cela allant ensemble et étant
essentiellement produit par les effets dévastateurs du vent
néo-ultra-libéral qui souffle sur le secteur de
la
formation permanente (y compris dans l'enseignement public) -,
assèchent remarquablement les marges où
l'authentique
écriture praticienne pourrait fonctionner et produire ce
savoir
non savant et peut-être dérangeant produit par les
acteurs
eux-mêmes.
L'espace de ces marges a un nom : "
liberté
solidaire".
Mais peut-être sommes-nous déjà
là dans le
royaume
de l'utopie ?
- L’écriture praticienne,
intervention faite à Lille en novembre 1995 où
l'on
fêtait les Cahiers d'études du CUEEP dans la
foulée
du second colloque européen sur l'autoformation dont j'ai
par
ailleurs assuré l'édition et la publication des actes...
Je
ne sais si je suis le premier à avoir employé
l'expression "écriture praticienne". Peu importe. En tous
cas,
Frédéric
Haeuw,
qui fut mon collègue puis travailla au
sein
d'Algora, aimait bien à reprendre la problématique
de
l'écriture praticienne dans les termes où je
l'avais
esquissée dès 1994,
allant jusqu'à la compléter de quelques suites de
pistes
vers la
problématique de l'autoformation. Témoin son
billet de
janvier 2006, "L'écriture praticienne au service
de la professionnalisation des acteurs de la formation".
Témoin encore Les tribulations de Gianni en APP
que je présentais ainsi, en février 2004, pour
mes
collègues du CUEEP lorsque le petit ouvrage fut
publié :
J'ai
reçu la semaine dernière un petit mot de
Frédéric Hauew - qui disait ceci : "en souvenir
de nos
passionnants échanges sur le concept d'écriture
praticienne, je suis heureux de te faire parvenir un exemplaire de
l'ouvrage Les
tribulations de Gianni en APP,
produit d'un stage d'écriture praticienne que j'ai
animé
en 2003. J'ai redécouvert avec plaisir les joies de
l'écriture partagée et je pense ne pas avoir
trahi le
concept"...
J'ai
lu le document le week-end suivant et vous en rend compte aujourd'hui.
Vous trouverez une présentation institutionnelle de
l'ouvrage en allant vous promener sur le site du réseau des
APP. Pour ma part, je retiens l'heureux retour de Gianni et
la poursuite de la réflexion sur l'écriture
praticienne.
Le
retour de Gianni
Dans
la première partie de L'École,
mode d'emploi, Des "méthodes actives" à la
pédagogie différenciée
(Paris, E.S.F., 1985), Philippe Meirieu nous fait assister aux
"tribulations" de Gianni, renvoyé de l'école et
suivant
un sinueux itinéraire qui le fait passer de chez Freinet en
classe de transition, puis chez les piagétiens, avant de se
retrouver parmi les "libres enfants de Summerhill", puis chez Carl
Rogers... pour être ensuite observé par les
sociologues et
les psychologues... avant d’être finalement
invité
à siéger à une prestigieuse commission
nationale
sur l'éducation... Philippe Meirieu donne non sans humour la
parole aux grands-prêtres des principaux courants de
recherche et
de réforme des dernières décennies.
Gianni,
Meirieu
l'avait rencontré en Italie dans les années
60/70. En
fait, Gianni, c'est l'un des enfants de Barbania, ceux dont Philippe
Perrenoud (1995) dit qu'ils nous ont ouvert les yeux... et les enfants
de Barbania, ce sont les auteurs de l'ouvrage collectif
coordonné par Don Lorenzo MILANI (un singulier
maître
d'école, 1923-1967), Lettre
à une maîtresse d'école [Lettera a una professoressa],
traduit de l'italien par Michel Thurlotte (Paris, Mercure de France,
1968, pour la traduction française - la première
édition italienne originale datant de 1963). Bref, Gianni,
c'est
un adolescent de 14 ans, distrait, allergique à la
lecture... et
dont les professeurs "avaient décidé que
c'était
un voyou"...
L'écriture
praticienne
1985
: Philippe Meirieu
fait de lui son prophète itinérant - celui qui
témoigne et parle pour lui, circulant dans le monde
éducatif... 2003 :
l'adolescent a grandi et fréquente les APP de
Haute-Normandie...
L'atelier d'écriture praticienne a travaillé ici
avec une
des méthodes courantes des ateliers d'écriture :
une
situation littéraire sert de point de départ
à une
invention d'écriture collective. Et cet ancrage à
la
Meirieu - ce dernier, d'ailleurs, préface l'ouvrage - est
très productif : l'écriture est authentiquement
praticienne en ce sens que, non validée par d'universitaires
honneurs, elle n'en produit pas moins un regard qui en apprend sur les
pratiques éducatives, jusqu'à laisser voir, comme
dit le
préfacier, "les fondamentaux de toute éducation
et de
tout apprentrissage". "Gianni est là et il nous dit ce
qu'est
apprendre, ce qu'est grandir, ce qu'est retrouver sa
dignité. Il
faut le suivre, le regarder faire, l'écouter. Il a
infiniment
plus à nous apprendre que bien des traités
savants",
confie-t-il encore.
En
fin d'ouvrage Frédéric revient sur la
question de l'écriture praticienne. Reprenant la discussion grosso modo
là où nous l'avions laissée (cf. le Cahier d'études du
CUEEP n°27, de 1994,
coordonné par Gilles Leclercq), il se livre à un
exercice
d'écriture praticienne à propos de
l'accompagnement de...
l'écriture praticienne.
Mais il n'y a pas que Frédéric ! Mes petits
copains des
Sciences de l'éducation du CUEEP ont mis en place,
disent-ils
eux-mêmes, un «
Institut
universitaire professionnalisé (IUP) intitulé
"des
métiers de la formation", fondé sur l'alternance
et
l'écriture praticienne ». Du
moins est-ce
ainsi que Dominique Delache
présentait les choses à la cinquième
biennale de l'éducation (INRP)...
Mais c'est aussi de cette écriture praticienne que se
recommandent bon nombre de formateurs en IUFM, faisant des
mémoires d'étudiants sur leurs pratiques de stage
un
produit de l'écriture praticienne, ainsi le
pôle sud-est des IUFM
(avec les interrogations d'Alain André, p.19).
Je crois que tout ce beau monde confond
écriture
(universitaire) sur la pratique et "écriture
praticienne"...
Il ne manquerait plus que l'un de nous, que l'un des
salariés de
l'Université se mette à produire de
l'écriture sur
ses pratiques professionnelles, mais sans la soumettre aux fourches
caudines des enseignants-chercheurs, sans en attendre une quelconque
validation ou reconnaissance universitaire que ce soit ! On aura alors
une écriture praticienne universitaire authentique.
Si vous
êtes arrivé sur cette page directement, sans
passer
par la case "Tard-Bourrichon", il vous suffit de ... vous y rendre.
© Bruno
Richardot, octobre 2006
mise à jour août 2010