Bruno RICHARDOT









L’ITINÉRAIRE ESCHATOLOGIQUE



D’ ER LE PAMPHYLIEN



DANS LA RÉPUBLIQUE DE PLATON































Année 1976/1977 Mémoire de maîtrise préparé
sous la direction de Monsieur le
Professeur Pierre AUBENQUE.
Université Paris-IV

























"Die große, die unvergleichliche Kunst, gut zu lesen"

F.NIETZSCHE

Der Antechrist, §59











"Cet art vraiment libéral de la lecture"

P.M.SCHUHL

"Savoir lire"

Annales de l’Université de Paris, 1952, p.490



Introduction*



« Depuis les descentes aux enfers chez Homère et Virgile jusqu’à l’épopée de Dante, que de précisions et de minutie dans l’arbitraire le plus fantaisiste ! quel foisonnement de détails dans l’ignorance ! "Ἀναβιοὺς δ’ἔλεγεν ἃ ἐκεῖ ἴδοι", lisons-nous au dixième livre de la République à propos d’Er le Pamphylien ! "Étant ressuscité il raconta ce qu’il avait vu là-bas". Or il n’avait rien vu du tout, parce qu’il n’y était jamais allé ; il invente au fur et à mesure tout ce qu’il raconte… Mais précisément pour cette raison, le Pamphylien est intarissable. Platon, au moins, racontait un mythe… »

La pertinence de ce propos de V.Jankélévitch est à peu près nulle(a). Le lecteur moderne n’entend pas trouver dans le mythe d’Er le compte-rendu objectif d’un voyage réel. Er n’est pas Marco Polo, son récit n’est pas un documentaire. Certes Platon croit fermement en la réalité de l’au-delà : il ne s’agit pas de cela, mais de savoir ce que nous, lecteurs du XXème siècle, avons à faire du mythe d’Er qui a été écrit il y a quelque vingt trois siècles et demi. De ce mythe, « ce qui existe, d’abord, c’est le texte, et rien que lui »(b). Et quand même le mystère de l’au-delà nous serait présence angoissante, curiosité intolérable, il faudrait encore, pour calmer l’angoisse et satisfaire la curiosité, être à même de lire le mythe dans son texte. Au commencement, il y a donc la lecture, la lecture du texte.

Mais qu’est-ce qu’un texte ? Plastiquement, le texte coïncide avec un ensemble de mots spatialement déterminé. Ainsi le texte du mythe d’Er coïncide avec un ensemble qui couvre huit pages du deuxième volume de l’édition d’Henri Estienne (Genève, 1578). Le texte a une histoire, qui commence au moment où l’auteur l’écrit et finit au moment où nous le lisons ; il arrive que le lecteur doive choisir entre deux ou plusieurs "lectiones". De ce point de vue, le mythe d’Er n’offre pas trop de difficultés ; le texte en est à peu près sûr.

Dans sa réalité, le texte est ce que nous pourrions appeler un appareil linguistique qu’il ne faut pas confondre avec l’ensemble des mots qui le supporte et avec lequel il coïncide seulement. Cet ensemble est fixé de façon quasi définitive, possède une forme déterminée ; ses éléments sont eux-mêmes déterminés dans leur forme. « Le texte "travaille", à chaque moment et de quelque côté qu’on le prenne ; même écrit (fixé), il n’arrête pas de travailler, d’entretenir un processus de production. Le texte travaille quoi ? La langue »(c). Le texte, en effet « redistribue l’ordre de la langue »(d). « La production se déclenche, la redistribution s’opère, le texte survient, dès que, par exemple, le scripteur et/ou le lecteur se mettent à jouer avec le signifiant, soit (s’il s’agit de l’auteur) en produisant sans cesse des "jeux de mots", soit (s’il s’agit du lecteur) en inventant des sens ludiques, même si l’auteur du texte ne les avait pas prévus […] ; le signifiant appartient à tout le monde ; c’est le texte qui, en vérité, travaille inlassablement, non l’artiste ou le consommateur »(c). Nous revendiquons donc le droit de décrire quelques faces de l’activité du texte qui nous intéresse. Il ne s’agit certes pas d’annuler le commentaire qui, de Numenius(e) aux éminents universitaires d’aujourd’hui, s’est inscrit en marge de ce texte. Nous entendons compléter ce commentaire presque deux fois millénaire ; notre mémoire le suppose, même et surtout lorsqu’il entre en conflit avec lui. Il est bien évident que, si ce commentaire n’avait pas existé, nous n’aurions rien pu écrire de ce mémoire - qui n’est donc qu’un commentaire (partiel) en complément. « Le commentaire n’a pour rôle, quelles que soient les techniques mises en œuvre, que de dire enfin ce qui était articulé silen­cieusement là-bas [nous soulignons]. Il doit, selon un paradoxe qu’il déplace toujours mais auquel il n’échappe jamais, dire pour la première fois ce qui cependant avait été déjà dit et répéter inlassa­blement ce qui pourtant n’avait jamais été dit. Le moutonnement indéfini des commentaires est travaillé de l’intérieur par le rêve d’une répétition masquée : à son horizon, il n’y a peut-être rien d’autre que ce qui était à son point de départ, la simple récitation »(f).

Le point zéro du commentaire, c’est le texte ; il faut donc y revenir. Parmi les concepts élaborés par J.Kristeva(d), il en est deux qui nous intéressent vivement : le texte comme "productivité" - concept déjà évoqué plus haut - et comme "intertexte". « Tout texte est un intertexte ; d’autres textes sont présents en lui, à des niveaux variables, sous des formes plus ou moins reconnaissables : les textes de la culture antérieure et ceux de la culture environnante ; tout texte est un tissu nouveau de citations révolues ». Cette intertextualité « ne se réduit évidemment pas à un problème de sources ou d’influence » ; il s’agit de « citations inconscientes ou automatiques, données sans guillemets »(c). Nous tenterons, dans le corps de notre mémoire, une nomination et une pesée des citations qui fourmillent dans le mythe d’Er. Elles peuvent être littéraires, politiques, religieuses, etc. Le risque d’une telle entreprise est la surdétermination du texte. Mais, à bien regarder, ceci n’est un risque que pour celui qui voudrait que le texte se referme sur lui-même après avoir livré sa signification ultime et unique. Il semble que le sens dernier et unique soit, dans l’analyse textuelle, un non-sens. Un texte ne se referme pas : inlassablement, il vit, respire et demande qu’on l’ausculte, c’est-à-dire qu’on l’écoute avec attention et même qu’on l’épie. Notre commentaire sera donc une auscultation du texte, mais une auscultation qui diffère de celle que pratique le médecin en ce qu’elle n’a pas pour but de dépister un mal. Le médecin écoute le malade respirer maladivement ; nous écouterons le texte res­pirer vitalement. Derrière les mots, dans les mots, est un souffle de vie qu’il faut suivre. Ce souffle, c’est le logos. « Par où le logos, tel un souffle, nous porte, par là il nous faut aller », dit Socrate(g1).





Mais, nous dira-t-on, le texte qui vous occupe est un mythe ; or le logos, la raison, « condamne le mythe, […] l’exclut et le chasse »(h) ! Platon lui-même ne dit-il pas que le mythe, dans ses grandes lignes, n’est que mensonges, « malgré les quelques vérités qui ont pu s’y immiscer »(g2) ? Certes, mais d’où viennent ces vérités ? Se sont-elles immiscées dans le mythe par mégarde ? par erreur ? Ainsi le vrai se tromperait de lieu et irait se loger dans un espace à lui interdit ! Joli thème en vérité ! Que cherche-t-on?, le vrai ou son domicile obligé ?

En fait, lorsque Platon condamne le mythe, il ne s’agit pas du mythe en général, mais des mythes que colporte l’aède grec. Et, si ces mythes sont condamnables, ce n’est pas tant parce qu’ils sont des mythes, que pour ce qu’ils racontent. Comment expliquer, sinon, que Platon ait écrit « tant de my­thes »(i) ? Seraient-ils autant de jeux, d’amusements ? Dans l’affirmative, force nous est de recon­naître que les trois quarts du Parménide en sont aussi(j), de même que tout dialogue(k) - et d’en dédui­re que la totalité du texte platonicien est passible du même traitement infamant. Soyons sérieux et disons plutôt qu’entre le mythe (en tant que tel, comme forme de discours) et le logos, il y a non pas "coupure consommée"(l), comme on voudrait nous le faire croire, mais passage et continuité.

Pour appuyer ce dire, il faut parler de la conception platonicienne de l’histoire. Bien qu’elle ne « donne lieu à aucun exposé suivi »(m), elle n’est pas trop difficile à envisager dans son intégralité. Le temps de l’histoire est cyclique : « à intervalles réglés »(n1), un cataclysme survient qui ne laisse survivre que quelques hommes « illettrés et incultes »(n2). Ces hommes ont quelques souvenirs de l’époque antécataclysmique, époque où le niveau de civilisation était élevé. À la suite de ce cataclysme, ce niveau brusquement chute ; il ne reste du logos de l’époque antécataclysmique que des bribes, des miettes, des éclats ; ce sont les mythes à leur état premier, que les poètes bientôt vont recueillir (plus ou moins) pêle-mêle. Donc, premier temps de l’époque postcataclysmique : les mythes en miettes ; deuxième temps : la poésie comme recueil plus ou moins organisé de mythes. Le troisième temps est celui de la théologie, réflexion (encore mythique) sur la poésie mythique(o). Ensuite vient le temps des (sept) sages, dont la sophia est une production de préceptes moraux tirés de la théologie. À un certain moment, cette sophia devient l’occasion d’un conflit. D’un côté, la sophistique considère le fond de la sophia – qui est "doxa" – comme la totalité transparente du logos, du vrai. De l’autre, la philosophie (Socrate) considère ce fond comme insuffisant et ressent la nécessité de la dialectique comme propédeutique en vue du logos. Enfin vient Platon, qui poursuit l’entreprise socratique préparant l’avènement du logos dans sa transparence. Pour lui, le mythe est à la fois remémoration et anticipation du logos ; il intervient lorsque la dialectique déclare forfait : pour anticiper un achèvement qui n’a pas encore eu lieu et qui ne peut encore avoir lieu, Platon fait un saut, il en vient au mythe – non plus le mythe naïf et, parfois, pédagogiquement dangereux, mais un mythe qui tient devant les exigences de la dialectique, un rébus dont le déchiffrement, la décriptation donne une préfiguration de la cohérence du logos, un discours vrai mais anticipé où s’exprime immédiatement la tension de l’oubli et du souvenir.

Ce rapide et bien incomplet résumé de la conception platonicienne de l’histoire nous montre que le mythe, pour Platon, n’est pas un pur amusement de poète, mais fait partie du plan général de la philosophie comme recherche du logos transparent ; qu’il est une anticipation du logos avec les moyens de la tradition. Le logos instauré marque le temps de Cronos ; la recherche du logos, le temps de Zeus. Le mythe platonicien s’installe dans l’entre-temps : comme énoncé, il date du temps de Zeus ; comme remémoration, du temps de Cronos antécataclysmique (en passant par les recueils poétiques) ; et comme anticipation, du temps de Cronos à venir – temps auquel l’âme aspire, temps de l’unité.

Ce qu’il faut retenir de tout ceci, c’est que le mythe platonicien contient, en tant que tel, des éléments mythiques traditionnels et que, par conséquent, son texte est, plus que tout autre texte, un « tissu nouveau de citations révolues »(c). C’est pourquoi nous avons, à plusieurs reprises, recherché l’origine de ces citations et, surtout, leur contexte originel – étant entendu qu’une citation n’est pas seulement le rappel du mot ou du texte cité pour lui-même, mais aussi l’évocation de ce qui entoure ce mot ou ce texte dans son lieu d’origine.





Dans le mythe, avons-nous dit, s’exprime la tension de l’oubli et du souvenir. Or le lieu privilégié où joue cette tension, c’est l’âme – qui se souvient et oublie, qui habite entre l’être et le devenir, entre l’un et le multiple. L’âme est donc proprement, d’elle-même, sujet mythique ; elle met dans le mythe son propre statut, son propre être d’intermédiaire. La dialectique, qui s’occupe uniquement de réalités idéales, ne peut parler de l’âme, réalité intermédiaire ; c’est le mythe qui s’en charge. Les mythes authentiques concernent l’âme et sont eschatologiques.

Dire d’un mythe qu’il est eschatologique est, à la limite, une tautologie. Ce n’est donc pas par là que le mythe d’Er peut être distingué des autres mythes platoniciens. C’est plutôt à l’intérieur de l’eschatologie qu’il faut placer notre attention pour comprendre ce que le mythe d’Er a de spécifique. L’eschatologie platonicienne apparaît, pour le plus important, dans quatre dialogues : le Gorgias, le Phédon, la République et le Phèdre. Les historiens de la philosophie platonicienne qui se sont attelés à l’étude de cette eschatologie ont, semble-t-il, oublié de marquer la spécificité du mythe d’Er (et des autres mythes) au sein de l’ensemble, alors même qu’ils prétendaient et croyaient le faire(p). La meilleure façon de percevoir l’originalité de chaque mythe, hormis l’analyse interne comparée, est sans doute l’analyse de ce qui l’unit à l’ensemble du dialogue dont il fait partie. C’est ainsi qu’avant même d’entreprendre une lecture serrée et minutieuse du mythe d’Er lui-même, nous pensions que son originalité résidait dans son caractère politique.

Quelle ne fut pas notre joie, lorsque nous ouvrîmes le livre récent de J.M.Benoist, où nous lûmes qu’une « lecture politique » du mythe d’Er ne pouvait qu’induire « à un sens pertinent » et que l’auteur promettait de s’efforcer « de faire, cette lecture » afin de trouver, dans notre mythe, « les linéaments d’une problématique politique »(q). Mais « voilà que de la merveilleuse espérance j’étais, camarade, emporté bien loin »(r) ! L’auteur a oublié sa promesse et ne parle plus une seule fois du mythe d’Er dans son ouvrage! Cruelle désillusion! Tout restait donc à faire, depuis le commence­ment.



Notes de l’introduction

(a) V.JANKELEVITCH La mort, Flammarion, Paris 1971,pp.375sq.
[NB de 2019 : On pardonnera l’outrecuidance du propos de l’étudiant d’un peu plus de vingt ans que j’étais à l’époque !]

(b) T.TODOROV "La lecture comme construction", Poétique 24, 1975 (Seuil), p.417.

(c) R.BARTHES "(Théorie du) Texte", Encyclopaedia Universalis, vol.15 (I973), p.1015.

(d) J.KRISTEVA Σημειωτικἠ. Recherches pour une sémanalyse, Paris 1969. Cité par R.Barthes art.cit.

(e) Cf. PROCLUS Commentaire sur la République, trad.A.J.Festugière, Vrin, Paris 1970, tome III, p.40.

(f) M.FOUCAULT L’ordre du discours, Gallimard, Paris 1971, p.27.

(g) PLATON République, 1) III,394d8-9 ; cf. aussi Lois II, 667a9 ; 2) II,317a5sq.

(h) P.RICOEUR "Mythe", Encyclopaedia Universalis, vol.11 (1971), p.531.

(i) V.BROCHARD (cf. l’index bibliographique : Auteurs modernes), p.49. Cf. infra note 491.

(j) PLATON Parménide, 137b2. Cf. République, VII, 536c1 sqq.

(k) Cf. P.M.SCHUHL "Les mythes de Platon", (cf. l’index bibliographique : Auteurs modernes), p.29. Cf. aussi Platon et l’art de son temps (cf. l’index bibliographique : Auteurs modernes), p.61 sqq.

(l) J.P.VERNANT "Raisons du mythe", Mythe et société en Grèce ancienne, (cf. l’index bibliographique : Auteurs modernes), p.203.

(m) F.CHÂTELET La naissance de l’Histoire, Les éditions de minuit, Paris 1962 ; repris en 10/18, p.333. Pour une philosophie de la civilisation, cf., outre le Politique, Timée 21e-23c, Critias 109d sqq. et Lois III, 677a sq.

(n) PLATON Timée, 1) 23a7 ; 2) 23a8-b1.

(o) Cf. V.GOLDSCHMIDT "Theologia", Revue des Études Grecques, LXIII, 1950 ; repris in Questions platoni­ciennes (cf. l’index bibliographique : Auteurs modernes)

(p) Ainsi A.DOERING "Die eschatologischen Mythen Platos", Archiv für Geschichte der philosophie,VI(I893) ; voir aussi l’ouvrage de R.SCHAERER cité dans notre index bibliographique (Auteurs modernes), ouvrage qui, lui, ne prétend pas présenter l’originalité de chaque mythe eschatologique platonicien.

(q) J.-M.BENOIST (cf. l’index bibliographique : Auteurs modernes).

(r) PLATON Phédon, 98b7, trad.L.Robin (Pléiade).















Sommaire

Introduction 3

Sommaire 8

L’ITINÉRAIRE ESCHATOLOGIQUE 9

La préparation du mythe 9

La structure du mythe 18

Essai de reconstitution de l’eschatologie platonicienne 31

LE PANORAMA 39

L’axe 40

L’harmonie 46

Essai de reconstitution scénique 60

LA CITÉ CÉLESTE 75

La fonction guerrière 76

La fonction religieuse 86

La fonction politique 87

Conclusion 95

Annexes (remises au goût du jour) 96

Le texte du mythe d’Er (éd. Chambry) 96

Index bibliographique 102

Table analytique des matières 109



L’ITINÉRAIRE ESCHATOLOGIQUE

La préparation du mythe

Le soleil et la mort

Le mythe est ouvert par un jeu de mots qui oppose ἀλκίνου et ἀλκίμου1. Socrate indique par là que le mythe qu’il va raconter n’est pas une histoire prolixe et fastidieuse - sens que "récit à Alki­noos" avait fini par prendre, désignant l’ensemble des chants IX à XII de l’Odyssée2. Mais Socrate semble aussi et surtout nous prévenir que ce qui va suivre (le mythe lui-même et son commentaire philosophique) n’a rien de commun avec l’eschatologie homérique, telle qu’elle apparaît au chant XI de l’Odyssée, où Ulysse, poursuivant le récit de ses aventures devant l’assemblée des Phéaciens réunis autour de leur roi Alkinoos, raconte son voyage au pays des morts.

