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Présentations
Clément Janequin (1485-1558) serait le plus
célèbre chansonnier du XVIème
siècle. Ces compositions (plus de 250 chansons, notamment)
étaient, paraît-il, chantonnées dans
toute l'Europe, voire jusqu'au cœur de l'Amérique
centrale... De ses succès, on connaît
En amour y a du plaisir,
ou
Baisez-moy tost,
ou
Sus approchez ces
levres,ou encore
Ou
mettra l'on ung baiser... Mais quelle fut la vie de
Janequin le coquin ?
En fait on n'en sait trop rien ! Des musicologues font
l'hypothèse qu'il fut, dans sa jeunesse, au service d'un
certain Louis Ronsard (le père de Pierre), avec lequel il
aurait
*
accompagné le roi de France lors de l'expédition
que ce dernier entreprit sitôt couronné.
Vous aurez reconnu la
campagne d'Italie que devait clore la bataille de Marignan (
Melegnano), bien
connue des petits écoliers français :
1515,
les
13 et 14
septembre. Deux jours ! Car elle fut longue

- cette bataille qui fit plus de quinze milles victimes,
- cette bataille qui vit le glorieux seigneur Pierre Terrail
de Bayard, gouverneur du Dauphiné, adouber sur le champ le
roi de France,
- cette bataille qui, manifestant la
supériorité de l'artillerie à feu des
Français sur les "piquiers" helvètes, mercenaires
des États italiens, amena les Suisses à conclure
une "paix perpétuelle" avec la France, prémisses
d'une neutralité prolongée,
- cette bataille qui lança la Renaissance
française, sœur cadette de l'italienne...,
cette bataille sera l'occasion d'inspiration d'une des plus
célèbres chansons de notre musicien,
La Guerre,
appelée aussi
La
Bataille,
La
Bataille de Marignan,
La
Bataille française,
La Bataille des Géants,
ou encore
La Chanson
des Suisses, voire
La
Défaite des Suisses - chanson "curieusement
descriptive" comme disait ce bon LAVIGNAC.
Mais relisons plutôt le regretté Jean-Pierre
OUVRARD :
« Si c'est bien
pour célébrer la victoire de François
1er sur les Milanais et leurs troupes suisses,
à Marignan en
septembre 1515, que Janequin écrivit la fameuse Chanson de la Guerre,
l'œuvre ne fut publiée à Paris qu'en
1528, dans les Chansons
de Maistre Clément Janequin. Ce n'est
guère que dans une tablature de luth italienne de 1540
qu'elle apparaît avec le titre, depuis fort
répandu, de Bataglia
de Maregnano : on la trouve aussi souvent
désignée comme Bataille. Janequin
n'est pas le premier à utiliser un argument militaire dans
la musique vocale : déjà au XIVème
siècle de nombreuses caccie
italiennes avaient exploité des appels guerriers ou des
sonneries de fanfare. Le titre A
la bataglia apparaît dans
une œuvre instrumentale de H. Isaac. Mais c'est
surtout dans une chanson anonyme italienne à 3 voix (Ms.
Pixerécourt, Paris, BN, fr.15123) qu'on trouve
déjà un usage imitatif des cris de combat, dans
la manière du "quodlibet" de la fin du XVème
Siècle.
«
Écrite dans le ton de fa - beaucoup d'éditions
modernes à usage choral la transposent en la maj. -, la
chanson de Janequin, à 4 voix dans sa version originale, se
présente en deux parties. La prima pars
constitue un véritable exorde, au cours duquel le ton
impératif se déplace de l'auditeur ("Escoutez
tous gentilz galloys"), spectateur du combat, aux acteurs de la
bataille qui se prépare ("Bendez soudain, gentils gascons,
Nobles, sautez dans les arçons"). Le texte, encore
discursif, avec sa versification presque
régulière (en octosyllabes à rimes
plates) est développé dans un contrepoint qui
conjugue la linéarité des imitations et les
sonneries d'accords parfaits dans le style d'une fanfare ("Escoutez").