Cette eschatologie fait de l’Hadès non seulement une réalité, mais une réalité terrifiante3. Après avoir relevé, au livre III de la République, ce tort fondamental de la pensée homérique de la mort, PLATON cite, à titre d’exemples, sept passages, extraits des deux épopées homériques, où les morts sont un peuple éteint, consumé, un peuple de cendres froides ; où l’âme du mort n’est que fumée, vapeur, ombre sans consistance ni force, mais gardant le souvenir et surtout le regret de l’existence terrestre4. La première de ces sept citations pose un rapport entre la plus misérable des vies et la plus royale des morts - rapport de préférence à l’avantage de la plus misérable des vies. Or cette citation se retrouve en un autre passage de la République, passage topique, où les termes ne sont pas les mêmes5. Là le premier terme, c’est la vision du soleil et le second la vision des ombres ; le premier terme, c’est le « lieu intelligible »6, le second le lieu sensible. La préférence, dans ce cas, n’est autre que le désir de παιδεία7.

Cette double citation de ce passage de l’Odyssée devait être notée parce qu’elle semble témoigner de la volonté platonicienne de renverser le rapport homérique. L’Achille d’HOMÈRE, tout comme l’évadé de PLATON, veut fuir l’ombre pour la lumière. Mais la question est de savoir où est l’ombre et où est la lumière. C’est en répondant à cette question que PLATON renverse le rapport : ce qu’HOMÈRE croit être le domaine de la lumière n’est que celui de l’ombre. Il faut donc que ce qu’il prend pour le domaine de l’ombre soit celui de la lumière et que, par conséquent, la mort ne soit pas terrifiante. C’est pourquoi l’eschatologie platonicienne sera fondamentalement différente de l’escha­tologie homérique. Avec HOMÈRE la mort est du côté de l’ombre, avec PLATON elle sera du côté de la lumière. C’est ce renversement qu’indique Socrate en faisant le jeu de mots entre ἀλκίνου et ἀλκίμου.

Une problématique homérique

Nous ne nous sommes attachés, jusqu’à présent, qu’à l’un des termes du jeu de mots, le premier qui, nous l’avons vu, renvoie à l’eschatologie homérique qu’il s’agit de remplacer par une eschatologie où la mort ne soit plus à craindre. Il semble donc que le second terme du jeu de mots fasse référence à cette eschatologie nouvelle. Dans ce cas, ἂλκιμος signifiera θανάτου ἀδεής8. Il reste que ce terme est aussi un mot homérique : comme adjectif, il qualifie l’homme qui fait preuve d’ἀλκή, le guerrier vaillant, vigoureux, le soldat qui n’est pas effrayé et ne fuit pas9 ; comme nom propre, ce mot désigne un compagnon et fidèle serviteur d’Achille10 qui est qualifié d’ὂζος Ἂρηος – expression fréquente dans le texte homérique pour parler d’un guerrier de valeur11. Et lorsque l’on sait que cet Alkimos est, avec Automédon, celui qu’Achille aime le plus après la mort de Patrocle12, on peut fonder cette affection – connaissant la psychologie d’Achille – sur la vaillance de ce guerrier au combat.

Or être vaillant au combat, c’est braver la mort, ne pas craindre de mourir pour défendre son camp, ne pas fuir devant l’ennemi donc devant la mort13.0n voit bien que le second terme du jeu de mots n’est pas seulement une allusion anticipée à ce que nous avons appelé plus haut l’eschatologie nou­velle ; il fait d’abord référence à une conduite qui, dans la société homérique – société guerrière –, constitue une valeur importante. Par conséquent l’allusion explicite à HOMÈRE, manifestée par le jeu de mots, ne signifie pas purement et simplement un rejet platonicien de l’eschatologie homéri­que, mais signifie que PLATON entend, par cette allusion, situer le mythe d’Er à l’intérieur de la problématique homérique.

En fait, on peut penser qu’il s’agit moins de la problématique homérique elle-même que du débat engagé par les sophistes, et peut-être avant eux14, autour des textes homériques officialisés dans leur forme depuis le VIème siècle. Une des manifestations les plus claires de ce débat est sans doute l’Hippias mineur où l’on voit qu’à l’époque de PLATON, on opposait, pour en comparer la valeur morale, l’lliade et l’Odyssée, en même temps qu’Achille et Ulysse15.

Les deux termes du jeu de mots font donc tous les deux référence à HOMÈRE, et s’opposent l’un à l’autre comme l’eschatologie larmoyante et sombre de l’Odyssée (chant XI) à la morale guerrière de l’Iliade16. Il serait en effet simpliste de croire que le jeu de mots oppose les valeurs homériques et les valeurs platoniciennes, qu’il y a d’un côté HOMÈRE et de l’autre PLATON qui le rejette en bloc. Il est plus juste de dire que ce jeu de mots oppose deux attitudes qui ont toutes deux leur expression chez HOMÈRE, et que PLATON veut instituer une attitude face à la mort qui fasse d’Achille non plus un personnage contradictoire (vaillant devant l’ennemi et la mort, lâche dans la mort), mais un homme harmonieux dans les divers moments de sa personnalité.

La virilité

Le peu que nous connaissons d’Er, et ce que nous venons de voir, nous laisse penser qu’il est un tel homme, vaillant non seulement devant l’ennemi et la mort, mais aussi dans la mort. C’est lui qui en effet, une fois revenu à la vie, va dire « ce qu’il a vu là-bas »17 ; c’est lui qui va décrire la mort selon le schéma de l’eschatologie platonicienne. La question qu’il faut se poser maintenant est de savoir à quel( s) titre(s) Er est habilité à proférer une telle parole.

Or que savons-nous qui puisse nous apporter les éléments d’une réponse ? Er est un ἂλκιμος ἀνήρ mort sur le champ de bataille18. Nous avons vu ce que signifiait ἂλκιμος dans son emploi homérique et nous savons ce que ce terme contient dans son emploi platonicien où il figure comme élément d’un jeu de mots. Mais que signifie ἀνήρ19 ?

HOMÈRE donne déjà à ce mot un sens fort et l’associe à ἂλκιμος. Ainsi exhorte Ménélas20 : « ᾦ φίλοι, ἀνέρες ἕστε, καί ἂλκιμον ἦτορ ἕλεστε ». Deux vers plus loin, ἀνήρ désigne le combattant qui ne fuit pas mais stimule par sa vaillance celui qui combat à ses côtés. C’est pourquoi l’expression ἂλκιμος ἀνήρ est, chez HOMÈRE et si l’on donne à ἀνήρ son sens homérique fort, pléonastique. La virilité de l’homme est une fonction guerrière et se mesure, s’éprouve sur le champ de bataille. On pourra dire que tel guerrier est un ἀνήρ s’il fait preuve de vaillance21.

Chez PLATON, être un ἀνήρ, c’est "résister longtemps" et "ne pas fuir"22, ne pas fuir devant la difficulté dialectique23 aussi bien que ne pas craindre la mort24. Lachès, homme d’action, associe le fait d’être un ἀνήρ authentique et celui d’être digne dans ses actions comme dans ses paroles, c’est-à-dire d’être "accordé" à soi-même, d’accorder ses paroles et ses actes - et ce sur le mode dorien, mode viril par excellence25. Enfin on peut remarquer que, chez Platon, la virilité est avant tout une caractéristique psychologique et intellectuelle – disons morale, au sens où le français oppose le moral au physique –, et qu’ainsi ὁ ἀνήρ peut être équivalent à ὁ νοῦν ἒχων26.

On voit l’évolution d’HOMÈRE à PLATON. Mais, là encore, il ne saurait y avoir rupture : le sens platonicien englobe le sens homérique en le dépassant. Car, si l’expression ἂλκιμος ἀνήρ est redondante chez HOMÈRE, elle ne l’est plus chez PLATON : ἂλκιμος semble être resté identique dans son sens d’une époque à l’autre, alors qu’ἀνήρ s’est engagé dans un processus de spiritualisation progressive sans avoir délaissé pour autant son lieu sémantique initial et toujours fondamental27. Qualifié par cette expression, Er est apte à parler de la mort : d’abord parce qu’il ne la craint pas et qu’il est vaillant devant et dans sa propre mort. Au reste, il n’y a qu’un endroit où Er nous fasse part de quelconques sentiments : c’est lorsqu’il assiste aux choix des vies28 ; mais ces sentiments ne le "dévirilisent" pas puisque ce sont « toutes les âmes [qui] choisissaient leur vie » – donc pas la sienne29 – qu’il prend en pitié, dont il rit et s’étonne. Il prend ces âmes en pitié comme l’évadé prend en pitié ceux qui sont encore dans l’obscurité de la caverne30 ; ou encore comme le questionneur absent (Socrate ?) de l’Hippias Majeur a pitié de l’inexpérience et de l’ἀπαιδευσία31 de Socrate32. Cette pitié est le sentiment d’un sage, ou du moins d’un philosophe. De plus, nous l’avons dit, c’est le seul endroit où Er exprime des sentiments déterminés. Hors cela, la vie psychologique d’Er est pour nous indéterminée, sauf par ceci qu’il est un ἂλκιμος ἀνήρ mort sur le champ de bataille. Nous savons maintenant ce que peut être un tel ἂλκιμος ἀνήρ ; et surtout nous devinons qu’un tel homme se trouve du côté de cette παιδεία dont nous parle PLATON au tout début du livre VII de la République33.

La guerre

Er est mort sur le champ de bataille34. Quelles conséquences ce fait peut-il avoir pour nous qui cherchons Er, pour nous qui essayons de tirer tous les premiers fils capables de nous renseigner sur l’ensemble de notre texte ? La mort d’Er, par elle-même, ne nous intéresse pas : elle est une des conditions sine qua non de notre mythe. Il reste que l’on pourrait se demander ce qui a empêché Er de seulement rêver son voyage, ou de rêver ce que Scipion rêvera sous la plume de CICÉRON35 ; on pourrait entreprendre une étude comparée des deux textes, et l’on trouverait sûrement de bons résultats. Mais laissons-là ces possibilités ; ce qui nous intéresse ici, c’est qu’Er soit un combattant, un soldat, un homme vaillant, mort en un combat.

Mais quelle sorte de combat ? S’agit-il d’une στάσις ou d’un πόλεμος36 ? Autrement dit, les adversaires d’Er étaient-ils de ses congénères ou des étrangers ? La question n’est pas légère. C’est en y répondant que l’on connaîtra "l’état de santé" des antagonistes37, et donc de celui des combat­tants, dont Er. La réponse est qu’il s’agit d’un πόλεμος, que les antagonistes ne sont ni parents ni congénères, et enfin que cette guerre est naturelle, autant que l’inimitié qui l’a fait éclater38. Il s’agit d’une "bonne guerre".

Arrêtons-nous un instant pour remarquer, avec J.P. VERNANT39, l’homogénéité du guerrier et du politique : celui-ci, c’est « la cité vue du dedans », identité à soi de la cité vivant sur elle-même ; « la guerre, c’est la même cité dans sa face tournée vers le dehors », vers l’étranger, vers l’autre. « Dans le modèle de la cité hoplitique », poursuit J.P. VERNANT, « l’organisation militaire s’inscrit sans coupure dans l’exact prolongement de l’organisation civique ». Mais, précise P. VIDAL-NAQUET40, « ce n’est pas en tant qu’il est un guerrier que le citoyen dirige la cité, c’est en tant qu’il est citoyen que l’athénien fait la guerre ». Ou encore, « pour l’armée et la flotte athéniennes, c’est la cité qui est modèle »41. En lui même le soldat suppose le citoyen. Cette courte affirmation n’est pas sans intérêt lorsque l’on étudie un texte qui clôt un dialogue aussi politique que la République, texte dans lequel un personnage important (Er) est caractérisé comme guerrier de valeur. Il faut en déduire, à défaut de preuve contraire, qu’Er a au moins autant de valeur comme citoyen que comme guerrier. Imaginons qu’il soit dans sa cité comme Achille dans un combat qu’il ne boude pas. D’autre part, PLATON lui-même nous conduit à une telle assimilation du politique et du guerrier : « hormis en effet les Magistrats-philosophes », nous dit L. ROBIN, « les Guerriers sont, d’après les théories de la République, ce qu’il y a de mieux dans la cité »42.

La fonction d’Er

Mais, entre l’époque dont nous parlent J.P.VERNANT et P.VIDAL-NAQUET et celle où PLATON écrivit la République, il y a un peu plus d’un siècle d’écart43, pendant lequel le citoyen-soldat a eu le temps de devenir « peu à peu quelque chose comme un rêve archaïsant » ; mais tout de même, « le principe demeure, évident, presque trop évident »44. Dans les faits, au début du IVème siècle, la guerre est devenue affaire de spécialistes - et PLATON le sait bien qui, constatant cette vérité, change la "cité élémentaire" du livre II de la République en la cité « idéale », cité des guerriers puis des philosophes45. Mais comment satisfaire en même temps le principe du citoyen-soldat et l’exigence de la spécialisation ? PLATON les satisfait tous deux dans la République grâce à la notion d’harmonie ; mais nous verrons cela plus loin. Nous voulions seulement montrer que la fonction guerrière est au cœur de la cité de la République et, en somme, qu’un bon guerrier est, pour PLATON, un bon citoyen46.

Ainsi au cours de ces premières pages, avons-nous pu entrevoir le sens de certains termes qui, pour être banals, n’en sont pas moins signifiants. Nous avons d’abord vu qu’ἂλκιμος renvoie à la vaillance homérique, qu’ἀνήρ fait référence à une virilité plus morale que physique (au sens où le français oppose ces deux termes), et, enfin, que la mention d’une guerre, tout en actualisant le sens d’ἂλκι­μος, montre la portée politique de notre texte (récit d’un citoyen de valeur) et de son commentaire par Socrate – cet ensemble formant la conclusion du dialogue dont le nom grec est Politeia, et le thème débattu la justice. Mais avant d’aborder le mythe lui-même – c’est-à-dire ce que dit Er –, il nous faut poursuivre l’enquête préparatoire et nous demander pourquoi celui qui raconte se nomme Er, et pourquoi il est né en Pamphylie47 ; nous demander en quoi cette identité – nous dirions aujourd’hui état civil – donne à Er le droit, la capacité à dire le mythe.

Ἠρός (ou plutôt Ἦρ ou encore Ἤρ48) : ce nom ne se retrouve nulle part ailleurs dans la littérature grecque antéplatonicienne connue. De fait, il ne semble pas être grec mais seulement hellénisé et d’origine hébraïque, ou peut-être plus largement sémitique : עֵד. En effet, on trouve ce nom dans trois séries de textes bibliques :

  1. Er est le nom du fils aîné de Juda, fils de Jacob. Son histoire tient en quelques mots : « Juda prit une femme pour Er, son premier né. Elle avait nom Tamar. Mais Er, le premier né de Juda, déplut aux yeux de Iavhé et Iavhé le fit mourir »49. Puis nous apprenons que c’est au pays de Canaan qu’il mourut50. Voilà tout ce que nous savons d’Er, de cet Er-là. Nous ne savons pas pourquoi il déplut à Iavhé à en mériter la mort. [Gen. XXXVIII, 3-7 ; XLVI, 12 ; Nbres XXVI, 19 ;I Chr.II, 3]

  2. Er est le nom d’un fils de Shelah, fils de Juda. Ce deuxième Er ne doit pas être confondu avec le premier51, dont il est le neveu. [Chr.IV, 21]

  3. Er est le nom d’un ancêtre de Jésus-Christ. L’évangéliste – qui ne fait sûrement que translittérer de l’hébreu au grec – orthographie ὁ Ἤρ52. [Luc III, 28]

Nous avons donc là trois personnages distincts portant le même nom. Ce qui tend à montrer que ce nom était courant : il nomme un fils de Juda, un petit-fils de Juda et un personnage qui fait partie de la vingt-sixième génération après Juda53.

En hébreu, ‘er’ – comme mot – signifie "celui qui veille sur, qui observe, qui regarde attentive­ment", et, plus vaguement, "celui qui regarde, qui voit". Ce mot s’apparente à la racine Ϝορ qui désigne originairement l’action de "prendre soin de, surveiller", d’où "observer" – et que l’on rencontre dans le grec ὁράω54. Or quel est le contenu formel du mythe ? C’est « ce qu’il [Er] a vu là-bas »55. Regar­der, observer, telle est la fonction d’Er. Ceci, PLATON le répète à plusieurs reprises au cours du mythe56. Mais, avant même qu’il écrive en termes explicites quelle est la fonction d’Er, PLATON l’indique dans le nom-même de celui dont Socrate raconte l’histoire : Er n’est là que pour observer. Et c’est ce rôle d’observateur qui, prolongé par celui de « messager auprès des hommes », rend possible et nécessaire sa résurrection57. Dans la mort, Er n’est qu’une paire d’yeux et une paire d’oreilles ; ressuscité, il n’est que la voix qui parle de ce qu’ont vu les yeux et entendu les oreilles dans la mort - la voix du messager de l’au-delà.

Nous ne soulèverons pas le problème de savoir si PLATON connaissait ou non une langue sémiti­que occidentale58, bien que notre analyse suppose une telle connaissance. Nous nous contenterons de rappeler combien PLATON aime à jouer sur les noms propres59. Ce jeu n’est pas gratuit : il charge le nom d’une signification plus lourde, voire inverse60 ; il confirme (ironiquement?) le sens (évident) d’un nom61 ; il constitue une figure de rhétorique62 ; il pose un rapport qui laisse prévoir l’optique générale du texte dont il fait partie63 ; etc. En ce qui concerne le nom d’Er, le jeu de mots n’est pas clairement posé. À ce nom répondent les mots qui, disséminés dans le texte, nous livrent la fonction du personnage ; mais à ces mots répond le nom lui-même qui, une fois effectué le détour hébraïque, signifie à lui seul cette fonction. Même si la technique du jeu de mots n’est pas la même ici que dans les exemples relevés plus haut, PLATON joue ici aussi sur un nom propre et travaille sur sa signification.

Quelle que soit la valeur intrinsèque de notre analyse, il reste que, grâce à elle, le nom du person­nage qui raconte a un sens, un sens qui indique sa fonction dans le cadre de ce qu’il raconte. Elle nous interdit de penser que c’est un hasard si ce personnage se nomme Er.

Er le pamphylien

Ainsi le nom est hébreu. Mais, de notre personnage, PLATON ne nous donne pas que le nom ; il nous livre aussi son origine : « Er, fils d’Arménios, pamphylien d’origine »64. Nous allons, dans ce paragraphe, nous demander pourquoi Er est né en Pamphylie et nous verrons si cela confir­me ou non la thèse de l’origine sémitique de ce nom65.

La Pamphylie est une plaine côtière longue de quatre-vingt kilomètres et large de vingt-cinq dans sa plus grande largeur66. Située sur la route de l’Orient, elle fut très tôt colonisée par les Grecs67 qui y trouvèrent une peuplade sémite68, parlant le louvite occidental69, installée depuis peu70. L’analyse de l’alphabet et du dialecte pamphyliens conduit à reconnaître l’origine sémitique de la civilisation pamphylienne71. On voit donc que rien n’empêche un individu qui porte un nom sémite d’être originaire de Pamphylie.