Mais, très vite, cette écriture contrapuntique
est animée par une déclamation rapide dans le
style des chansons narratives du compositeur ("Et orrez si bien
escoutez Des coups rués de tous
côtés"). La variété de la
déclamation crée des changements de tempo
auxquels s'ajoutent les oppositions fréquentes de
densité polyphonique et de métrique
(binaire/ternaire) pour faire de ces préparatifs au combat
un spectacle extrêmement vivant, dans lequel on discerne
aussi quelques cris ("Alarme [ ... ] Suyvez la couronne"). La secunda pars est
d'une tout autre nature : de discursif, le texte devient tout d'un coup
essentiellement onomatopéique. Le contrepoint s'y tisse de
bruits divers habilement mélangés. Cette partie
de la Guerre,
qui a fait son succès, véritable
archétype des musiques à programme, tient de la
fricassée. Les cris de la bataille ("Tost à
l'estandart [ ... ] a mort a mort [ ... ] courage") s'y
mêlent au bruit des armes ("von von patipatoc [ ... ] trique
trac [ ... ] zin [ ... ] zin") et aux signaux musicaux. Janequin y
reprend diverses sonneries de trompettes qui devaient être
déjà en usage en 1515 ; ainsi le "Boute selle" du
début correspond exactement à celui que M.
Mersenne mentionne en 1626 parmi "ces chansons de la trompette, dont on
use dans la Milice" (Harmonie
universelle V, p. 264). Diverses batteries
de tambours françaises (comme "l'entrée de la
Marche : Frère le le lan fan") ou suisses ("Port pon port
port") s'y ajoutent, contrepointées par les
mélodies des trompettes ou des fifres. L'Orchésographie
de Th. Arbeau atteste, là aussi, que l'œuvre de
Janequin constitue l'un des premiers témoignages
écrits des signaux militaires. Mais rythmes, bruits et
onomatopées s'articulent de manière à
tisser une trame narrative qui rend réellement
présent le déroulement du combat,
jusqu'à la retraite des Suisses. »
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Dans ses
Baliverneries
et contes d'Eutrapel (1548), Noël Du Fail
écrivit ceci :
Quand la voix et le mot
sont par entrelaceures, petites pauses et intervales rompus, joints
avec le nerf et la corde de l'instrument, la force de la parole et sa
grace y demeurent prins et engluez, sans esperance de les pouvoir
separer, pour demeurer un vray ravissement d'esprit, soit à
joye, soit à pitié. Comme par exemple, quand lon
chantoit la chanson de la guerre faite par Jannequin, devant ce grand
Francois, pour la victoire qu'il avoit eue sur les Suisses, il n'y
avoit celuy qui ne regardast si son espee tenoit au fourreau, et qui ne
se haussast sur les orteils pour se rendre plus bragard et de la riche
taille.
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Le 13 octobre 1515, François 1
er est
déclaré duc de Milan, de Parme et de Plaisance.
La paix est concrétisée avec les Habsbourg par le
traité de Noyon (août 1516) et celui de Cambrai
(11 mars 1517). C'est en 1517 que Luther publiera ses
quatre-vingt-quinze thèses contre les indulgences. C'est le
début de la Réforme...
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* On
peut tout aussi bien - et peut-être plus raisonnablement -
émettre
l'hypothèse que Janequin n'a pas assisté
à l'évènement mais aurait
entendu le témoignage d'authentiques spectateurs.
Escoutez, tous gentilz Galloys,
la victoire du noble
roy Francoys.
Et orrez, si bien
escoutez,
Des coups ruez de tous
costez.
Phiffres
soufflez,
frappez tabours,
Tournez, virez,
faictes vos tours,
Avanturiers, bons
compagnons
Ensemble croisez vos
bastons,
Bendez soudain,
gentils Gascons,
Nobles, sautez dens
les arçons,
La lance au poing
hardiz et promptz
Comme lyons!
Haquebutiers, faictes
vos sons!
Armes bouclez,
frisques mignons,
Donnez dedans! Frappez
dedans!
Alarme,
alarme.
Soyez hardiz, en joye
mis.
Chascun s'asaisonne,
La fleur de lys,
Fleur de hault pris
Y est en personne.
Suivez Francoys,
Le roy Francoys,
Suivez la couronne
Sonnez, trompettes et
clarons,
Pour resjouyr les
compaignons.
Fan frere le le fan
fan fan feyne
Fa ri ra ri ra
A l'estandart tost
avant
Boutez selle gens
d'armes à cheval
Frere le le lan fan
fan fan feyne
Bruyez, tonnez
bombardes et canons
Tonnez gros courtaux
et faulcons
Pour secourir les
compaignons.
Von pa ti pa toc von
von
Ta ri ra ri ra ri ra
reyne
Pon, pon, pon, pon,
la la la . . . poin
poin
la ri le ron
France courage, courage
Donnez des horions
Chipe, chope, torche,
lorgne
Pa ti pa toc tricque,
trac zin zin
Tue! à
mort; serre
Courage prenez frapez,
tuez.
Gentilz gallans, soyez
vaillans
Frapez dessus, ruez
dessus
Fers
émoluz, chiques dessus, alarme,
alarme!
Courage prenez
après suyvez, frapez, ruez
Ils sont confuz, ils
sont perduz
Ils monstrent les
talons.
Escampe
toute frelore
la tintelore
Ilz sont deffaictz
Victoire au noble roy
Francoys
Escampe
toute frelore
bigot.
Galloys :
ni gaulois (qui sont déjà bien loin) ni
français, tout simplement de joyeux drilles.
Orrez :
vous entendrez. Ce terme est attesté, dans cette forme, chez
Villon (
Ballade et
oraison, Ballade finale) et dans le
Roman de la Rose (
Comment Narcisus se mira...,
Cy est le rommant de la
rose... et
L'Amant),
par exemple.
Ruez :
frappés, assénés.
Phiffres
: petite flûte traversière à six trous,
de perce cylindrique étroite, sans clés,
d’une tessiture aiguë de deux octaves (en
ré habituellement). Le fifre, attesté
dès le Moyen-Âge, est un instrument de musique
militaire très répandu début XVIe,
souvent soutenu par le tabour. On goûtera l'ironie de
l'histoire dans ce passage de l'
Encyclopédie
Diderot/D'Alembert :
« Le fifre est une espece de
flûte qui sert au bruit militaire, & qui rend un son
fort aigu : il y en avoit autrefois dans toutes les compagnies
d'infanterie ; mais il n'y en a presque plus aujourd'hui que dans les
compagnies de Suisses ; ce sont eux qui ont apporté cet
instrument en France : il y étoit en usage dès le
tems de François I. »
Orthographes variées : on a, par exemple, '
fiffre' chez
Marot, dans un texte qui fait immanquablement penser au texte de
Janequin, je veux parler de L
'epistre
du Camp d'Atigny, A ma dicte Dame d'Alençon (1526):
De jour en jour, une campagne
verte
Voit on icy de gens
toute couverte,
La picque au poing,
les tranchantes espées
Ceintes à
droit, chausseures decoupées,
Plumes au vent,
& haulx fiffres sonner
Sus gros tabours qui
font l'aer resonner
Une trentaine d'années plus tard, on trouvera '
fifre' chez Du
Bellay (
Les Regretz,
CXIV; comparer avec le CXVI, on on retrouve une
énumération similaire, mais où le
tabourin remplace le
tabour)
:
Ilz se paissent enfans de
trompes et canons,
De fifres, de tabours,
d'enseignes, gomphanons,
Et de voir leur
province aux ennemis en proye.
Tabour,
m. acut.
Est nom general, à
cet instrument Circulaire, lequel és deux fonds est
bouché et couvert de peau d'asne, en sorte de parchemin
tendue par des cordeletes, tout autour, laquelle batue d'un ou deux
bastons par le moyen de l'air enclos entre lesdits deux fonds, et d'une
cordelete tendue à travers le bas fonds d'iceluy instrument,
rend un gros son et esclatant : car et celuy, duquel les tabourineurs
accompagnent leur fleute en fait de danserie, et celuy dont
l'infanterie est conduite en la guerre, et animée
és batailles et assauts, sont appelez Tabours, ou Tambours,
selon le mot ou Italien Tamburo, ou Espagnol Atambor. (Car Atabal est
de gens de cheval, et pur Morisque, combien que du petit Atabal, qu'en
Languedoc on appelle Tymbale, il soit aussi usé en danserie)
et en toutes lesdites quatre langues est mot par onomatopoee, Tympanum.