D’autre part, il faut rappeler, même si cela semble évident, la signification du nom (grec) des pam­phyliens. Selon la thèse la plus couramment admise, « il s’agirait […] de l’adjectif πάμφυλος, de toutes races, de toutes tribus, devenu ethnique. C’est d’ailleurs ainsi, semble-t-il, que les Pamphy­liens entendaient leur nom, si l’on en juge du moins par cet oracle de Suédra […] : Pamphyliens de Suédra […] qui habitez une terre d’hommes mélangés. Sans confirmer nécessairement cette thèse, l’analyse du dialecte lui apporte […] un solide soutien »72. De ce point de vue non plus, rien n’empêche Er d’être pamphylien. Rien de plus normal donc qu’un sémite originaire de Pamphylie.

Mais pourquoi la Pamphylie ? On trouverait tout aussi normal qu’un sémite soit originaire de n’importe quelle autre contrée du Proche-Orient. Il y a deux réponses à cette question, une large et une autre plus précise. La première consiste à souligner le caractère universel de la Pamphylie, caractère révélé dans son nom même, comme nous venons de le voir. L’idée de totalité qui y est contenue n’est, en effet, pas étrangère au mythe d’Er et intervient à des endroits topiques de notre de texte73. Mais il y a une façon plus précise de répondre à notre question, et, encore une fois, nous nous aiderons de l’histoire et de la linguistique. Nous avons dit plus haut74 que la Pamphylie avait été colonisée par des Grecs vers le XIIème siècle. Mais il y eut d’autres vagues de colonisations grecques75 dont la plus importante fut celle des doriens qui, aux VIII-VIIèmes siècles, « imposèrent, par leur nombre, des traits doriens à la langue métissée »76 composée de louvite et d’achéen. De fait, l’analyse du dialecte grec de Pamphylie laisse apercevoir des isoglosses avec des dialectes doriens77. D’autre part, il faut revenir à la signification du nom des pamphyliens, et noter que, à côté de la thèse énoncée plus haut78, certains philologues et historiens « veulent y retrouver le nom d’une des trois tribus doriennes traditionnelles, celle des πάμφυλοι, et cette désignation reflèterait la prépondérance de la composante dorienne dans la population et le dialecte »79. Il ne s’agit pas ici de discuter cette thèse ni de la confronter à l’autre, mais seulement de remarquer ce qui la rend défendable : la prédominance dorienne en Pamphylie – qui doit être considérée comme une certitude acquise. D’ailleurs les deux thèses ne sont pas contradictoires : la notion de mélange n’exclut pas celle de prédominance de l’un des éléments du mélange.

Cette prédominance dorienne nous renvoie chez PLATON à un problème musical important : le choix des modes80. Là aussi le dorien est mis en avant81. Le système damonien avait établi les déterminations éthiques des modes82, et définissait le mode dorien comme celui de la virilité83 – caractérisation que l’on retrouve chez PLATON. Nous voilà maintenant renvoyés à nouveau ailleurs, et, cette fois-ci, c’est pour revenir au mythe d’Er proprement dit : l’origine pamphylienne d’Er nous avait conduit au dorien qui nous renvoie à la virilité, c’est-à-dire à l’une des déterminations qui font d’Er le porteur du mythe84.

Conclusion de la première partie

Ainsi le détour, que d’aucuns jugeront prolixe et sans intérêt, mais que nous avons effectué dans le but de chercher le sens des mots qu’emploie PLATON pour nous présenter le personnage d’Er, ce détour nous a permis de mieux cerner ce personnage que les critiques ont, dans l’ensemble, laissé dans l’ombre d’un hasard postulé. À l’inverse, nous avons posé comme principe de lecture que chaque mot a un sens et apporte au texte sa part de déterminations. Ainsi l’analyse du jeu de mots qui ouvre le mythe nous a laissé entrevoir l’intention de PLATON, l’optique où il se place en écrivant le mythe d’Er, et, en même temps, la complexion générale de la personnalité d’Er85. Puis, nous attachant à la détermination d’Er comme ἀνήρ, nous avons vu ce qu’Er a de commun avec l’« évadé de la caverne »86. Dans un troisième temps, nous avons pu noter comment la détermination d’Er comme (bon) guerrier lui octroie la qualité de (bon) citoyen87. Ensuite, nous avons découvert que son nom désigne sa fonction88. Enfin, une courte analyse de son origine nous a conduit à l’affirmation, renouvelée, de la virilité comme qualité essentielle de notre personnage89. Si jamais notre principe de lecture ne suffisait pas à justifier notre enquête préparatoire sur le personnage d’Er, les résultats de cette enquête pourraient à eux seuls manifester a posteriori la raison d’être et, disons-le, la nécessité d’une telle recherche.

Ainsi se termine notre recherche sur ce que nous avons appelé la préparation du mythe, préparation centrée sur le personnage qui a vu de ses propres yeux et entendu de ses propres oreilles ce que dit le mythe par sa propre bouche. Il est donc temps maintenant de s’occuper du mythe lui-même, c’est-à-dire du récit de ce qu’Er a fait, vu et entendu « là-bas ». Nous procéderons en deux temps : tout d’abord, nous nous livrerons à une analyse interne de notre texte afin d’en dégager la structure eschatologique, ou, plus précisément, poréïologique90 ; ensuite, nous nous placerons à l’extérieur du texte afin de tenter une reconstitution générale de l’eschatologie platonicienne, telle qu’elle apparaît dans les mythes eschatologiques du Gorgias91, du Phédon92, de la République (le mythe d’Er)93 et du Phèdre94 ; et nous constaterons comment ces différents textes se complètent95.

La structure du mythe

Délimitation

Nous ne nous sommes pour l’instant attachés qu’à la petite partie de notre texte où Platon nous présente le personnage d’Er96, et que nous avons, à plusieurs reprises, distinguée du mythe lui-même. Cette partie, en effet, n’est pas dans le mythe, mais le précède et le prépare. Le mythe, avons-nous dit, c’est le récit par Er de « ce qu’il a vu là-bas »97. D’ailleurs, il est impropre à ce niveau de notre recherche de parler de mythe : c’est seulement après que le récit d’Er est terminé que Socrate parle de mythe98. Avant qu’Er ait pris la parole99, Socrate parle d’un récit (ἀπόλογος) : « dès qu’il fut revenu à la vie », dit Socrate, « [Er] dit [ἔλεγεν] ce qu’il avait vu là-bas »100. Pour que l’on sache bien que c’est, en fait, Er l’auteur du récit, Socrate parsème le rapport qu’il en fait de verbes tels que λέγειν101, φάναι102, διηγεῖσθαι103 et enfin ἀγγέλειν104, verbes dont le sujet grammatical est toujours Er.

Ainsi le récit d’Er se situe entre la partie qui le prépare et celle où il est appelé "mythe" par Socrate. Il semble donc que ce soit ce récit qui permette le passage d’ἀπόλογος à μῦθος105. Mais ici il faut distinguer, dans ce qui sépare les deux parties (préparatoire et concluante), ce qui relève du récit d’Er et ce qui en constitue le commentaire par Socrate. En effet, le récit d’Er est coupé à deux reprises par des paroles que Socrate prononce non plus exclusivement en tant que rapporteur du récit, mais en tant que sage qui réfléchit sur la signification philosophique de ce récit106. Cette structure n’est pas sans rappeler celle du mythe eschatologique du Gorgias107 dont le plan se laisse déterminer par l’alternance du mythe et du commentaire108. Mais, si dans ce mythe l’alternance ne laisse subsister aucun ambiguïté, dans notre texte de la République, il est un passage où le récit et le commentaire semblent s’entrelacer, se mélanger109. D’autre part, alors que dans le Gorgias l’alternance est constitutive de la structure, dans la République elle n’est ni assez nettement marquée, ni suffisamment répétée pour cela. C’est donc à un autre type de critère que nous devrons recourir pour dégager la structure de notre texte. Tout ce que nous savons, c’est qu’il y a deux hors-récit110 et que le récit est coupé par le commentaire de façon plus ou moins marquée.

Poréïologie

Le récit d’Er commence donc à un endroit précis de notre texte : 614b8, ἔφη δέ, ἐπειδή... Il finit aussi à un endroit précis : 621b7. Il commence avec la sortie de l’âme d’Er hors du corps, et finit avec le retour de l’âme dans le même corps111. Mais que fait cette âme entre ces deux mo­ments ? Elle a deux sortes d’activité, dont l’une est l’activité de toute âme séparée du corps112, mais dont l’autre est propre à Er et relève de sa fonction.

Cette dernière est donnée, nous l’avons vu, dans le nom même d’Er113. La première sorte d’activité est manifeste tout au long du récit, et déjà dès que l’âme a quitté le corps : « dès qu’elle fut sortie de son corps, dit-il, son âme se mit en route avec beaucoup d’autres, et elles arrivèrent en un lieu… »114. Ainsi l’activité qui suit immédiatement la séparation du corps et de l’âme, et qui est commune à toute âme, est de "se mettre en route" (πορεύεσθαι). La vie de l’âme dans la mort est un voyage (ἡ πορεία)115. C’est pourquoi l’on peut parler d’"itinéraire eschatologique". De fait, dans le récit d’Er, les verbes de mouvement abondent ; et peut-être une analyse des occurrences de ces verbes livrera-t-elle la structure du récit, structure "poréïologique" s’il s’avère que ce récit est bien le récit d’un voyage, et que ses moments sont les étapes de ce voyage.

Classification des verbes de mouvement

S’agissant exclusivement du récit dont Er est l’auteur, il y a trois classes à distinguer dans l’ensemble des verbes de mouvement : tout d’abord les verbes dont le sujet est la totalité des âmes, celle d’Er comprise ; ensuite ceux qui ont pour sujet la totalité des âmes mais celle d’Er exclue ; enfin ceux qui indiquent un mouvement de l’âme d’Er seulement116.

Cette dernière classe n’a que deux éléments. Le premier ne se retrouve nulle part ailleurs dans notre texte117 ; il s’agit du pas en avant que fait Er (son âme) pour se présenter devant les juges et s’enten­dre dire quel est son rôle, quelle est sa fonction118. Ce verbe est comme réservé à Er, autant que le rôle de « messager auprès des hommes ». L’autre verbe de cette troisième classe se retrouve, lui, dans les deux autres classes119.

La première association

La première classe est la plus ordonnée. En effet, elle contient quatre verbes différents dont les occurrences s’articulent de façon précise et facilement repérable. L’un d’eux se retrouve trois fois : πορεύεσθαι120. Nous avons vu, un peu plus haut121, que "se mettre en route" est la première activité de toute âme séparée du corps. Le point de départ de cette πορεία est le corps, ou plus préci­sément cet ensemble, composé d’une âme et d’un corps, que l’on appelle « vivant mortel »122. Cette πορεία n’est autre que la rupture du lien qui attachait l’âme au corps dans le vivant. Quant au point d’arrivée, c’est le « lieu démonique »123, lieu du jugement. Remarquons tout de suite ce groupe de deux verbes : l’âme d’Er « se mit en route (πορεύεσθαι) avec beaucoup d’autres, et elles arrivèrent (ἀφικνεῖσθαι) en un lieu démonique ». Pour banale que soit leur association, il n’en est pas moins flagrant qu’elle se retrouve dans notre texte, et qu’il n’est pas un πορεύεσθαι qui n’y soit complété d’un ἀφικνεῖσθαι. D’autre part, il se trouve que ces deux verbes sont les deux principaux de la première classe. Les deux autres verbes sont, nous le verrons, dans le prolongement de cette association. De même que πορεύεσθαι se retrouve trois fois124, il y a trois groupes d’occurrences d’ἀφικνεῖσθαι. Deux seulement font partie de la première classe125, le troisième étant dans la troisième classe126 ; malgré cela, nous le verrons, il est associé au troisième πορεύεσθαι qui fait partie, lui, de la première classe.

La deuxième association

Nous avons déjà vu la première association : elle mène les âmes du corps délaissé vers le lieu du jugement. La deuxième les conduit de la prairie vers la « lumière droite »127 ; cette πορεία se fait en deux temps : « elle se mirent en route (πορεύεσθαι) et arrivèrent (ἀφικνεῖσθαι), le quatrième jour, en un endroit d’où elles voyaient une lumière droite […] ; à cette lumière elles arrivèrent (ἀφικέσθαι), après avoir continué leur route (προελθόντες ὁδόν) pendant un jour ». On voit bien que la deuxième arrivée est dans le prolongement de la première – qui n’est que provisoire – autant que προέρχεσθαι – qui indique donc un grand déplacement128 – est dans le prolongement de πορεύεσθαι. La deuxième partie est d’ailleurs rappelée après la description du fuseau de Nécessité129 : « Donc, dès qu’elles furent arrivées (ἀφικέσθαι), elles durent aussitôt aller (ἰέναι) vers Lachésis ». Ce dernier verbe indique un petit déplacement qui a lieu dans le lieu d’arrivée. Nous ne voulons pas dire que ce déplacement est insignifiant – loin de là –, mais seulement qu’il ne détermine pas l’itinéraire dans son ensemble.

La troisième association

La troisième association conduit les âmes du lieu où se trouve le fuseau de Nécessité vers un corps : « toutes les âmes sans exception se mirent en route (πορεύεσθαι) […] ; elles s’élancèrent (φέρεσ­θαι) pour retourner (ἄνω) vers la naissance […] ; quant à lui [=Er], par où et comment il était arrivé (ἀφίκοιτο) en son corps, il ne le savait pas »130. Le point de départ de cette poréïa est le même pour « toutes les âmes sans exception (ἅπαντας) », alors que la modalité de la dernière partie de cette poréïa et le point d’arrivée semblent différents selon qu’il s’agit de l’âme d’Er ou des autres âmes. En d’autres termes, φέρεσθαι semble faire partie de la deuxième classe des verbes de mouvement, alors qu’ἀφίκοιτο est l’un des deux éléments de la troisième131. Il reste que « retourner vers la naissance », pour une âme, ce n’est rien d’autre que se re-lier, se r-assembler à un corps. Nous savons, en effet, que pour Er, « arriver en son corps » est équivalent à « revenir à la vie »132. Nous savons aussi, grâce au Phédon133, que « revenir à la vie »134 et « retourner vers la naissance, naître à nouveau »135 sont synonymes ; dans tous ces cas, il s’agit d’un mouvement vers le vivant136 – ce "vivant mortel" dont nous parlions un peu plus haut137. Il est donc clair que « retourner vers la naissance » et « arriver en un corps » signifie la même chose et que la seule différence entre l’âme d’Er et les autres âmes consiste en ce que l’âme d’Er retrouve le même corps qu’elle a quitté douze jours auparavant, alors que les autres âmes retournent vers la naissance en arrivant dans un corps correspondant au "modèle de vie" qu’elles ont choisi très peu de temps avant138.

La récurrence de πορεύεσθαι comme verbe de la première classe (associé à ἀφικνεῖσθαι) nous indique donc les trois mouvements principaux de toutes les âmes, celle d’Er comprise. Chaque fois que, dans notre texte, ce verbe apparaît139, les âmes entament une nouvelle phase de leur itinéraire.

Tableau récapitulatif




La poréïa de mille années

Telle est donc la configuration générale de l’itinéraire que parcourent toutes les âmes sans exception140, configuration que nous avons pu repérer grâce à la récurrence du couple "se mettre en route / arriver", dans la première et la troisième classe des verbes de mouvement. Il reste que ce couple se retrouve une fois dans la deuxième classe, et une autre fois hors classe, dans le commentaire141. Cette dernière occurrence ne nous occupera que plus loin142 ; la première nous intéresse davantage pour l’instant143. Quelle est cette poréïa qu’effectuent toutes les âmes mais non pas celle d’Er, et qui est désignée par le même couple de verbes que les trois premières autres effectuées non seulement par toutes les âmes mais aussi par celle d’Er ? D’ailleurs, c’est le seul voyage qui mérite sans discussion d’être appelé "poréïa" – ce terme apparaissant chaque fois pour nommer ce voyage que l’âme d’Er n’effectue pas144. Nous n’avons appelé "poréïa" les trois voyages qu’effectuent l’âme d’Er et les autres âmes que par rapprochement avec le verbe πορεύεσθαι145 ; mais à aucun endroit de notre texte le mot ἡ πορεία ne désigne l’un de ces trois voyages : le seul mot qui désigne l’un de ceux-ci est ἡ ὁδός146.

Quelle est donc cette poréïa – la seule qui mérite ce nom ? Elle est effectuée sur ordre des juges147 et peut s’effectuer de deux façons : celle des justes et celle des injustes148. Le point de départ et le point d’arrivée sont situés au même endroit149 : le lieu du jugement, encore appelé "prairie"150. Le point de départ de cette poréïa coïncide avec le point d’arrivée de ce que nous avons appelé la phase A, et son point d’arrivée avec le point de départ de la phase B151. Autrement dit, cette poréïa s’inscrit dans le schéma dégagé plus haut, mais elle ne le perturbe pas. Er voit les âmes partir pour ce voyage, il voit d’autres âmes en revenir, mais ne le connaît que par ce que ces âmes en disent152. C’est pour l’avoir entendu qu’il sait que ce voyage dure mille années153 ; que, pour les justes, il a lieu au ciel, procure jouissance, etc.154 ; que, pour les injustes, il a lieu dans la terre, procure souffrance, etc. Mais nous en savons beaucoup plus sur le voyage réservé aux âmes injustes que sur celui des justes. Non seulement Er ne parle de ce dernier que pour l’opposer au premier155, mais il y a un passage du récit relatif au voyage des injustes qui n’a pas de pendant qui concernerait celui des justes : il s’agit de ce que l’on pourrait appeler l’épisode d’Ardiée156.