(Nicot, 1606)
Tabour et tabourin : cf. la remarque avant le texte du Du Bellay
ci-dessus, s.v.
Phiffres.
Avanturiers
: occurrences de ce mot, ainsi orthographié, chez Rabelais
et Du Bellay, par exemple, où il s'agit bien de militaires.
Voilà ce qu'écrivit Lacurne de Sainte-Palaye dans
son
Glossaire
(prospectus de 1756) :
« Fauchet, dans ses Origines,
dit que les Aventuriers qui suivirent dans les guerres d'Italie Charles
VIII, Louis XII, et François I, prirent depuis le nom de
soldats, à cause de la solde qu'ils touchoient. »
La lance au poing
:
« Les Suisses se
logèrent bien près de nous, si bien
qu’il n’y avait qu’un fossé
entre deux. Toute la nuit demeurâmes le cul sur la selle et
la lance au poing. Nous avons été vingt-huit
heures à cheval sans boire ni manger.
»
Lettre de François 1er à sa mère,
après la bataille de Marignan.
Haquebutiers
: on trouve des hacquebutiers [
sic]
dans le
Gargantua
(1534). L'haquebute ou hacquebute est une arquebuse de rampart du
XVème siècle. Vers 1460, elle est
identifiée comme le plus petit calibre de pièce
d'artillerie.
L'arquebuse, selon Hanzelet,
doit avoir quarante calibres de long, & porter une balle d'une
once & sept huitiemes, avec autant de poudre. Le P. Daniel
prétend que cette arme commença au
plûtôt à être en usage sur la
fin du regne de Louis XII. parce que Fabrice Colonne, dans les
dialogues de Machiavel sur l'art de la guerre, ouvrage écrit
à-peu-près dans le même tems, en parle
comme d'une invention toute nouvelle. L'arquebuse, dit-il, qui est un
bâton inventé de nouveau, comme vous savez, est
bien nécessaire pour le tems qui court. L'auteur de la
discipline militaire, attribuée au seigneur de Langis, en
parle de même : la harquebuse, dit-il, trouvée de
peu d'ans en çà, est très-bonne. Il
écrivoit sous le regne de François I. Cette arme
avoit beaucoup de rapport à nos mousquetons d'aujourd'hui
pour le fût & le canon, mais elle étoit
à roüet.
(Encyclopédie
Diderot/D'Alembert)
Frisques mignons
: dans l'inscription mise sur la grande porte de
Thélème (encore le
Gargantua), on peut
lire :
Mes familiers serez et
peculiers:
Frisques, gualliers,
joyeux, plaisans, mignons
En general tous
gentilz compaignons.
Donnez dedans
: pour un usage contemporain bien différent de cette
expression, voyez ce "rondel" de Jean Molinet que Gabriel Coste mis en
musique en 1538 et Pierre Certon en 1570 :
Ceste fillette à
qui le tetin point,
Qui est si gente et a
les yeux si verds,
Ne luy soyez si rude
ne divers,
Mais traictez la
doulcement et à point.
Despouillez vous et
chemise et pourpoint
Et la jectez sur un
lict à l'envers,
Ceste fillette
à qui le tetin poinct,
Qui est si gente et a
les yeux si verds.
Desserrez luy les
genoulx bien à point
En devisant de
plusieurs mots couvers.
Incontinent que les
verrez ouvers,
Donnez dedans et ne
l'espargnez point,
Ceste fillette
à qui le tetin poinct,
Qui est si gente et a
les yeux si verds.
Ne pourrait-on donc voir, dans l'emploi de cette expression, une
facétie de Janequin, par laquelle il mêlerait les
deux registres de l'amour et de la guerre - mélange
semble-t-il par ailleurs assez courant au XVIe siècle ?