Le personnage d’Ardiée

Quelle est donc la fonction de cet épisode ? Pour répondre à cette question, il y aura deux points à considérer. Tout d’abord le personnage d’Ardiée ; ensuite, et seulement ensuite, l’économie stricte de la relation juste/injuste telle qu’elle se manifeste à propos de cette poréïa que l’âme d’Er n’effectue pas. Mais avant de considérer ces deux points, notons que, lorsque les détails de cette poréïa vont nous être exposés, nous sommes prévenus que nous n’aurons pas tous les détails de ce qu’Er a entendu – ce qui demanderait beaucoup de temps, car les détails sont nombreux –, mais seulement ce qu’Er juge en être le κεφάλαιον157. Ce mot signifie ici non pas le réumé158, ni uniquement l’essentiel ou le principal159, mais à la fois le résumé accompagné de quelques rapides exemples (615a6-c4, 616a8-b1) et aussi les détails les plus importants (615c5-616a7) qui, précisément, constituent ce que nous appelons l’épisode d’Ardiée. L’importance de ces détails tient dans la suggestivité que leur donne la violence de la scène décrite – violence qui est à la mesure du personnage d’Ardiée. « Ardiée avait été, mille ans déjà avant ce temps-là, tyran dans une cité de Pamphylie160 ; il avait tué son vieux père et son frère aîné, et commis, disait-on, de nombreuses autres impiétés »161. Ardiée est un tyran ; mieux il est le type du tyran. En effet, si nous n’avions qu’un mot pour définir le tyran en général, nous dirions qu’il est parricide162. Mais ce n’est pas là la seule souillure, la seule tache (ἄρδα) qu’Ardiée (Ἀρδιαῖος)163 porte en son âme : il a aussi tué son frère aîné – crime qui se tient dans le même sillage que le parricide164. Ce double crime est le sommet d’une vie qui n’est faite que d’impiétés. L’ἀρετή d’Ardiée, si l’on peut parler ainsi, c’est l’impiété : il y excelle. Mieux, son ἔργον, sa fonction, c’est l’acte impie165. On voit ainsi la dimension du personnage : le tyran dans sa plénitude. Car Ardiée n’est pas n’importe quel tyran que le parricide suffirait à définir166 ; il n’a pas seulement commis l’acte "le plus complètement impie"167 ; le parricide n’est pas seulement pour Ardiée le moment de sa vie où il accède au titre de tyran. Non, le parricide n’est qu’une manifestation – la plus importante certes, mais il y en a eu de "nombreuses autres" (Rép.X, 615d1) – de l’impiété qui constitue l’épaisseur de l’âme d’Ardiée. Celle-ci n’est donc qu’une immense tache168, et mille années d’expiation ne sauraient suffire à la purifier.

Ainsi Ardiée représente l’impur169 maximum, personnage extrême qui se tient à la limite du pensable, personnage quasi-impossible. Au caractère exceptionnel du personnage répondent la force et la violence des détails de la scène qui suit170. Celles-ci sont trop manifestes pour qu’il soit nécessaire de les faire ressortir. Ce qu’il serait utile de mettre en relief, par contre, c’est le parallèle entre les spectacles et les terreurs171. Car ce ne sont pas les spectacles terrifiants qui manquent dans la terre, ni les terreurs : elles sont « multiples et de toutes sortes » (616a5). Cependant il est une terreur qui surpasse toutes les autres et un spectacle plus terrifiant que tout autre ; spectacle le plus terrifiant parce qu’il accroît, porte à son maximum d’intensité cette terreur qui d’elle-même déjà surpasse toutes les autres. Violence de la crainte de ne pouvoir sortir du fond de la terre, violence du spectacle d’âmes qui ne peuvent en sortir. En d’autres termes, violence du personnage d’Ardiée, violence de ce qui arrive à Ardiée et ses pareils172, et enfin violence de la terreur des âmes qui sont sur le point de sortir : trois violences qui se répondent, chacune portant l’autre à son maximum d’intensité ; trois éléments qui constituent l’épisode d’Ardiée – texte où le paroxysme de la violence est appelé par le paroxysme de l’impur.

La relation juste/injuste

Pour comprendre pleinement la fonction précise de l’épisode d’Ardiée, il reste à l’installer dans la relation juste/injuste – relation dont l’économie est strictement établie depuis le début du mythe173. Pour comprendre le fonctionnement de cette économie, il suffit de dresser la liste des déterminations de la poréïa de mille années, d’un côté lorsqu’elle est effectuée par les âmes justes, de l’autre lorsqu’elle l’est par les injustes174. Au vu de cette double liste, on se rend vite compte que cette économie fonctionne, dans ces grandes articulations, de trois façons.

L’opposition terme à terme

Le premier mode de fonctionnement175 est l’opposition terme à terme, opposition où chaque terme fait face à son opposé176 :


Les termes antagonistes sont, pour la majorité, écrits ; et les constructions de type μέν...δέ..., τε...καί... sont souvent là pour souligner l’opposition177. Il y a de rares exceptions qui sont de deux sortes : premièrement, le terme manquant dans telle occurrence d’une opposition est présent ailleurs, dans une autre occurrence de la même opposition178 ; deuxièmement, l’opposition où l’un des termes manque (qui est mis entre parenthèses dans le tableau ci-dessus) n’apparaît qu’une fois. Pour cette sorte d’exception, c’est la logique de l’opposition qui joue, autant que le contexte – à la fois du point de vue du sens et de celui de la syntaxe – le permet179. Une fois ces quelques exceptions réintégrées dans le rang, il est clair que cette première modalité de la relation juste/injuste nous livre un exemple de ces séries d’opposés dont l’élaboration semble pratique courante dans les écoles philosophiques grecques des V-IVèmes siècles180. En dressant cette liste en parallèle, PLATON montre comment l’opposition du juste et de l’injuste fonctionne avec rigueur dans le temps des sanctions d’outre-tombe. Ce premier mode de fonctionnement nous fournit un canevas à partir duquel il nous sera aisé de comprendre les deux autres modes.

L’analogie

Le deuxième mode de fonctionnement s’apparente à l’analogie de type mathématique181. Le passage du mythe où ce mode joue est bref182 et le mécanisme est manifeste. Ce passage se laisse – comme il se doit – diviser en deux parties fort inégales. La première183, qui est aussi la plus longue, contient les deux termes du premier rapport et la raison géométrique de ce dernier. La formule qui énonce le mieux ce rapport est celle-ci : le châtiment est le décuple de la faute commise184. PLATON s’y prend à deux fois pour nous l’énoncer, la deuxième étant présentée comme une illustration par des exemples185. Quant à la deuxième partie du passage186, elle contient l’un des termes du rapport187 et l’indication que la raison du rapport est inchangée. Il est alors aisé de comprendre ce que peut être le "salaire" dont nous parle PLATON sans autre précision (ἀξία). Et grâce au premier mode de la relation juste/injuste, nous savons qu’il sera l’opposé du salaire des injustes. Ceci dit, nous n’avons guère de renseignements précis qui nous en apprennent davantage sur la nature des salaires (récompenses et châtiments) : nous avons seulement appris comment la durée du salaire se calcule.

Le point vide

C’est la fonction de l’épisode d’Ardiée188 que de nous donner quelques détails sur la nature du salaire. Mais, avant d’en venir là, PLATON, en une phrase qui opère la transition entre la deuxième modalité de la relation juste/injuste et la troisième, élargit le rapport (action commise/salaire) d’une façon indéterminée189 mais toujours symétriquement par rapport à un point où la relation juste/injuste ne fonctionne pas – parce qu’elle n’a pas le temps de fonctionner190. Les termes des deux rapports tendent vers plus d’intensité et nous conduisent ainsi à l’épisode d’Ardiée.

La direction de l’impensable

Le mode de fonctionnement de la relation juste/injuste qui joue dans l’épisode est différent des deux autres : PLATON n’y oppose plus le juste et l’injuste, il ne parle plus que de l’injuste. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelles âmes injustes : ce sont des tyrans et des particuliers qui ont commis de grandes fautes191. Ces âmes impies192 subissent donc ( en vertu de l’élargissement évoqué plus haut) des châtiments "plus grands" que les peines des injustes "ordinaires". Mais ce n’est pas là le tout de l’épisode, car ces âmes impies ne font qu’accompagner Ardiée qui, nous l’avons vu193, est ce personnage quasi impossible dont la fonction est de commettre l’acte impie. Les châtiments qu’endurent ces âmes et celle d’Ardiée ne sont pas seulement "plus grands" que d’ordinaire, ils sont aussi "trop grands" pour être concevables194 ; et ce que l’on en sait ne nous en donne qu’une petite idée. Précisément, l’épisode d’Ardiée est là pour nous donner une idée de l’inconcevable. Inconce­vabilité de ce qu’est, dans sa totalité, le châtiment d’Ardiée et de ses pareils. Mais la portée de l’épisode ne s’épuise pas dans cette seule inconcevabilité. Si nous inscrivons cette dernière sur le canevas que nous a livré le premier mode de fonctionnement de la relation juste/injuste, qu’ins­crirons-nous en face, dans la colonne du juste ? Pour répondre à cette question, il faut noter, tout d’abord, que l’épisode d’Ardiée fut, pour l’âme qui le raconte, un spectacle195, un spectacle parmi les « terrifiants spectacles » auxquels les âmes injustes assistent lors de leur poréïa. À ces spectacles-là s’opposent les « spectacles inconcevables quant à leur beauté »196 auxquels les âmes justes ont assisté durant leur poréïa. En réponse à la question posée plus haut, il faut donc reconnaître qu’aux spectacles terrifiants qui donnent l’idée d’un châtiment inconcevable, s’opposent des spectacles qui, étant déjà en eux-mêmes inconcevables, doivent donner l’idée de récompenses encore plus inconcevables. On voit bien ainsi la véritable portée de l’épisode d’Ardiée : nous faire entrevoir l’inconcevable le plus inconcevable, l’archi-inconcevable – au sens où cet inconcevable est aussi inconcevable que cette "archè" dont le soleil n’est qu’une image197. Superlatif non pas en tant que degré de comparaison, mais en tant que degré d’intensité maximale198 – degré seulement imaginé. Ainsi l’âme qui est pieuse, qui a été pieuse envers les dieux et les parents199 doit-elle jouir d’une vue imprenable, imprenable dans les filets du logos.

Conclusion

Tel est le fonctionnement de la relation juste/injuste qui, pour commencer, oppose, dans un terme à terme rigoureux, la série du juste et celle de l’injuste, et finit par décrire partiellement le châtiment suprême, maximum, de l’injuste absolu, pour nous suggérer la récompense indescriptible du juste absolu.

Telle est cette poréïa que l’âme d’Er n’effectue pas, mais dont les autres âmes garderont un souvenir tenace, jusqu’à ce qu’elles arrivent aux rives du fleuve Amélès – poréïa qui s’inscrit dans le schéma dégagé plus haut, sans toutefois le perturber.



Plan du mythe

Ce schéma qui récapitule notre analyse des verbes de mouvement de la première classe200 se contente de montrer les trois déplacements fondamentaux de l’itinéraire parcouru en commun par Er et les autres âmes. Il nous faut maintenant en poursuivre l’analyse afin de dresser un plan plus détaillé du mythe.

La première phase de l’itinéraire est constituée d’abord par la poréïa qui conduit au lieu du jugement et ensuite par ce qui se passe en ce lieu, où se déroulent trois sortes d’évènements : premièrement le jugement des âmes (et l’octroi à Er de sa mission) ; deuxièmement le départ de ces âmes, qui coïncide avec l’arrivée d’autres âmes jugées mille ans auparavant ; troisièmement l’assemblée générale de ces âmes dans la prairie où elles racontent leur poréïa de mille années.

La deuxième phase est constituée d’abord par la poréïa qui, ayant la prairie pour point de départ, conduit à cette lumière que les âmes avaient déjà aperçue au cours du voyage ; ensuite par ce qui se passe en ce lieu où elles sont arrivées. Il s’y passe deux choses bien distinctes : premièrement la vision du fuseau de Nécessité, deuxièmement le choix avec ses préparatifs et son contexte philosophique.

La troisième phase est constituée d’abord par la confirmation du choix, puis par le retour au monde du devenir.


































PLAN DU MYTHE D'ER




Essai de reconstitution de l’eschatologie platonicienne

Présentation des mythes

Nous allons maintenant abandonner pour un temps le mythe d’Er, le temps de lire rapidement les autres textes eschatologiques que nous a laissés Platon201. Après quoi nous tenterons de comprendre comment notre texte s’articule à ces autres textes.

Le premier des quatre mythes eschatologiques est celui du Gorgias202. Nous avons déjà parlé de la structure de ce mythe203, disant qu’elle se laisse aisément déterminer par le jeu de l’alternance entre le mythe proprement dit et le commentaire. En effet, après une courte introduction (523a1-3), vient la première partie du mythe (523a3-524a7), où nous sont présentés la loi du temps de Cronos et le discours réformateur de Zeus ; suit le premier commentaire (524a8-d7) qui définit la mort. Le mythe reprend avec le jugement des âmes (524d7-525a7), interrompu par un deuxième commen­taire qui traite des châtiments (525b1-c8) et de la puissance politique (525d1-526b4). Le mythe s’achève avec la suite du jugement des âmes (526b4-d2). Enfin Socrate tire la leçon pratique du mythe (526d3-527a4) et conclut sur les raisons de croire à ce dernier (527a5-c7). On le voit, ce mythe est entièrement consacré au jugement des âmes et à l’exécution des sentences204 prononcées par les juges qui sont nommés.

C’est après le Gorgias et avant la République que semble se placer le Phédon205. Ici la structure du mythe est fort différente ; cependant elle est manifeste et équilibrée : en effet, le mythe se divise en quatre grandes parties dont les deux extrêmes sont proprement eschatologiques, et les deux centrales géographiques. La première partie (107d5-108d3) nous parle du chemin d’Hadès (107d6-108a6) et montre la différence qu’il y a entre le chemin parcouru par une âme juste et celui parcouru par une injuste (108a 6-d3). La seconde partie contient une description de la terre (108d4-111c2) et la troisième de ses régions intérieures (111c3-113c8). Enfin la dernière partie détaille les différentes sortes de salaires que reçoivent les âmes dans l’au-delà (113d1-114c6). Le mythe est suivi d’une conclusion sur son utilité morale (114c6-115a3). À la différence du Gorgias, le Phédon ne parle qu’à peine du jugement même des âmes, mais s’attache surtout à décrire les lieux où les sentences de ce jugement seront exécutées – d’où les parties géographiques du mythe.

Après le Gorgias, le Phédon et la République, vient le Phèdre206. Le mythe qu’il nous propose est différent des trois autres en ce qu’il ne paraît pas de prime abord eschatologique : il s’agit de « se faire une conception vraie de la nature de l’âme, tant divine qu’humaine »207. C’est pourquoi Socrate commence par donner une image de l’âme (246a3-d3) ; ensuite il parle de la procession céleste des âmes (246d3-247c2) puis décrit ce qui se passe dans le "lieu supracéleste"(247c3-248a1) et montre ce qu’il arrive aux âmes non divines lorsqu’elles tentent d’y accéder (248a1-c2) ; enfin c’est le "décret d’Adrastée" qui constitue le passage proprement eschatologique du mythe (248c2-249b6). Il reste que ce passage est préparé par ce qui le précède, de même que l’eschatologie platonicienne dans son ensemble repose sur cette préparation208. Car le Phèdre nous présente, selon l’heureuse expression de L.Robin209, "une double eschatologie" dont la première partie s’intéresse à la vie "pré-humaine", et la deuxième seulement à sa vie "humaine", c’est-à-dire une fois le cycle vie-mort commencé.

Problèmes d’optique

Ce qu’il faut noter d’abord, c’est que chaque dialogue platonicien a son optique propre, et que, par conséquent, le passage que l’on extrait de tel dialogue ne doit pas être coupé radicalement de l’ensemble, sous peine d’être en partie incompréhensible. Ainsi « le véritable sujet du Gorgias est […] la rhétorique » et « il n’est pas jusqu’au mythe final qui ne se rattache étroitement au sujet »210. C’est pourquoi il faut penser que Socrate raconte ce mythe « pour […] montrer la possibilité d’une rhétorique persuasive mais non point pernicieuse »211. Mais on se demande alors pourquoi cet essai de rhétorique non pernicieuse se réalise dans un mythe qui raconte comment les âmes sont jugées après la mort. C’est que le Gorgias « ne peut résoudre [le problème de la rhétorique] sans soulever en cours de route celui de la justice et de l’injustice »212 ; car « la rhétorique est ici uniquement envisagée dans sa valeur politique et morale »213. Le problème de la rhétorique trouve sa solution alors que celui de la justice n’est pas élucidé d’où cette exhortation à la justice qu’est le mythe final214.

Le Phédon est "un sermon sur la mort"215 à l’issue duquel Socrate prêche qu’il faut prendre soin de son âme pendant la vie et aussi dans la mort où elle sera jugée216. Le mythe présentera donc "un ensemble de motifs"217 pour pratiquer la justice, ce qui est la meilleure façon de prendre soin de son âme.

La République s’attache nommément au problème de la justice. La solution passe par la construction de la cité juste (livres II à VII) aussi bien que par l’analyse politique et psychologique de l’injustice (livres VIII et IX). À la fin du dialogue218, on passe en revue les "récompenses de la vertu", parmi lesquelles celles que reçoit le juste dans l’au-delà : c’est dans le mythe d’Er que nous avons une idée de ce que peuvent être de telles récompenses219.

Le Phèdre pose un problème : quel en est le sujet, la rhétorique ou l’amour ? L.ROBIN a montré la "solidarité organique"220 des deux thèmes. Mais comment le passage qui nous intéresse est-il situé par rapport à cette double thématique ? Il est remarquable qu’il soit extrait du second discours de Socrate221. C’est un éloge de l’Amour que Socrate prononce pour prévenir la colère qu’Eros est en droit de manifester contre lui, à cause de son premier discours et du discours de Lysias lu par Phèdre. La palinodie s’oppose aux discours précédents à la fois pour le thème rhétorique et pour le thème érotique. Sa qualité, sur ces deux plans, ne fait aucun doute ni pour Phèdre ni pour Socrate. Pour savoir ce qu’est l’amour, il faut « se faire une conception vraie de la nature de l’âme »222 – l’âme étant « l’objet propre de la vraie rhétorique »223.

On le voit, chacun des quatre mythes eschatologiques qui nous occupent a un contexte qui lui est propre et dont il serait fâcheux de ne pas tenir compte lorsque l’on tente de les rassembler. C’est toujours l’âme dont il s’agit, mais, à chaque fois, le problème est abordé par un biais différent. On en vient toujours à la justice, mais, à chaque fois, par un chemin différent.

Problème de chronologie

Un deuxième problème apparaît lorsque l’on veut comparer ces différents textes : celui de la chronologie. En effet, du Gorgias au Phèdre, il s’écoule peut-être une vingtaine d’années224. Entre la composition de ces deux dialogues, Platon a fondé l’Académie225. Comment dès lors ne pas sentir, à la lecture des quatre mythes, une évolution ? Il reste que, s’il y a évolution, celle-ci ne concerne que des points précis de détails226, mais ne semble pas apparaître pour le fond de l’eschatologie platonicienne. C’est pourquoi une considération d’ensemble de ces textes paraît tout à fait possible.

La première eschatologie

Ces réserves faites, nous pouvons maintenant risquer une reconstitution générale de l’eschatologie platonicienne. Celle-ci, telle que nous la présentent les mythes du Gorgias, du Phédon et de la République, s’intéresse au sort de l’âme après la mort227, autrement dit de l’âme qui a déjà été liée à un corps terrestre228. Telle que nous la présente le mythe du Phèdre, elle ne s’intéresse qu’en deuxième lieu au sort de l’âme après la mort : elle commence par s’occuper de l’âme avant qu’elle se lie à un corps terrestre, avant toute vie humaine229. C’est pourquoi, malgré l’ordre chronologique, il faut, si l’on veut avoir une vue d’ensemble de l’eschatologie platonicienne, commencer par le Phèdre. La première partie du "décret d’Adrastée"230 concerne la première génération231 des âmes qui, faute d’avoir pu se maintenir en équilibre dans le ciel (où elles essayaient de suivre le cortège des dieux afin de pouvoir contempler « la réalité » supracéleste « qui réellement est sans couleur, sans figure, intangible »232) sont tombées sur la terre. Leur première génération, leur première vie humaine sera déterminée par le degré de leur contemplation ; il y a ainsi neuf degrés auxquels correspondent neuf « espèces d’hommes et d’occupations »233, du philosophe au tyran234. Il est bien évident que cette première partie du "décret" est intimement liée à ce qui la précède dans le mythe, et, partant, à la doctrine de l’âme telle qu’elle apparaît dans le Phédon puis dans la République235.

Premier moment de la seconde eschatologie

Au terme de cette première vie terrestre, les âmes sont jugées ; là commence ce que L.ROBIN nomme "la seconde eschatologie"236 : nous disposons, pour connaître cette eschatologie, de la totalité des mythes du Gorgias, du Phédon, de la République et de la deuxième partie du "décret d’Adrastée"237.

Lorsqu’elle a terminé sa première existence238, chaque âme « est prise en main par le démon qui lui avait été attribué pendant sa vie, pour être conduite par lui en un lieu où les âmes des morts rassemblées » attendent d’être jugées239. Le lieu du jugement est situé entre terre et ciel : il est "démonique"240 ; c’est une "prairie"241 au milieu de laquelle les juges sont assis242. Rhadamante juge les âmes qui ont passé leur vie en Asie, Éaque celles qui ont vécu en Europe ; quant à Minos, il a mission de "surarbitrer, au cas où l’un des deux autres serait dans l’embarras, afin que le jugement […] soit le plus juste possible »243. Les juges « examinent l’âme de chacun, sans savoir à qui elle appartient »244, après quoi ils font porter à l’âme un écriteau contenant le détail de la sentence et que les justes portent par devant, les injustes par derrière245. Les justes reçoivent alors l’ordre de « se mettre en route en prenant le chemin de droite qui monte à travers le ciel », alors que les injustes doivent prendre « le chemin de gauche qui descend » dans la terre246. Il y a trois sortes d’injustes. Premièrement ceux qui ont eu une vie "mixte"247, faite à la fois d’injustice et de justice : ils vont dans le marais Achérousiade248 où ils payent leurs injustices et sont récompensés de leurs bonnes actions249. Deuxièmement ceux qui ont commis de grandes fautes : ils tombent dans le Tartare250 où ils restent un an, puis ils sont emmenés par le Cocyte251 (les meurtriers) ou par le Pyriphlégéthon252 (ceux qui ont fait violence à leurs parents) vers le marais Achérousiade où ils supplient leurs victimes de les faire sortir ; et le circuit recommence tant que leurs victimes ne veulent pas les faire sortir et les recevoir ; le circuit est douloureux253. Troisièmement « ceux qui semblent incurables à cause de la grandeur de leurs fautes » sont « jetés dans le Tartare d’où jamais ils ne ressortent »254. Quant aux justes, ils sont de deux sortes. Premièrement « ceux qui semblent avoir rivalisé de piété »255, « âmes généreuses et nobles mais dénuées de philosophie »256, ne vont pas à l’intérieur de la terre, mais « arrivent en haut en une demeure pure257 et habitent sur la terre258. Deuxièmement, le philosophe, l’homme « qui, durant sa vie, s’est occupé de ses affaires au lieu d’être un touche-à-tout »259 ; qui, pendant sa vie, s’est « suffisamment purifié »260 ; qui « a été un loyal ami du savoir ou qui a aimé les jeunes garçons d’un amour philosophique »261 ; l’âme de cet homme et celles de ses pareils « arrivent à des demeures encore plus belles que celles dont je viens de parler et ces demeures, il n’est pas facile de les décrire »262.

Mais la seconde eschatologie263 ne concerne pas seulement le jugement et l’exécution de la sentence. Seul le Gorgias se limite à cela264. Les trois autres mythes nous parlent de la palingénésie qui constitue le deuxième moment de cette seconde eschatologie. Celle-ci se déroule en trois temps : d’abord, les âmes contemplent le fuseau de Nécessité ; ensuite, elles choisissent une nouvelle vie ; enfin, elles retournent à la génération. Seule la République nous présente ces trois moments dans tous leurs détails265. Le Phédon note seulement qu’« après que les âmes ont eu (chez Hadès) le sort qu’elles méritaient, et y sont restées le temps qu’il fallait, c’est un autre guide qui les ramène ici »266. Bien que PLATON ne semble pas avoir prévu ici les détails que nous livre le mythe d’Er, du moins ceux-ci ne contrediront pas ce passage. Quant au Phèdre, il affirme qu’« à la millième année267, les unes (âmes injustes) et les autres (âmes justes), venues pour tirer au sort et choisir leur deuxième existence, la choisissent chacune à son gré »268. Cette affirmation serait incompréhensible si la République n’avait pas donné les détails du choix de la nouvelle vie. De ce point de vue, elle est une allusion sans ambiguïté au mythe d’Er, mais n’apporte rien de neuf.

Les justifications eschatologiques du passage cosmologique du mythe d’Er

Il semble donc que le mythe d’Er suffise pour connaître le déroulement du deuxième moment de la seconde eschatologie. En fait il n’en est rien. Deux textes doivent être sollicités pour une pleine compréhension de ce qu’est la contemplation du fuseau de Nécessité. Que voient les âmes lorsqu’elles passent devant le fuseau ? Elles voient une structure harmonieuse, un emboîte­ment269. Quel est donc l’intérêt pour les âmes de contempler cette structure harmonieuse ? Est-il légitime de séparer ce passage du reste du mythe sous prétexte qu’il faut distinguer l’astronomie270 de l’eschatologie, tout en constatant que dans le mythe d’Er « la destinée des âmes apparaît liée à l’ordre cosmique universel »271 ? En fait le "passage cosmologique" du mythe d’Er se justifie du point de vue eschatologique de deux façons.

Tout d’abord, à l’intérieur de la République, Socrate ne dit-il pas que « peut-être il y a dans le ciel un paradigme [de la cité idéale] pour qui veut le voir et, le voyant, poser les fondements de sa propre existence ; il est indifférent que cette cité existe ou doive exister quelque part, car il réglera son action sur les [lois] de cette cité seulement, et sur celles d’aucune autre »272 ? N’est-ce pas en contemplant avec un regard qui sait voir le fuseau de Nécessité que l’âme pourra « poser les fondements de sa propre existence », de l’existence qu’elle va choisir juste après avoir contemplé le fuseau ? Il est clair que ce passage du livre IX annonce le mythe d’Er, et plus précisément son passage "cosmologique"273. Bien sûr, « la Cité "idéale" ne se confond pas avec son "Modèle dressé dans le ciel" »274, et le fuseau n’est pas la cité idéale. Le fuseau est plutôt un modèle de justice, en ce sens que ses différentes parties (les pesons emboîtés et la tige) fonctionnent avec une harmonie parfaite275. Modèle de la cité juste où chacun accomplit sa tâche276 ; modèle de l’âme juste dont chaque élément accomplit son œuvre propre277. Ainsi le passage "cosmologique" se situe bien entre le jugement et l’exécution de la sentence, d’une part, et, d’autre part, le choix de la nouvelle vie. Car si « le paradigme apparaît comme un principe d’inspiration plutôt que comme un modèle qu’on puisse, trait pour trait, reproduire dans une "copie conforme" »278, le fuseau de Nécessité est là pour que les âmes s’inspirent de la justice qu’il concrétise, au moment où elles devront choisir une nouvelle vie.

La deuxième façon de justifier eschatologiquement le passage "cosmologique" du mythe d’Er consiste à considérer que le fuseau a pour fonction de figurer pour les âmes quelque chose qui leur rappelle leur vie préhumaine279, avant leur première chute sur la terre, telle que le Phèdre la décrit280. De même que leur première existence est déterminée par le degré de leur contemplation de la réalité supracéleste, de même chaque nouvelle existence (c’est-à-dire le choix que chaque âme va opérer) est déterminée par la plus ou moins bonne qualité de la vision que les âmes ont du fuseau. Cette vision sera de bonne qualité si elle s’accompagne du souvenir de ce que l’âme a vu avant sa première chute. Et si le fuseau peut être l’occasion de ce souvenir, c’est parce qu’il est ce modèle dont nous avons parlé, modèle qui se substitue à cette "Justice en elle-même" que contemplent les âmes divines et que certaines âmes non divines ont pu, avec peine, contempler281. Il est donc clair que le passage "cosmologique" du mythe d’Er n’est pas un texte où Platon a seulement voulu glisser les résultats de ses recherches astronomiques. Ce passage est partie intégrante de l’eschatologie platonicienne.

Deuxième moment de la seconde eschatologie

Le deuxième moment de la seconde eschatologie nous est donc livré, dans ses trois temps, par le mythe d’Er et deux autres textes qui éclairent la portée eschatologique du premier temps. Mais l’eschatologie platonicienne a, si l’on veut, deux vitesses. La première, celle qui mesure l’eschatologie telle que nous venons de la présenter, est calculée d’après la durée de la vie humaine et le facteur dix282 : la vie d’une âme dans l’au-delà dure mille années283. Par conséquent une âme renaît, en toute logique, tous les 1100 ans. La deuxième vitesse eschatologique, nous ne la connaissons que par le Phèdre : « aucune âme […] ne retourne avant dix mille années au point d’où elle était partie (c’est-à-dire la compagnie des âmes divines) ; car, avant ce temps, elle ne recouvre pas ses ailes »284. Autrement dit, tous les dix mille ans, c’est-à-dire au terme de leur neuvième vie terrestre285, les âmes se retrouvent dans le même état qu’avant leur première génération – état décrit par le début du mythe du Phèdre286. Il est cependant des âmes qui n’ont pas à attendre si longtemps pour recouvrer leurs ailes : ce sont celles des philosophes287 qui, si leurs trois premières existences terrestres sont bien des vies philosophiques, auront « le privilège d’un retour anticipé à son lieu d’origine »288.

Puis, lorsque l’âme, ailée, froisse ses ailes, perd l’équilibre dans le ciel, c’est la chute, et, avec la chute, la première eschatologie commence. Ainsi la boucle est fermée ; notre reconstitution – à grands traits – de l’eschatologie platonicienne dans son ensemble est terminée. Nous avons exposé la première eschatologie289, le premier moment de la seconde290, puis le deuxième moment291 ; enfin nous avons vu ce que l’on pourrait appeler la "grande eschatologie"292 par laquelle nous repassons de la seconde à la première eschatologie.



LE PANORAMA

Nous allons maintenant revenir à notre texte, et plus précisément – pour cette deuxième grande partie de notre mémoire à cette partie du mythe que nous avons appelée "cosmologique" et que nous avons cru devoir justifier du point de vue eschatologique293. Au centre de la scène, se dresse le fuseau de Nécessité dont on connaît d’abord la tige et le crochet qui sont en pur adamas294, et ensuite le peson multiple qui est un alliage d’adamas avec d’autres métaux295. La tige, c’est l’axe du monde ; le peson, le monde. « La signification (cosmologique) de ce mythe est, d’ailleurs, en tout point, transparente ; comme le fait remarquer THÉON DE SMYRNE296, "les gaines297 creuses, emboîtées les unes dans les autres, qui entourent l’axe du fuseau sont les sphères des astres, savoir, à l’intérieur, les sept sphères des astres errants, et, à l’extérieur, la première sphère, celle des étoiles fixes’’ »298. C’est pourquoi le lieu où sont les âmes, lorsqu’elles voient le fuseau, peut ts bien être appelé "pan-oramique". Mais les âmes ne voient pas le Tout, seulement un fuseau qui le symbo­lise299. Quelle que soit l’importance cosmologique de ce passage, nous ne pouvons pas l’isoler de son contexte eschatologique, c’est-à-dire mythique. En d’autres termes, nous pensons que l’étude qu’il faut faire de ce passage, s’il lui faut passer par l’interprétation strictement cosmologique300, doit s’attacher surtout à travailler sur la signification des images, métaphores et comparaisons dont ce passage fourmille. C’est par l’analyse des images que nous pourrons comprendre en quoi ce passage est extrait d’un mythe eschatologique. Nous ne donnerons que des éléments de cette analyseanalyse interminableafin de rester dans les limites d’un mémoire, en considérant trois centres d’intérêt : premièrement les déterminations de l’axe du monde (infra pp.40-46) ; deuxièmement, l’idée d’harmonie (infra pp.46-51) ; et enfin nous tenterons une reconstitution scénique de ce drame dont les acteurs se nomment Nécessité, Moires et Prophète (infra pp.60-75).

L’axe

L’adamas

métal inconnu

Quelle est cette matière dont est faite la tige du fuseau ? Qu’est-ce que l’adamas ? Les traducteurs du mythe d’Er semblent unanimes pour l’identifier à l’acier, sauf P.DUHEM qui pense au diamant301. Selon A.A.BARB, qui semble être le dernier à avoir traité le problème de l’adamas302, il faut ajouter un troisième sens possible pour ce terme : le fer. En fait, il y a deux séries de sens : « fer ou acier, d’une part, et, d’autre part, diamant (selon d’autres, minerai très dur, pierre précieuse ou émeri) »303.

Mais, plutôt que de reprendre l’article de A.A.BARB, nous préférons rapprocher entre eux les quelques textes platoniciens où apparaît le mot ‘adamas’. Parmi eux, deux sont importants : Politique 303d9-e5 et Timée 59b4-5. Le premier nous apprend que l’adamas est un métal pur, précieux, mêlé à l’or de la même race que lui en même temps que le cuivre et l’argent, mais plus rare que ces derniers. C’est par le feu que l’on sépare l’or de ces trois autres métaux. Par conséquent, l’adamas n’est pas le diamant qui, lui, ne résisterait pas à l’épreuve de la flamme304 ; d’autre part, l’adamas est un métal pur, ce que n’est pas l’acier305. Le deuxième texte nous dit que « le nœud de l’or306, qui par sa densité307 est ce qu’il y a de plus dur et qui est de couleur noire, a été appelé adamas »308. Donc, même si ce métal ne semble correspondre à aucun métal connu, l’adamas est, chez PLATON, un métal déterminé : métal pur, précieux, noir, très dur, qui a un rapport étroit avec l’or, et plus rare que l’argent et le cuivre.

métal indomptable

Il nous paraît peu vraisemblable que l’adamas soit, comme le pense A. A. BARB309, le fer. Le grec a pour le fer un mot très employé : σίδηρος. D’autre part, le fer n’est pas plus rare que l’argent ou le cuivre. Ce que le fer et l’adamas ont en commun, c’est la dureté : il leur arrive d’être associés de ce point de vue310. Dans ce cas, l’adamas a un emploi métaphorique : ici, des « raisons de fer et d’adamas » lient des vérités311 ; là, Glaucon affirme que personne « ne serait de nature assez ada­mantine pour persévérer dans la justice » alors qu’il peut impunément commettre des injustices312 ; plus loin, il faut garder une opinion « avec une inflexibilité adamantine »313, « dur comme fer »314, « dur comme l’acier »315 ; ailleurs, l’adamas apparaît comme critère de l’inflexibilité, de l’inalté­rabilité maximales316.

Que le terme soit pris dans son emploi minéralogique ou dans son emploi métaphorique, son étymo­logie paraît constamment exploitée317 : l’a-damas, c’est l’indomptable318, l’invincible, ce qui ne peut être soumis, etc. Il semble que cette étymologie confère au terme sa valeur sémantique fondamen­tale.

D’ailleurs, Platon, dans l’emploi métaphorique du terme, ne fait que reprendre une métaphore attestée depuis HÉSIODE. Ainsi, la poitrine d’Eurybié renferme « un cœur (θυμόν) d’adamas »319 et les hommes de la race de bronze ont, eux aussi, « un cœur d’adamas »320 ; un fragment de PINDA­RE contient la même image : il « s’est forgé un cœur (χαρδίαν) en adamas ou en fer »321 ; quant à HÉRODOTE, il rapporte un oracle dans lequel la Pythie proclame : « Je vais de nouveau t’annoncer ma parole (ἔπος), elle est d’adamas »322. L’adamas fait d’un cœur un cœur impitoyable et inflexible, d’une parole une parole irrévocable et fatale. C’est encore d’adamas que sont faits les « infrangibles entraves et les liens »323 dans lesquels Héphaistos doit, malgré lui, enchaîner Prométhée ; « le seul autre titan que j’aie vu jusqu’ici dompté par la douleur dans d’ignominieuses chaînes d’adamas », dit le chœur, « c’est Atlas, ce dieu aux forces prodigieuses, qui soutient sur son dos la terre et le pôle céleste »324. Ici aussi, quand même l’adamas est pris au sens propre, il ne faut pas oublier son étymologie : pour dompter Atlas, « dieu aux forces prodigieuses », il fallait que les chaînes fussent en adamas, en "indomptable". Il n’y a que l’indomptable pour dompter un dieu prodigieusement fort.

métal eschatologique

Que l’adamas soit présent dans un contexte eschatologique, cela non plus n’est pas nouveau. L’adamas est un métal que les Moires connaissent bien. SOPHOCLE, en effet, nous apprend que « la Destinée325 tisse avec des navettes d’adamas »326. Ce que tisse la Moire est, par conséquent, irrévocable, comme la parole de la Pythie. Dans le mythe d’Er, c’est une partie du fuseau qui est en adamas. Or, avant que PLATON en fasse la propriété de Nécessité, le fuseau est l’emblème des Moires327. L’adamas est donc une des composantes essentielles des instruments des Moires. De ce point de vue, Platon ne fait que prolonger une tradition dont SOPHOCLE témoigne.

métal cosmologique

Mais que vient faire l’adamas dans un texte cosmologique ? S’il est clair qu’il est traditionnellement un "métal eschatologique", en quoi est-il un " métal cosmologique" ? Qu’est-ce qui confère à ce métal un rôle cosmologique ? Il semble que là encore PLATON soit l’héritier d’une tradition bien établie. C’est en effet HÉSIODE328 qui nous fait connaître la fonction essentielle de l’adamas. D’ailleurs, les premiers textes grecs connus où apparaît l’adamas sont ceux d’HÉSIODE. On peut classer les occurrences hésiodiques de ce terme en trois groupes.