Alarme. s. f.
Cri ou autre signal pour faire
courir aux armes. Chaude alarme. fausse alarme. sonner l'alarme. donner
l'alarme. Il se dit aussi, d'Une emotion causée par les
ennemis. L'alarme est au quartier, au camp. les ennemis nous donnent
des alarmes à toute heure. Il se dit aussi, de toute sorte
d'effroy, & d'espouvante. Il a pris l'alarme bien legerement.
vous nous avez donné l'alarme bien chaude, bien des alarmes.
En ce sens on dit encore, Une fausse alarme, pour dire, Une vaine
crainte, une peur sans sujet.
[Dictionnaire de L'Académie française,
1ère édition (1694) s.v. Alarme (Page 53)]
Assaisonne
: amené à un état convenable,
approprié aux circonstances, bien
réglé.
Clarons :
trompette aiguë sans clé ni piston. Ne pas
confondre avec le clairon, apparu en France vers 1825,
héritier du claron.
A l'estandart
: depuis le XVème, il n'existe plus que deux
emblèmes militaires : l'étendard pour les gens
d'armes à cheval, de très grande dimensions
(jusqu'à 6 m de long !), à double queue et le
pennon pour les hommes d'armes à pied, plus petit,
à une seule queue.
Là aussi, orthographe assez variée (comme pour
phiffre) : Marot
(1526) écrit
estandard
ou
estandar,
Rabelais (1532)
estandart...
Boute selle
: signal de trompette donnant l'ordre de monter à cheval.
Mersenne, dans son Harmonie universelle (1626), donne la figure :
Gens d'armes
à cheval : depuis 1439, l'armée
royale permanente est composée de "gens d'armes
à cheval" et de l'infanterie des francs archers
(créée ainsi par Charles VII).
Bombarde.
s.f.
On appeloit ainsi certaines
machines de guerre, dont on se servoit autrefois pour lancer de grosses
pierres ; & l'on a donné ce nom à
quelques-unes des premières pièces d'Artillerie,
depuis l'invention de la poudre.
[Dictionnaire
de L'Académie française,
4ème édition (1762) s.v. Bombarde (Page 187)].
"Faire bombardes et canons"
in Vuatelet de tous
mestiers (Versailles,
bibliothèque municipale Gouget in-8 164 [anonyme du
XVème]), ligne 79 ou 80 selon les
éditions.
A l'artillerie fut commis le
Grand Escuyer Toucquedillon, en laquelle feurent contées
neuf cens quatorze grosses pieces de bronze, en canons, doubles canons,
baselicz, serpentines, couleuvrines, bombardes, faulcons, passevolans,
spiroles et aultres pièces.
(Rabelais, Gargantua,
chap.XXVI)
Courtaux,
courtaults
(ou
courtauds
?) : grosses bombardes de siège,
i.e. machines de
guerre de la famille des canons, mais aussi instruments de musique, de
la famille des hautbois.
Voyez, dans
Le Rozier
des Guerres (qui fut attribué à
Louis XI lui-même), cet étonnant extrait du
Monologue du Franc-Archer de
Bagnolet (qui fut attribué à
François Villon), où l'on joue sur le mot
courtault :
Et dames de joindre les mains,
Quand ilz virent
donner l'assault.
Les ungs se servoyent
du courtault
Si dru, si net, si sec
que terre.
Et puis, quoy? parmy
ce tonnerre,
Eussez ouy sonner
trompilles,
Pour faire dancer
jeunes filles
Au son du courtault,
haultement.
Quand j'y pense, par
mon serment!
C'est vaine guerre
qu'avec femmes;
J'avoye toujours
pitié des dames.
Veu qu'ung courtault
tresperce ung mur,
Ilz auroyent le ventre
bien dur,
S'il ne passoit
oultre...
Par ailleurs, le sens générique de courtault
(court) est attesté très tôt, dans des
expressions désignant des chevaux courts sur patte, des
chiens, etc. (Marot ou Rabelais, par exemple).
Faulcons
: à l'époque, on décrivait la taille
d'un canon par le poids du boulet qu'il était
censé envoyer. Le faucon lançait des boulets
d'une livre. Un petit canon, donc, qu'on retrouve chez Rabelais (cf.
plus haut s.v. Bombarde).
Compagnon,
m.
Est celuy qui a hantise
ordinaire et compagnie à un autre, et est terme correlatif
à luy mesmes, le Picard dit Compaing, comme l'Italien
Compagno, et compagnon par diminutif. Le mesme Picard, dit paignon en
diminutif de pain, pour un petit pain : qui fait qu'aucuns estiment
compagnon estre dit à cause de la commensalité
qui est entre deux qui s'entrefont compagnie. Autres le tirent du
Latin, Compaganus, ce qui n'a point de nez, l'Espagnol dit Compannero.
De mesme façon on dit absoluëment, tel est mon
compagnon en terme indefini, de celuy qui nous fait toute compagnie, et
avec adjonction, tel est mon compagnon d'estude, d'armes, de guerre,
d'apprentissage, en terme coarcté à certaine
maniere de compagnie : on appelle aussi compagnon, un artisan qui n'est
encores maistre, ains besongne sous les maistres, qu'on dit autrement
Compagnon de mestier.
Compagnon de guerre, est celuy qui est en une
mesme expedition et armée, et sous mesme enseigne avec un
autre : Car comme dit a esté, ce mot compagnon est
relatif.
Commilito. Il est dit sous mesme enseigne, pourtant que on n'appellera
pas compagnons de guerre tous ceux d'une armée entre eux :
veu que ce mot compagnon demande une partie et conformité de
qualitez entre deux, et ne peut bonnement le pieton appeler l'homme
d'armes son compagnon de guerre, et beaucoup moins les chefs et
capitaines, et si bien aux concions et harengues militaires, tant
latines, que françoises, on trouve que les chefs ayent
usé de ce mot Commilitones, et mes compagnons, cela ne
conclud rien contre la naifveté dudit mot, et cognoit-on
assez, que c'est un abbaissement flateur impropriant ledit mot, pour
animer les gens de guerre. Compagnon d'armes, Semble qu'il signifie et
importe quelque chose plus eminent, et de plus de grandeur que
Compagnon de guerre, ce qui est à presumer, par ce qui est
recité au 6. chap. du 3. livre d'Amad. où Galaor
parlant de Norandel nouvellement fait chevalier fils bastard du Roy
Lysvart fait cette requeste audit Lysvart. S'il vous plaist me faire
tant de bien de me le donner pour compagnon, j'estimeray le service que
je vous desire faire pour tresbien employé. Comment
respondit le Roy. Vous voudriez-vous charger d'un garçon, et
luy faire du premier coup cet honneur, ne cognoissant encore le ply
qu'il doit prendre, mesmes que je ne sçache nul chevalier en
la grand Bretaigne qui ne s'estimast bien-heureux d'avoir le bien que
vous luy presentez : et peu apres, Pour autant Sire, dit Galaor, que je
suis chevalier, et veux prier Norandel de m'ottroyer ce que je luy
demanderay, qui est que luy et moy soyons un an entier compagnons,
durant lequel ne nous separerons, si mort ou prison n'en est cause,
etc. Et ceux qui s'estoient ainsi entredonnez compagnie, appeloient de
là en avant l'un l'autre mon compagnon, et comme les
chevaliers demeurent par telle maniere compagnons d'armes, ainsi les
Roys entre-eux sont freres d'armes, pour laquelle cause ils
s'entrappellent freres.
[Nicot, 1606]
Horion.
s. m. (l'H s'aspire.)
Coup rudement
deschargé sur la teste, ou sur les espaules. Ce mot est
vieux & ne se dit plus qu'en raillerie. Il a receu un vilain
horion.
[Dictionnaire de
L'Académie française,
1ère édition (1694) s.v. Horion (Page 571)]
Gallans :
bons compagnons. Souvenez-vous de Villon (1456) :
Ou sont les gracieux galants
Que je suivoie ou
temps jadis,
Si bien chantants, si
bien parlants,
Si plaisants en faits
et en dits?