Dans le premier groupe, l’adamas est la matière, métaphoriquement, du "thumos" de telle divinité ou de tel homme329. Dans le deuxième groupe, l’adamas est proprement un métal330, mais un métal clair : il est blanc-grisâtre331 et pâle332.

C’est dans le troisième groupe333qui n’est en fait qu’un sous-groupe du deuxièmequ’HÉSIODE nous livre la valeur foncièrement cosmologique, ou plutôt théocosmogonique, de l’adamas, qui se situe dans le contexte de la théocosmogonie hésiodique. Celle-ci décrit l’’’histoire du monde", depuis son origine jusqu’à l’avénement de la puissance de Zeus. L’adamas intervient au tout début de cette histoire. Il est la matière (τὸ γένος) que crée Gaïa pour en faire l’arme au moyen de laquelle son fils Cronos334 mutilera son père Ouranos et mettra fin à son règne. La fonction mythique originelle de l’adamas est de mettre un terme à la fécondité odieuse et désordonnée d’Ouranosfécondité dont souffraient Gaïa et ses fils335. En « fauchant »336 les organes génitaux de son père, Cronos rend impuissant Ouranos, en tant que ce dernier était principe de désordre. Ainsi le Temps337 devient le maître du monde ; « le principe qui met fin au règne d’Ouranos est la progression temporelle, la nécessité évolutive elle-même »338 ; et l’ordre règne dans le monde. On voit bien l’importance cosmique de l’adamas : il est la matière de l’instrument de la mise en ordre du mondeinstrument du temps.

De cette histoire se dégage un des caractères essentiels de l’adamas : son caractère sexuel. Celui-ci est déjà manifeste au niveau de l’analyse étymologique du terme339. La femme ou la déesse qui ne se laisse pas soumettre par un homme ou un dieu est ἀδάματος340. En effet les verbes δαμάζω et δάμνημι, employés déjà par HOMÈRE puis par HÉSIODE, signifient à la fois "soumettre par les armes ", "vaincre par le combat"341, mais aussi "soumettre érotiquement"342. C’est pour ne plus subir la loi érotique d’Ouranos, pour n’être plus violemment domptée, que Gaïa fabrique l’indomptable adamas, et en fait un instrument castrateur343. Cette castration aura pour effet de fixer et de figer une distance entre Gaïa et Ouranos distance infranchissable.

Le rôle cosmologique de l’adamas est évident : c’est par lui que s’instaure d’une façon fixe et définitive la distance entre le ciel et la terre ; grâce à lui, la relation terre/ciel se stabilise définitivement. Cette stabilisation coïncide avec l’avènement de la souveraineté du Temps344 ; et l’instrument de cette stabilisation et de cet avènement, c’est une faucille en adamas, ou, plus précisément345, tout objet crochu pour saisir et couper, instrument agricole346. La figure de cet objet n’est pas sans rappeler le crochet du fuseau de Nécessité347.

Qu’une tige d’adamas symbolise l’axe du monde, cela n’a donc rien d’étonnant. À partir d’HÉSIODE, l’adamas peut symboliser la stabilité des relations des parties du monde entre elles, l’ordre cosmique inébranlable.

L’adamas figure donc dans le mythe d’Er, non seulement pour son étymologie, mais aussi pour les contextes eschatologique et cosmologique traditionnels où il est installé depuis fort longtemps. Contexte eschatologique : les instruments des Moires sont faits d’adamas ; contexte cosmologique : l’adamas est le garant de l’irréversibilité de l’ordre du temps et de l’inébranlabilité de l’ordre du monde348.

La lumière dans sa valeur cosmologique

Mais l’adamas n’est pas la seule détermination par laquelle Platon tente de nous donner une idée de ce que peut être l’axe du monde. Avant que les âmes arrivent au fuseau, elles passent par un « endroit d’où elles voyaient une lumière droite, comme une colonne, tendue depuis le haut à travers tout le ciel et la terre, ressemblant surtout à l’arc-en-ciel, mais plus brillante et plus pure »349. Il semble que cette lumière soit l’axe même du monde350, malgré PROCLUS351. La reprise de termes identiques dans le Timée ne laisse aucun doute352. « Cette lumière est ce qui assemble et lie le ciel »353 : « comme les ceintures des trières, elle maintient assemblée toute sa révolution »354. On le voit, les métaphores, les comparaisons et les déterminations de l’axe ne manquent pas.

L’axe est une lumière. Là encore, il faut revenir à HÉSIODE pour comprendre la place de cette lumière dans la théocosmogonie. Les fruits de la fécondité désordonnée d’Ouranos enfants tous plus terrifiants les uns que les autresne connaissent pas la lumière (φάος)355 parce qu’elle n’existe pas encore. Certes le jour (ἡμέρη) existe356 mais l’odieuse avidité amoureuse d’Ouranos amène tou­jours la nuit357. La lumière (φάος) n’existera qu’après la castration dont l’adamas était une condition nécessaire. La naissance de la lumière qui éclaire l’espace séparant le ciel et la terre est donc solidaire de l’avènement de l’ordre du temps. Dans le déroulement de l’histoire hésiodique du monde, la lumière et la stabilité des relations des parties du monde entre elles sont contemporaines ; toutes les deux sont l’œuvre de l’adamas. Et si, dans le mythe d’Er, l’adamas (symbole de l’axe du cosmos) et la lumière (l’axe même) signifient la même réalité, c’est parce que l’ordre du temps, « la nécessité évolutive »358, est déjà maître du monde. La valeur cosmologique de la lumière est donc intimement liée à celle de l’adamas.

La luminosité de l’adamas

L’adamas est noir, mais non comme la nuit est noire (μέλαινα)359. Le noir de l’adamas est lumineux, éclatant (μέλανθεν)360. On peut comparer son éclat à celui de la pourprenon pas de la pourpre « risiblement délavée »361, mais de cette pourpre dont le Phédon nous dit qu’elle est une des véritables couleurs de la véritable terre362. Elle est « d’une beauté prodigieuse »363; comme les autres véritables couleurs de la véritable terre, elle est « plus brillante et plus pure »364 que la pourpre de la palette du peintre. Le caractère principal de la vraie pourpre, c’est, outre sa beauté365, son indélébilité, due à son éclat maximal366. À l’indomptabilité de l’adamas correspond l’indélébilité de sa couleur éclatante. La luminosité du noir métal est cet éclat inaltérable même. Quant à l’axe de lumière, il est, tel l’arc-en-ciel, de toutes les couleurs, mais ces couleurs sont aussi indélébiles, aussi éclatantes que le noir de l’adamas est lumineux367.

La valeur eschatologique de la lumière n’a plus à être montrée. Nous l’avons déjà partiellement fait368. Qu’il suffise de rappeler que la lumière, comme valeur eschatologique, manifeste le renver­sement de l’eschatologie pleurnicharde et sombre d’HOMÈRE que PLATON opère. Quant à la valeur philosophique de la lumière, P.M.SCHUHL l’a clairement établie369.

La colonne dans sa valeur cosmologique

Que la lumière-axe du monde soit comparée à une colonne370, cela aussi est lourd de sens. Le texte qui nous vient immédiatement en tête est ce passage d’HOMÈRE où Athéna dit qu’Atlas « veille, à lui seul, sur les hautes colonnes qui maintiennent séparés la terre et le ciel »371. Le pluriel gêne PROCLUS pour qui ces deux vers ont « induit en erreur » ceux qui font de la lumière l’axe du monde372. Mais ce pluriel n’a pas fait long feu. Chez HÉSIODE, il n’y a plus qu’une colonne : c’est Atlas lui-même qui, « en face des Hespérides au chant sonore, soutient le vaste ciel, debout, de sa tête et de ses bras infatigables »373. Chez ESCHYLE, « Atlas, debout, […] soutient sur ses épaules la colonne qui sépare le ciel et la terre »374. Quant à HÉRODOTE, voici ce qu’il nous écrit sur la « montagne qu’on appelle Atlas » : « elle est étroite, parfaitement ronde et si haute que, dit-on, la cime en demeure invisible […]. C’est la colonne qui soutient le ciel »375.

"Soutenir le ciel" signifie la même chose que "maintenir séparés la terre et le ciel" ou "soutenir la colonne qui sépare le ciel et la terre". La fonction de la colonne est de garantir la distance entre le ciel et la terre, d’empêcher que cette distance s’abolisse. Après que l’adamas l’a instaurée376, et que la lumière l’a remplie377, la colonne maintient fermes et fixes les limites de l’espace entre terre et ciel. Par ailleurs, "la colonne qui sépare le ciel et la terre" renvoie directement, dans le mythe eschylien d’Atlas, à l’adamas378.

Conclusion

On le voit, que ce soit l’adamas, la lumière ou encore la colonne, les termes qu’Er emploie pour déterminer l’axe du monde379, Platon ne les a pas inventés de toutes pièces. De même qu’Athéna est sortie de la tête de Zeus après que celui-ci eut « avalé l’une de ses femmes, Métis dont le nom veut dire Sagesse »380, ainsi l’adamas, la lumière et la colonne sont sortis de la tête de PLATON, après que celui-ci eut avalé et assimilé quelques unes de ces traditions dont témoignent HOMÈRE, HÉSIODE, ESCHYLE, PINDARE, SOPHOCLE ET HÉRODOTE. Ces termes sont les rejetons d’une tradition antique et vivace, comme Athéna est fille de Métis. Encore ne sont-ils que quelques fils de ces traditions que les Grecs tissent depuis plusieurs siècles. Tous les trois nous montrent que pour PLATON la fonction essentielle de l’axe du monde est d’assurer, de garantir la stabilité de ce dernier et, partant, de rendre possible sa cohésion. C’est sur cette cohésion, qui a pour autre nom harmonie, que nous allons maintenant nous pencher.



L’harmonie

Introduction

Dans le passage cosmologique du mythe d’Er, le mot "harmonie" n’apparaît que pour désigner « l’harmonie des Sirènes »381. Mais « le sens du mot "harmonie" n’est pas spécifiquement musical à l’origine : il désigne la juste proportion d’un tout dont les parties s’emboîtent convenable­ment"382. L’harmonie des Sirènes n’est que la version musicale de la structure du peson du fuseau de Nécessité. Comment ce peson est-il fait ? C’est « comme si, dans un grand peson creux et évidé de part en part, un autre semblable, mais plus petit, était emboîté, comme des vases qui s’emboîtent les uns dans les autres »383. C’est une sorte de peson gigogne composé de huit éléments : « au total, il y a huit pesons, les uns dans les autres ; leurs bords paraissent, vus d’en haut, des cercles, et forment, autour de la tige, la surface continue d’un peson unique ; en fait, la tige traverse384 de part en part le huitième peson par le milieu »385. Sur chacun des huit cercles, se tient une Sirène qui émet un seul son, une seule note et l’ensemble des huit sons forme un accord unique386. À chaque cercle correspond une Sirène. De même que les huit pesons s’emboîtent (ἁρμόττειν) les uns dans les autres, pour ne former qu’un peson continu (συνεχής) de même les huit sons émis par les Sirènes s’accordent en un accord (ἁρμονία) continu, cohérent. Telle est la cohésion387 du monde : un accord formé d’éléments qui se tiennent entre eux (συνέχειν). Chaque élément a sa fonction qui n’est celle d’aucun autre, mais chacun entretient avec les sept autres des relations réglées harmonieusement388 dont l’adamas garantit l’inaltérabilité.

C’est pour mieux faire connaître quelle est la cohésion du monde, que Platon, après avoir fait allusion à son indéfectibilité389, s’attache à montrer comment chaque élément du monde ne ressem­ble à aucun autre. Ces éléments laissent voir leurs différences de cinq façons : du point de vue de leur grandeur (leur éloignement par rapport à la tige), de la largeur de leur bord, de leur couleur, de leur vitesse et de la note que chante leur Sirène. Mais la grandeur d’un peson ne se mesure pas en elle-même, elle se détermine dans son rapport avec les grandeurs des autres pesons390. De même la largeur du bord de tel peson est connue non par la mesure étalon qu’on lui appliquerait, mais par le rang qu’elle occupe dans l’ordre (décroissant) des largeurs391. De même encore la vitesse392. L’ordre des couleurs est plus complexe.

Les couleurs

Il y a cinq couleurs différentes sur le peson : le bigarré393, le brillant394, le jaune395, le blanc396 et le rougeâtre397. En fait, le bigarré n’est pas une couleur. Il s’agit de ces broderies que sont les constellations, qui décorent le ciel398 ; ou encore des nombreuses variétés de couleurs399. C’est la variété, la diversité qui importe, beaucoup plus que les couleurs400. La bigarrure était d’ailleurs à la mode lorsque Platon écrivit la République401.

Le brillant

Le bigarré étant moins une couleur que du varié (de couleurs), du poly(-chrome), il reste quatre couleurs proprement dites. La première est le brillant, une des couleurs primitives du Timée402, mais qui ne fait pas partie des quatre couleurs dont se servaient les anciens peintres403. Que le soleil et la lune (les septième et huitième cercles) soient brillants, HOMÈRE404, HÉSIODE405 et EMPÉDO­CLE406, par exemple, l’ont déjà dit. Mais le brillant est-il une couleur proprement dite ? Et surtout une couleur fondamentale407 ? « C’est là, dit L.BRISSON408, que se pose tout le problème des autres variétés de couleurs (secondaires), car nous ne sommes pas habitués à nous arrêter à l’étincellement et à l’éclat d’une couleur : ce ne sont pour nous que des traits secondaires. Mais, pour Platon, étincellement et éclat entrent dans les mélanges qui donnent naissance aux couleurs ». Puis L.BRISSON passe à l’analyse des couleurs secondaires, sans résoudre le problème qu’il vient de soulever409. Peut-être est-il insoluble. Nous n’avons pas, bien évidemment, la prétention de le résoudre. Au mieux espérons-nous apporter quelques éléments qui nous signifient le rôle du brillant sur le fuseau de Nécessité, d’une part, et, d’autre part, dans la liste des couleurs fondamentales.

« Le septième cercle était le plus brillant (λαμπρότατον), et le huitième tenait sa couleur (τό χρῶμα) du septième qui l’illuminait (προσλάμποντος, littéralement : "qui brillait sur lui") »410. Le brillant du soleil se communique à la lune et lui donne sa couleur. THALÈS déjà disait que « la lune est illuminée par le soleil »411. Ici, il s’agit de lumière, et non, comme dans notre texte, de couleur. Mais d’autres textes platoniciens montrent clairement quel genre de lumière est le brillant. Dans un passage de l’Alcibiade (134d4-5 et e4-6), ce que nous traduisons par "brillant" apparaît comme synonyme de "divin"412, et ce couple s’oppose au couple "obscur-non divin" – opposition qui se trouve dans le prolongement de l’opposition justice/injustice413. Ici, λαμπρόν peut se traduire par "lumineux"414, ou, mieux, par "brillant de lumière"415. Le brillant est divinement lumineux. Dans le mythe d’Er, le soleil est ce qu’il y a de plus brillant, et, partant, de plus divin. Il est ce qui, dans le ciel, nous donne le mieux l’idée du divin. On ne peut ici s’empêcher de penser au début du livre VII de la République : c’est l’ ’’idéa’’ du Bien qui enfante, dans l’univers sensible, la lumière et son maître, le soleil416. Ce dernier, en effet, est « le fils du Bien, que le Bien a engendré analogue à lui-même »417. Quelle est cette analogie ? « Il faut donner ici au mot analogie son sens propre de proportion mathématique »418. Pour l’instant, nous n’avons pas à analyser cette analogie. Contentons-nous de prendre en considération l’un de ses côtés : celui du monde visible. PLATON nous y livre sa théorie de la vision.

Une vision n’est effective, réelle qu’à trois conditions. La première est que la faculté de voir (ἡ ὂψις) soit dans les yeux, et que celui qui a cette faculté entreprenne de s’en servir419. La deuxième, que la couleur (ἡ χρόα) soit présente dans les choses420. Une chose n’est visible que si elle est colorée. Sans couleur, elle n’existe pas. En effet, « l’objet propre » du phénomène visuel, c’est « le champ des couleurs »421. S’il n’y a pas de couleur, l’œil n’a rien à voir, la vue est sans objet422. La troisième condition est la plus importante parce que, si elle n’est pas satisfaite, la deuxième ne pourra l’être423 et le résultat sera que « la vue ne verra rien et que les couleurs seront invisibles »424. Le Théètète et le Timée425 ne disent pas autre chose : pour qu’il y ait sensation visuelle, il faut premièrement que de l’objet « émane une effluence qualitative » ; et deuxièmement que du sujet vienne « un flux sensitif ». Mais cela ne suffit pas ; il faut encore que « les deux rayons se rencon­trent » ; et pour que cette rencontre ait lieu, il faut « un espace intermédiaire […] entre leur source d’origine »426, entre la chose à voir et les yeux qui veulent voir. Cet espace, c’est la lumière427, dont la présence est la troisième condition de l’effectivité de la vision428. Le Timée précise qu’il s’agit de « la lumière du jour »429, et non de la « lueur nocturne »430. De cette lumière dont le maître est le soleil431.

Pour qu’il y ait couleur, il faut donc que le soleil brilleet c’est là que nous voulions en venir. Si le brillant n’existait pas, il n’y aurait pas de couleurs, et c’est pourquoi PLATON l’inclut dans la liste des couleurs fondamentales432. En fait, il y a deux façons de considérer le brillant. Comme condition inconditionnée de toute couleur, et, par conséquent, de toute vision réelle, c’est la lumière du jour qui émane du soleil. Comme couleur fondamentale, le brillant est ce qui éblouit et fait pleurer433 ; une couleur-limite à l’extrême du visible, du soutenable. Et c’est là toute la différence avec la lune : celle-ci a une véritable couleur434, un brillant de second rang que l’on peut regarder sans pleurer. Elle n’est pas une lumière (φῶς) mais une lueur (φεγγή) ; lorsqu’il n’y a que cette lueur pour nous éclairer, nos yeux « perdent leur acuité et semblent presque aveugles comme s’ils n’étaient point doués de vue nette »435. En passant du soleil à la lune, le brillant perd son caractère lumineux pour devenir une couleur fondamentale supportable par les yeux. Plus le brillant est brillant, plus il illumine, plus il permet aux couleurs d’être vues, moins il est visible comme couleur. Moins le brillant est brillant, moins il illumine, moins il permet aux couleurs d’être vues, plus il est visible comme couleur. Telle est l’amphibologie du brillant qui peut passer de l’état de condition à celui de conditionnépassage continu, de la lumière la plus brillante (ou du brillant le plus lumineux) à cette couleur brillante qui tire sur le jaune436.

On voit bien maintenant ce que peut signifier la présence du brillant dans la liste des couleurs fondamentales, et, par conséquent, sur le fuseau de Nécessité. Lumière génératrice de toute couleur (le soleil) et couleur fondamentale (la lune), le brillant est sur le fuseau pour ces deux raisons. Il participe au mélange qui forme le jaune d’or en même temps qu’il permet la visibilité des différentes couleurs du peson et qu’il se laisse voir pour lui-même.

Le jaune d’or

Les quatre couleurs du peson sont donc le brillant, le jaune d’or, le blanc et le rougeâtre437 : trois couleurs fondamentales, plus une couleur secondaire. Celle-ci n’est pas n’importe quelle couleur secondaire : elle est la première des couleurs secondaires438, et, d’autre part, elle naît du mélange des trois couleurs fondamentales présentes sur le peson, mais avec prédominance du brillant439. Le jaune d’or est donc présent sur le peson pour deux raisons principales : premièrement, en tant que mélange (μίξις) des trois couleurs fondamentales présentes sur le peson, il atteste l’efficacité du divin qui seul peut opérer un tel mélange (σύνκρασις)440 ; deuxièmement, il atteste la prééminence du brillant comme couleur fondamentale dans un tel mélangeprééminence de la couleur divine dans la seule couleur secondaire du peson.

Le noir

Du point de vue des couleurs fondamentales, notre texte comporte deux difficultés. La première est que le peson n’a que trois couleurs fondamentales (le brillant, le blanc et le rouge), au lieu de quatre dans le Timée441 : le noir manque. En fait cette difficulté est là pour nous faire sentir la solidarité organique du peson avec la tige du fuseau442, pour nous empêcher de considérer le peson sans la tige, pour nous forcer à penser le fuseau dans son intégralité. Car, si le peson ne comporte pas de noirmême en composition443, c’est parce que le noir est largement attesté par la tige444 où il est lumineux445, c’est-à-dire divin.

Le rouge

La deuxième difficulté est bien plus embarrassante. Elle est due, elle aussi, à la confrontationqui s’impose par ailleursdes couleurs du fuseau de Nécessité avec celles du Timée : dans le mythe d’Er, le rouge est ὑπέρυθρον, rougeâtre446, alors que celui du Timée est ἐρυθρόν447. Mais il semble que le Timée doive nous fournir quelques renseignements propres, sinon à justifier le rougeâtre comme couleur fondamentale, du moins à montrer qu’il n’est pas absurde qu’il puisse se substituer au rouge. En effet, le rouge, tel que ce dialogue nous le présente, est « la couleur naturelle du sang »448. Le rouge est cette "couleur sanguine" produit par le mélange du feu extérieur dans l’humidité des yeux449. Si l’on veut savoir ce qu’est exactement et concrètement cette couleur, il faut donc examiner ce qu’est le sang et voir de quelle manière le rouge s’y manifeste. Les aliments que nous ingérons « possèdent, du fait de leur mélange (σύμμειξις), toutes sortes de couleurs, mais la couleur rouge est la principale qui s’y répande. La formation (φύσις) de cette couleur est l’œuvre de la scission et de l’empreinte du feu dans l’humide450 »451. Ces aliments sont « les ingrédients du sang »452. Il est clair que le sang n’est jamais tout-à-fait ni uniquement rouge, mais que le rouge en est la couleur dominante. « Toutes sortes de couleurs » l’accompagnent. C’est pourquoi, en toute rigueur, il faudrait dire que la couleur du sang est "presque rouge"(ὑπέρυθρον). Il n’y a donc qu’un petit pas du rouge au rougeâtre.

Conclusion

Nous pouvons maintenant clore ce paragraphe, en rappelant les résultats de notre recherche sur les couleurs du fuseau de Nécessité. Premièrement, en ce qui concerne le cercle extérieur, ce qui importe, c’est la variété des couleurs plus que ces dernières elles-mêmes. Deuxièmement, le brillant a deux raisons d’être présent sur le peson : comme condition sine qua non de toute couleur, et comme couleur. Troisièmement, le fuseau contient les quatre couleurs fondamentales du Timée et la première couleur secondaire qui est un mélange des trois fondamentales présentes sur le peson, avec prédominance du brillant.

Problèmes musicaux

Nous avons dit plus haut453 que l’harmonie des Sirènes n’était que la version musicale de l’harmonie des relations des cercles entre eux. L’ordre des grandeurs, celui des bords, celui des couleurs et celui des vitesses sont établis de façon à ce que l’on puisse mettre, dans chaque ordre, un numéro pour chaque cercle454. Il est probable que PLATON n’ait pas élaboré ces ordres au hasard455. En ce qui concerne les Sirènes, PLATON ne donne aucun ordre : en tant qu’ils sont chacun surmontés d’une Sirène, les huit cercles sont sur le même plan. Et pourtant, en tant que chaque Sirène émet une note qui lui est propre, les cercles diffèrent entre eux. Le problème serait donc de savoir en quoi consiste cette différence et pourquoi PLATON ne nous donne pas de détails la concernant. Quel est cet accord formé de huit notes que chantent les Sirènes ? Et quelle Sirène chante quelle note ?

En fait, on pourrait diviser le problème en quatre questions :

  1. quel est l’accord ?

  2. comment le calculer ?

  3. à quelle théorie ou doctrine Platon se réfère-t-il ?

  4. quels rapports y a-t-il entre le mythe d’Er et les passages du Timée sur la constitution de l’âme (35a sqq. ) ?

L’accord et son calcul

À la première question, on répond en général que l’accord est une octave456. Une telle répon­se présente quelques avantages. L’octave contient l’idée de totalité : son nom est διὰ πασῶν. D’autre part, cette échelle fondamentale457 contient huit degrés458 ; or il y a huit Sirènes sur le fuseau de Nécessité. Enfin, la musique se pratiquait concrètement dans les limites de l’octave. Il reste que rien, dans notre texte, ne nous contraint à identifier l’harmonie, l’accord qu’émettent les Sirènes à l’octave. Rapprocher, comme semble le faire E.MOUTSOPOULOS459, l’expression ἐκ πασῶν (617b6) de διὰ πασῶν est forcé, car elle n’a pas à être isolée de ce qui la suit : δὲ ὀκτὼ πασῶν (617b7). En fait, πασῶν est là pour rappeler le σύμπαντας de 616d7460. Quant au fait qu’il y a huit Sirènes, il n’implique pas qu’elles chantent les huit degrés de l’octave, mais seulement que l’intervalle entre les deux degrés extrêmes ne peut être plus petit que l’octave.

À la deuxième question, on a tendance à répondre que la note que chante telle Sirène est proportion­nelle à la vitesse du cercle sur lequel elle se trouve461réponse dont les éléments figurent chez ARISTOTE462, mais qui a le tort d’être impossible. En effet, chaque Sirène émet un son, une note qui lui est propre, de telle sorte qu’il y a huit sons, huit notes différentes463. Or il n’y a que six vitesses, puisque trois cercles tournent à la même vitesse464. D’où l’impossibilité formelle de faire correspondre les notes avec les vitesses465.

Pythagorisme

Le chœur des exégètes est presque unanime pour prétendre que « le dixième livre de la République saisirait l’aspect classique (du point de vue de son évolution) de la théorie pythagoricienne de l’harmonie des sphères »466. Il faut remarquer d’abord que l’identification des sources platoniciennes avec des doctrines orphico-pythagoriciennes ne peut jamais dépasser le niveau de la conjecture. Ensuite, que notre « texte est assez peu révélateur en lui-même », et, qu’en toute rigueur, « il est impossible d’en prouver l’origine pythagoricienne »467. Enfin, que le passage d’ARISTOTE consacré à la doctrine pythagoricienne de l’harmonie des sphères468 s’il est vrai qu’il nous en présente l’aspect classique nous semble exclure que l’harmonie des Sirènes, telle que Platon nous la présente, soit rigoureusement identiques à l’harmonie des sphères dont parlent les pythagoriciens469, ou même qu’elle en soit une adaptation470. Nier l’origine pythagoricienne de notre texte revient à évacuer purement et simplement les réponses traditionnelles aux questions qui se sont déjà posées. En effet, ce sont les pythagoriciens qui considère l’octave comme l’harmonie parfaite471, et, dans le même mouvement, la consacrent harmonie cosmique472. Pour eux, « les vitesses [de rotation des astres] … possèdent les proportions des accords musicaux »473 ; etc.

Le mythe d’Er et le Timée

Reste la dernière question : quel rapport y a-t-il entre République X, 617b4-7 et Timée 35a sqq.? Pour certains474, le Timée reprend, plus ou moins nettement, la République. Mais il est sûrement plus prudent de reconnaître que, sur plusieurs points, il y a opposition475. Cette dernière question aboutit, d’autre part, au problème du pythagorisme du Timée pour lequel nous renvoyons à la mise au point de L.Brisson476, car il déborde les limites de notre sujet.

Il paraît donc impossible de connaître quel est l’accord résultant du chant des Sirènes, autant que de savoir quelle Sirène chante quelle note. Et puisque l’on ne connaît pas la source où puise Platon, il faut revenir à une analyse précise de notre texte, à une lecture attentive des mots qui y apparaissent.

Harmonie invisualisable

Il ne faut pas perdre de vue que l’harmonie des Sirènes est la version musicale de l’emboî­tement des pesons l’un dans l’autre, et, plus largement, des rapports déterminés et fixes des pesons entre eux. Ces rapports sont visibles selon quatre points de vue477 ; nous savons par exemple que, du point de vue de la vitesse, le troisième cercle vient après le quatrième478. D’autre part, nous savons qu’à chaque cercle correspond une note qui lui est propre479, mais nous ignorons le rapport des huit notes entre elles. Platon nous dit seulement qu’elles forment un accord harmonieux480. Nous savons donc qu’il y a un rapport, que les cercles, du point de vue musical, entretiennent des relations fixes et déterminées, mais nous ne pouvons visualiser ce rapport. C’est cela l’important : l’harmonie des Sirènes n’est pas visualisable. Nous ne pouvons pas localiser les notes. Pourquoi ? Platon aurait-il oublié de nous préciser à quel degré de l’échelle musicale en question correspond ce cercle ou cet autre ? Platon serait-il négligent481 ? En fait c’est volontairement qu’il n’a pas détaillé les rapports musicaux des cercles entre eux. Car une harmonie n’a pas besoin d’être visualisée. Il n’en va pas de l’ordre musical comme de l’ordre des couleurs, par exemple, qui, lui, implique sa propre visualisation. En d’autres termes, pour connaître l’ordre des couleurs, il faut de la lumière482 ; alors que pour connaître l’ordre des notes, elle ne servirait à rien. Il n’y a rien à voir. Ou, plutôt, la musique possède un éclat483, un brillant, une lumière où elle se donne à voir en même temps qu’elle illumine le musicien. Mais la vision dont il s’agit n’est pas une activité de l’œil corporel, c’est une vision métaphorique c’est-à-dire transportée dans un domaine où l’œil corporel n’a rien à faire. Le domaine de la musique, c’est l’âme ; le corps, c’ est l’affaire de la gymnastique484. Être musicien, être harmoniste (ἁρμονικὸς ἀνήρ), ce n’est pas seulement « savoir comment on fait rendre à une corde le son le plus aigu ou le son le plus grave »485; pour être un musicien accompli (σοφός), il faut, en outre, connaître les intervalles (leur nombre, leurs noms et leurs limites) et, surtout, les combinaisons harmoniques qui en résultent486. Mais, sachant tout cela, nous ne serons que des techniciens de la musique487. Encore faut-il ne pas se contenter de la lyre, qui n’est qu’un instrument bien imparfait488. Ce qu’il faut accorder, harmoniser, c’est notre âme489, c’est-à-dire notre immatérialité. Cette harmonie dépasse largement le cadre étroit de la technique musicale bien que cette dernière en présente le modèle490.

Le taux de matérialité

C’est pourquoi la version musicale de l’ harmonie qui règle les relations des pesons entre eux n’avait pas à être détaillée autant que les autres. Les détails auraient fait de notre passage du mythe d’Er un texte technique – ce qu’il n’est pas. Le point de vue musical de l’harmonie qui règne dans les pesons est ce qu’il y a de moins mythique dans notre mythe. En effet, le mythe en général (et le mythe eschatologique en particulier) a pour fonction de rendre visible l’invisible, de matérialiser l’immatériel, de "corporéïser" l’âme, de rendre sensible l’intelligible491. Or qu’est-ce que le peson du fuseau de Nécessité, sinon la concrétisation de la Justice492 ? « La justice qui n’est que cela »493 n’a pas de couleur, pas de figure, elle est intangible494 ; les pesons du fuseau ont figures et couleurs. Avec l’harmonie des Sirènes, ils ne sont plus que les éléments d’un accord. Ce qui importe, ce n’est plus qu’ils aient telles couleurs et telles figures, c’est qu’ils participent à une harmonie, qu’ils réalisent une harmonie, une justice effective, un rapport idéal. Le taux de matérialité décroît brusquement lorsque l’on passe des quatre premiers ordres (grandeurs, largeurs, couleurs et vitesses) à l’ordre musical. Il serait donc vain de chercher des précisions sur les modalités de réalisation de l’harmonie des Sirènes. PLATON semble refuser de traiter le problème de la justice, que ce soit dans l’âme495 ou dans l’univers496, dans le cadre décidément trop étroit de la technique musicale497.

Représentation concrète

Si l’on cherche d’ailleurs ce que pouvait représenter concrètement498, pour un Grec de la première moitié du IVème siècle, ce que PLATON nous dit de l’harmonie des Sirènes, on verra que nous sommes loin de la technique musicale. Qu’entendra ce Grec à la lecture ou à l’audition du texte ? Il entendra huit voix chantant simultanément huit sons différents. Or l’émission simultanée de huit sons est impensable pour un musicien grec. La seule polyphonie (au sens moderne du mot) est l’hétérophonie : émission simultanée de deux sons. Mais « l’idéal du compositeur grec, c’est un pur chant, au contour subtil, modulé par une voix unique […]. L’accord de trois sons, et, à plus forte raison, celui de quatre ou cinq, n’ont jamais obtenu droit de cité dans l’art hellénique »499. Que dirons-nous d’un accord de huit sons ! D’autre part, si nous considérons le chant "octophonique" des Sirènes comme une manifestation vocale (et non instrumentale), il faut remarquer que « l’accompa­gnement hétérophone […] ne pénétra jamais dans la musique purement vocale, où les Grecs n’ont connu que le chant à l’unisson ou à l’octave »500. Pour que le chant des Sirènes fût possible, il eût donc fallu que chaque intervalle entre deux notes contiguës soit une octave, et que, par conséquent, la note la plus élevée fût séparée de la plus basse par sept octaves. Ceci est impensable501, autant que toute émission simultanée de huit sons quels qu’ils soient.

La direction de l’impensable

Il est évident que Platon a été conscient de l’impossibilité pratique, concrète, du chant des Sirènes502. D’autre part, on connaît « l’attitude sévère de Platon à l’égard des innovations de la musique contemporaine »503. L’octophonie des Sirènes n’est pas une innovation, mais une pure impossibilité. Mais alors, pourquoi Platon, musicien averti, énonce-t-il consciemment une telle impossibilité ? C’est précisément pour tourner notre attention vers l’impossible, ou plutôt vers l’impensable une fois de plus504. D’une part, nous montrer que l’harmonie des Sirènes échappe à la technique musicale ; d’autre part, faire figurer cette harmonie comme totalité (impossible) du musi­calement possible. C’est à l’intérieur des limites de cette totalité que pourra s’inscrire le chant des Moires505. Totalité cosmique considérée du point de vue musical, c’est-à-dire du point de vue non spatial, invisible. Ici le mythe ne rend plus visible l’invisible, mais le suggère seulement ; il n’a plus pour fonction de rendre sensible l’intelligible, mais de sensibiliser (le lecteur ou) l’auditeur à l’intelligible (l’harmonie, comme structure, est invisible et uniquement intelligible).

La République

Le titre complet de notre dialogue, tel que le donnent certains manuscrits506 après Thrasylle, est La République ou du juste507. Bien que la deuxième partie n’ait été ajoutée qu’au 1er siècle de notre ère, elle est loin de trahir le contenu même du dialogue. D’un bout à l’autre, que Socrate dialogue avec Céphale, Polémarque, Thrasymaque, Glaucon ou Adimante, la question débattue est la justice. Comme nous l’avons déjà noté508, la problématique s’installe lorsque Céphale parle de ces « mythes que l’on raconte concernant le royaume d’Hadès, disant qu’il faut là-bas payer la peine des injustices commises ici-bas »509. Dans le cadre de l’eschatologie traditionnelle, il s’agit davantage d’injustice que de justice. Céphale a une vision négative de la justice, une vision craintive510. Certes cette vision n’est pas viciée comme l’était celle d’HOMÈRE511, mais il faudra tout le travail socrati­que pour élever le débat.

La remontée du Pirée à la cité

Lorsque l’esclave de Polémarque tire par derrière le manteau de Socrate, c’est pour l’empêcher de remonter vers la cité512. Le lieu où l’on va discourir sur la justice, chez Céphale, au Pirée, est plus bas que la cité. C’est pourquoi le débat, dans son début, est politiquement défaillant. Le travail socratique va consister à remonter, malgré Polémarque, vers la cité, à élever le débat au niveau du discours politique – c’est-à-dire philosophique513. Cette élévation passe par la position de la question de l’essence de la justice514, en même temps que par la sélection des interlocuteurs. Céphale est un « étranger domicilié, et par conséquent exclu de la vie politique athénienne »515 ; sa fortune516 lui permet d’être davantage qu’un simple métèque : il exerce plusieurs fois (il semble que ce soit à chaque fois qu’on lui proposait) la chorégie et fournit de nombreuses contributions au Tré­sor517. Céphale remplit ses devoirs de métèque autrement que d’autres leurs devoirs de citoyens518. Mais, quelles que soient ses qualités d’homme et de métèque, il ne lui est pas moins impossible d’envisager le problème de la justice dans sa dimension véritablement politique. Polémarque, son fils, héritera de sa fortune519 comme il hérite de son logos520 : le débat est toujours hors de la cité. Quant à Thrasymaque, il est, lui aussi, un étranger. Cependant, son discours semble politique, au moins dans les termes521. Mais c’est la politique d’un rhéteur que l’on y trouve : à aucun moment de la discussion, Thrasymaque ne se pose la question de savoir ce qu’est une constitution juste ; d’ailleurs, la constitution d’une cité ne l’intéresse pas pour elle-même. À quoi servirait-il d’en débattre puisqu’elle est « facile à connaître et commune à tous »522 ? Le problème de la justice se pose au niveau de la réalité politique existante ; il ne sert à rien de la poser au niveau du fondement du politique. Ce qui compte, ce n’est pas la légitimité de la constitution, c’est la réalité du gouver­nement constitué en place (τό ἂρχον), qui est le point de départ de la définition que donne Thrasymaque de la justice523. C’est pourquoi, lors même que la discussion a une teinte politique, nous sommes toujours, avec Thrasymaque le rhéteur, hors de la cité. Lorsque Socrate hisse le débat au niveau de la cité, il n’a plus que deux interlocuteurs : Glaucon et Adimante. Ce sont les frères puînés de Platon, des citoyens athéniens à part entière, avec qui le débat véritablement politique est possible.