Escamper.
v. n. (l's se prononce)
Se retirer, s'enfuïr
en grand'haste. Il craignit d'estre battu, il escampa. Il est bas
[i.e. en
langue populaire].
[Dictionnaire de
L'Académie française,
1ère édition (1694) s.v. Escamper (Page 164)]
Toute frelore
= tout est perdu (certains éditeurs de La bataille
donne "tout est ferlore", voire "tout e ferlor" : cf. le
verloren de l'allemand, langue des Suisses qui combattent, aux
côtés du Duc de Milan, l'armée
française). Une traduction allemande actuelle de ce "
Toute frelore bigot"
[
pour bigot, cf. plus loin, s.v.
Bigot(t)] donnerait "alles (ist)
verloren, bei Gott". Le terme '
frelore'
(et non 'ferlore' - qu'il n'y a aucune raison de
préférer à 'frelore') est clairement
attesté dans ce sens, par exemple, dans
Maistre Pathelin
(sc.9) publié à la fin du XVe siècle,
et encore chez Rabelais (plusieurs occurrences). Au chapitre XVIII du
Quart Livre, on lit
même "
Tout
est frelore bigoth", où Rabelais cite
peut-être Janequin de dix ans son aîné :
le
Quart Livre
est publié une vingtaine d'années
après la
Bataille
de Marignan - que le bon Rabelais semble
connaître comme en témoigneraient les jeux
phoniques "
nac petitin
petetac, ticque, torche, lorne" de la
harangue de maistre Janotus de
Bragmardo faicte à Gargantua pour recouvrer les cloches,
à la fin du chapitre XIX du
Gargantua.

Par
ailleurs, on appelait toute-frelore
une bassedance à
quatorze quaternions, qui tiennent cinquante six mesures &
battements du tabourin [
Orchesographie et traicte en
forme de dialogue, par lequel toutes personnes peuvent facilement
apprendre & practiquer l'honneste exercice des dances. Par
Thoinot Arbeau demeurant a Lengres. Chapitre "Autres
basses-dances communes et irrégulières". Ouvrage
publié en 1589]. La toute-frelore, comme
toutes les basses-dances, s'oppose aux danses où l'on saute.
C'est une danse lente et calme.
On comprendra aisément alors le contraste saisissant entre
l'excitation du combat que l'écriture de Janequin rend si
bien et l'idée de soldats entreprenant une danse "terre
à terre", à pas lents et glissés,
comme rampant pour échapper à un sort plus triste
ou par simple abandon de toute force, après deux jours de
combat...
Contraste d'autant plus saisissant que le premier terme en est
formulé on ne peut plus clairement par le début
de l'octosyllabe (
Escamper
signifie quelque chose comme "déguerpir" et
relève de l'excitation de la bataille). Ainsi c'est
l'ensemble du dernier octosyllabe de la bataille qui porte haut le
comique de contraste, disant : "déguerpis lentement !".
Imaginez seulement la scène ! Vous aurez un effet similaire
à celui que produirait la narration d'une action
très rapide avec un accent caricaturalement suisse...
Enfin on mesurera la cruauté de l'auteur qui utilise les
mots de la langue de ceux dont il se moque (suisses germanophones) pour
le
plaisir d'un jeu de mots à haute condensation
sémantique.
Bigot(
t) : par dieu !
Terme d’injure depuis le XIIe siècle, le sens
péjoratif (dévot) actuel datant du XVe. Ici,
c'est bien sûr l'injure : cf. ci-dessus s.v.
Toute
frelore.
La partition de
La
Bataille de Marignan
de Janequin, que j'ai gravée pour l'ensemble vocal
Coeli
& Terra et l'association
La Chapelle
des Flandres, est
là. Éditée
en fa à l'époque de Janequin, cette musique est
aujourd'hui couramment remontée d'une tierce et donc
publiée en la. Elle est ici en sol.
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par la case "Tard-Bourrichon", il vous suffit de ... vous y rendre.
© Bruno
Richardot, octobre 2006