Le lieu de la justice

À ce moment, la méthode de discussion va être établie : « si donc vous le voulez, » dit Socrate, « c’est tout d’abord dans les cités que nous chercherons la nature de la justice ; ensuite nous ferons un semblable examen, mais dans chaque individu – et nous observerons la ressemblance du plus grand dans la forme (ἰδέα) du plus petit »524. Après qu’Adimante l’a approuvé, Socrate poursuit : « Maintenant, si nous contemplions en pensée (λόγῶ) la genèse d’une cité, nous y verrions aussi la genèse de la justice et de l’injustice »525. En fait, la justice n’est saisissable que dans ses incarnations, et l’incarnation où elle se manifeste « en gros caractères »526, c’est la cité. « Eh bien ! allons-y », dit Socrate, « que par la pensée, en partant du commencement, nous constituions une société politique »527. Le lieu privilégié de la justice est la cité.

La justice, harmonisation des différences

La formule qui semble le mieux définir la justice est double : « exercer son activité propre et ne pas avoir une activité multiple »528. Elle a, dans la République, un sens précis : « chaque individu ne doit exercer qu’un seul emploi dans la société (politique ), celui pour lequel la nature lui a donné le plus d’aptitude »529. Chaque individu a une nature propre qui le distingue des autres individus, une nature qui le prédispose à exécuter une tâche déterminée530. La différence de nature doit se prolon­ger dans la différence d’activité. Et il y a, en gros, trois sortes d’activités, par rapport au bien de la cité531. Une cité sera juste si chaque classe d’individus exerce strictement son activité propre ; ainsi chaque classe d’activités concourt au bien de la cité, chacune en son lieu propre. La mise en place de chaque activité par rapport aux autres, c’est cela la justice : harmonisation des différences.

La cosmologie politique du mythe d’Er

Ces termes ne sont-ils pas ceux que nous employions à propos du fuseau de Nécessité532 ? Reconnaître les différences, puis régler leurs relations harmonieusement : le mouvement est le même dans les deux cas. Il faut que les classes de la cité s’emboîtent l’une dans l’autre, comme les pesons : la cité juste est une "cité gigogne" composée de trois éléments. On peut aussi dresser un tableau des classes, comme pour les pesons533. L’analogie musicale est donnée pour l’âme534, et, partant, pour la cité535, comme pour le peson536.

On le voit bien, l’analyse (même succincte) de la justice dans la République nous conduit direc­tement au fuseau de Nécessité. Ceci constitue, à noter sens, la meilleure preuve que ce que l’on appelle le passage "cosmologique" du mythe d’Er est un texte politique537. Bien sûr, l’ensemble des pesons figure, sans ambiguïté, l’univers. Mais précisément qu’est-ce que l’univers ? C’est un ordre, un système réglé538. Et ce qu’il importe d’en connaître, ce ne sont pas tant les astres en eux-mêmes que les rapports (cynétiques) qu’ils entretiennent entre eux539. Comme le Timée le montrera, l’uni­vers est « la réalisation d’une organisation idéale, d’un ordre intelligible »540. Le fuseau de Nécessité nous offre le modèle d’une telle réalisation541. Mais, repétons-le, ce modèle n’est pas étroitement cosmologique. Il est le modèle d’une structure parfaite, idéale ; il figure la justice elle-même. Or la justice est une idée politique ; elle est l’idée de la cité. C’est cette idée dont le microcosme et le macrocosme reçoivent des analogies542. S’il y a une psychologie et une cosmologie dans la République, elles sont au second plan : la République est un dialogue politique, et tout ce qu’on peut y lire doit être placé dans une perspective politique, le mythe d’Er (et son passage cosmologique) comme le reste.

Qu’est-ce que la justice ? C’est ce qui, en assurant la cohésion interne de la cité ou de l’individu, lui permet d’agir543. La justice est la condition obligée de l’action. Or « la politique est l’activité humaine par excellence »544, et le fuseau de Nécessité est un modèle pour l’action545 modèle duquel l’homme doit s’approcher le plus possible546 ; modèle politique547.



Essai de reconstitution scénique

Le mythe d’Er, drame religieux

Ceci compris, nous pouvons maintenant tenter ce que nous avons appelé une reconstitution scénique du drame. Car il n’y a pas qu’un fuseau dressé au centre de la scène : il y a Nécessité, propriétaire du fuseau548 ; les Moires, ses trois filles549 ; et le prophète, porte-parole de Lachésis, l’une des Moires550. Parlant du passage cosmologique, L.ROBIN se demande : « Est-il la description d’une machine astronomique (sphère armillaire)551, dont les rouages auraient été dissimulés par le constructeur au-dedans d’automates représentant la Nécessité et les trois Parques ? C’est à coup sûr une hypothèse séduisante. Une idée philosophique me semble plutôt cependant avoir décidé Platon à donner dans son exposé un rôle et une attitude, en quelque sorte dramatiques, à la Nécessité et aux Destinées personnifiées »552. Le "en quelque sorte" nous semble superflu553 : il est trop clair que nous avons là une scène analogue à ces « drames religieux [qui] tiennent une grande place à Éleusis »554. Nous avons d’ailleurs déjà remarqué le caractère initiatique de la référence au mythe hésiodique de l’adamas555. Mais il y a d’autres endroits de notre mythe où se manifeste le rapproche­ment556, et le mythe d’Er n’est pas le seul texte platonicien où l’on emprunte aux Mystères557. D’un autre point de vue, il faut remarquer que « les mystères […] sont des instituts consacrés par une tradition immémoriale que la cité adopte et même exploite »558, que « la cité exerce une espèce de tutelle sur les mystères »559. En d’autres termes, les Mystères ont un caractère politique indéniable : ceux d’Éleusis sont inscrits dans l’organisation politique d’Athènes560. Bref, non seulement notre texte nous invite à reconnaître le caractère religieux de la scène qu’il décrit, mais encore force nous est de constater que cette invitation maintient le mythe dans sa perspective politique.

Ce que nous savons sur les Mystères est trop mince et trop fragile561, pour qu’il vaille la peine d’entreprendre une étude précise du caractère éleusinien de notre mythe562. C’est pourquoi, après avoir indiqué que ce qu’il décrit est un drame de type religieux, nous préférons nous attacher à l’analyse des personnages de ce drame. Ceux-ci appartiennent à la culture grecque comme Don Juan à la culture européenne du XVIIème au XXème siècles563, ou Amphitryon à la culture gréco-latino-européenne564. Nous ferons donc d’abord leur historique, puis nous verrons comment ils sont campés par PLATON dans le mythe d’Er.

Nécessité

Chez Homère

Le premier personnage, sur la scène, est Nécessité. Le fuseau lui appartient565 et tourne sur ses genoux566. Comme le fait remarquer L.ROBIN, cette « expression serait tout à fait étrange et même difficilement intelligible, si l’on n’y voyait un écho d’une formule homérique »567. Le vers « ἀλλ’ ἢτοι μέν ταῦτα θεῶν ἐν γούνασι κεῖται » est en effet plusieurs fois répété en entier dans les épopées homériques568. « Les dieux ont sur leurs genoux les lots de vie des hommes comme les juges d’un concours les prix à distribuer aux vainqueurs »569. D’autre part, « on met sur les genoux ou dans le giron d’une personne ce qu’on met à sa disposition »570. C’est ainsi qu’« on mettait les offrandes sur les genoux des statues assises des dieux »571. Cette formule homérique est autant eschatologique que cultuelle. En s’y référant, Platon veut montrer que Nécessité est non seulement une divinité, mais une divinité cosmique, mieux une réalité cosmique : le cosmos (le fuseau) est entièrement soumis à sa volonté. Elle est, comme dit PROCLUS572, « la rectrice de tout l’ordre cosmique ».

Chez les orphiques

Nécessité est un des personnages centraux de l’orphisme : qu’elle se nomme Ἀνάγκη ou Ἀδράστεια573, elle est l’épouse de Chronos574 : « elle s’étend à travers tout l’univers et s’attache à ses limites »575nécessité cosmique576. « C’est la loi de l’univers, que proclame Adrasteia »577, « et c’est bientôt un proverbe que les sages révèrent Adrasteia, que rien n’est plus fort qu’Ananké, et que les dieux mêmes sont soumis à la loi et à la Nécessité »578.

Chez Thalès et Pythagore

Mais c’est surtout chez les philosophes préplatoniciens que la Nécessité est une réalité cosmique de premier ordre. À vrai dire, la pensée préplatonicienne de la Nécessité semble prolonger et approfondir ce qu’en disait l’orphisme ; au moins le contexte en est-il tout autant cosmologique579. Ainsi une sentence attribuée à THALÈS580 : « Nécessité est ce qu’il y a de plus puissant, car elle domine tout »581. La doxographie attribue aussi à PYTHAGORE deux témoignages qu’il convient de rapprocher « Nécessité entoure le cosmos »582, et « le temps est la sphère de ce qui entoure"583. Ici aussi Nécessité et temps sont assimilés584.

La pensée préplatonicienne de la Nécessité devient plus intense, et surtout mieux connue, avec PARMÉNIDE et EMPÉDOCLE.

Chez Parménide

Dans ce qui nous reste de son poème, le premier nomme trois fois Nécessité. L’occurrence capitale est celle-ci : « Nécessité la toute-puissante tient (ce qui est ) dans les liens de la limite qui tout autour l’enclôt »585. L’activité de Nécessité est donc de maintenir dans une limite, et, plus simplement, de "tenir" (ἒχειν). Ce qui tient a pour autre nom Justice (Δίκη)586. Ce qui est ainsi tenu, c’est l’étant qui « se tient » (ἒχεισθαι) à l’étant587. Nécessité ou Justice assure la continuité de l’étant588, en le fixant dans une (des) limite(s), en l’enchaînant dans des liens. Nécessité a plusieurs autres noms : outre Justice, elle s’appelle aussi « divinité pilote » (δαίμων κυβερνῆτις)589 et "détentrice de la clé "(κλῃδοῦχος)590. Mais nous sommes restés jusqu’à présent dans la première partie du poème, celle qui embrasse la vérité591. Dans la seconde, qui parle des « opinions mortelles »592, Nécessité est encore présente : c’est elle qui, « le [=le ciel] conduisant, l’enchaîna à tenir les limites des astres »593. Comme pour mieux diriger le monde, elle est la couronne médiane : « en leur [=les couronnes] centre, la divinité qui gouverne tout »594. Ici aussi, elle s’apelle « divinité pilote »595. La seule différence entre les deux Nécessités (l’ontique, dans la première partie du poème, et la cosmique, dans la seconde) est que l’étant est immobile596, alors que le monde est en perpétuel mouvement597. À ceci près, elles ont la même fonction, la même activité : maintenir dans les liens de la limite598.

Chez Empédocle

EMPÉDOCLE fait de Nécessité un personnage qui inaugure la philosophie599. Elle est présente, avec le même « caractère solennel et oraculaire »600, dans les deux poèmes601 : « Elle est, Nécessité, apanage des dieux, antique loi, Loi éternelle, que cerclent de larges sceaux »602. Elle maintient les éléments « dans l’enceinte de ce qui est »603 ; elle « est prise ici [c’est-à-dire dans le poème des Origines] dans la figuration cosmique que tracent les bandes scellées de la voûte et la rotation du temps ». Il y a ici « équivalence entre la nécessité et l’ordre du temps », le temps étant l’« enveloppe qui ceint le cosmos tout entier »604. Bref, à ce niveau de notre recherche sur l’historique du personnage de Nécessité605, on voit bien la continuité de la pensée préplatonicienneque Platon prolonge.

Les genoux

Dans le mythe d’Er, Nécessité est nommée, comme personnage606, quatre fois. Une fois, comme propriétaire du fuseau607 ; une deuxième fois, comme ayant le fuseau en mouvement sur ses genoux608. Mais, comme le remarque PROCLUS609, « elle ne touche même pas au fuseau et elle n’est pas dite agir en quoi que ce soit à son sujet ». Nécessité est inactive, au repos, mais elle a pouvoir absolu610 sur le (mouvement du) fuseau. C’est comme si ce pouvoir n’avait pas besoin de se manifester par une action extériorisante, pour être efficace611. Il suffit que Nécessité soit présente. Mais, tout de même, sa présence est bien singulière : Nécessité n’a que ses genoux, elle n’est que ses genoux, symbole de puissance divine612 une statue assise dont il ne resterait que les genoux. Cela nous fait penser à la statue qui se trouve à l’extrémité gauche du groupe familial, provenant du Héraïon de Samos, exécuté par Généléos613 : il ne nous reste, de cette mère trônant, que les jambes et le trône.

La statue

Si l’on remonte plus haut dans l’histoire de la statuaire grecque, on ne peut pas ne pas penser au "colossos", statue-pilier614 caractérisée par son immobilité et son mutisme615, et qui symbolise la vie dans l’au-delà616. Mais, plus près de PLATON, il y a surtout la dernière statue colossale (environ 13,50 mètres)617 chryséléphantine, que Phidias618 a exécutée pour le temple de Zeus à Olympie : Zeus trônant619. C’est à une statue de ce genre que PLATON devait penser, en installant Nécessité sur un trône620.

L’attribut de Nécessité

Nécessité est donc propriétaire du fuseau en mouvement et du trône sur lequel elle est assise. Ce ne sont pas là ses seules propriétés : les Moires sont ses filles621. Nous verrons les Moires aux paragraphes suivants. Contentons-nous de noter qu’à chaque fois où Nécessité est nommée, son nom est au génitif. En fait, on ne la connaît que pour ce qu’elle possède : le fuseau, ses genoux, les Moires et son trône. Ce faisant, PLATON concentre, en Nécessité, ce que les préplatoniciens en disaient. L’attribut de Nécessité, ce n’est pas le fuseau, les genoux, les Moires ou le trône, c’est là possession mêmeen l’occurrence, possession du fuseau, des genoux, etc.622.

Les noms de Nécessité

Ce bref historique nous permet de dresser la liste des divers noms de Nécessité : Adrastée623, Temps624, Thémis625, Justice626, divinité pilote627, détentrice de la clé et détentrice des lots628.

Les Moires

La tradition

Après Nécessité, vient un groupe de personnages : les trois Moires. Elles sont aussi vielles que la culture grecque. Chez HOMÈRE, elles ont un rôle fondamental629. La "moira", c’est « la part qui revient à chacun »630. Les Moires filent631 et tissent632 la vie des hommes. Les références (HOMÈRE, HÉSIODE, HÉRACLITE, etc.) seraient trop nombreuses, pour aboutir à cette seule idée que les Moires sont les divinités « qui, seules, aux hommes donnent soit heur soit malheur »633.

Parménide

Dans la première partie de son poème, PARMÉNIDE nous dit que « Moira a enchaîné (l’étant) à être le tout immobile »634. « Au lieu d’être celle qui répartit et divise, la Moira garantit maintenant l’intégrité de l’un ; son nom est devenu synonyme d’Anankè »635. En effet, il y a, pure­ment et simplement, assimilation. La Moire a, ici, la même activité que Nécessité : elle enchaîne l’étant, comme Nécessité enchaîne le ciel636, et tient l’étant dans les liens de la limite637. Il faut donc ajouter Moire à la liste des noms de Nécessité638. Mais il n’y a pas qu’une Moire, il y en a trois. Il faudrait donc penser que la Nécessité du mythe d’Er a à côté d’elle trois divinités dont chacune n’est que Nécessité elle-même ? Seulement, dans le mythe, chaque Moire a une activité qui lui est propre. Ce n’est donc pas aussi simple. En fait, aucune Moire ne ressemble à l’autre, et, pour savoir les différences, il faut revenir au mythe.

Différences

« Trois autres [personnages féminins] sont assis autour [du fuseau], à égale distance639, chacun sur son trône ; ce sont, filles640 de Nécessité, les Moires, vêtues de blanc, des bandelettes641 sur la tête : Lachésis, Clôthô et Atropos642. Elles chantent, répondant à l’harmonie des Sirènes, Lachésis le passé, Clôthô le présent, et Atropos l’avenir. D’un côté, en outre, Clôthô fait tourner le cercle (περιφοράν) extérieur, en le touchant de sa main droite, laissant des intervalles de temps ; de l’autre côté, Atropos fait la même chose, mais [ce sont] les [cercles] intérieurs [qu’elle fait tourner], avec la main gauche ; quant à Lachésis, tour à tour (ἐν μέρει), elle touche chacun des cercles avec chacune des mains643 »644. On le voit, chaque Moire a une activité bien déterminée qui lui est propre. On voit aussi que les trois Moires ne sont pas sur le même plan. Ce qu’elles ont en commun : leur position par rapport au fuseau, leur trône, et les bandelettes sur la tête. Hormis cela, chacune est différente de l’autre. D’après leur chant, on pourrait croire que l’ordre est linéaire : du passé (Lachésis) on passe au présent (Clôthô), puis à l’avenir (Atropos). Il n’en est rien : tel n’est pas l’ordre du temps. Pour connaître ce que signifie l’ordre des Moires, il faut les considérer une par une, dans leur différences.

Prééminence de Lachésis

Tout d’abord, Lachésis. C’est devant elle que les âmes qui arrivent de la prairie se présentent immédiatement645. Elles vont rester devant Lachésis pendant tout le moment du choix des vies646. Lachésis préside donc à ce choix, qui est, proprement, tout ce qu’il y a de dangereux, de risqué pour l’homme647. Mais il y a plus : les lots et les modèles de vies sont sur les genoux de Lachésis648. De même que Nécessité avait sur ses genoux le fuseau, de même Lachésis les lots et les modèles de vies. Il faut exploiter l’analogie à fond : les lots et les modèles appartiennent à Lachésis qui a un pouvoir absolu sur eux. Elle porte donc le nom que PARMÉNIDE donnait à Nécessité : « détentrice des lots »649. Les âmes vont concourir650, et Lachésis leur attribuera les prix qu’elles méritent651par prophète interposé652. Les lots, en effet, seront jetés par le prophète ; chaque âme ramassera celui qui est tombé à côté d’elle et connaîtra ainsi quel rang lui est échu (εἰλήχει) pour choisir sa nouvelle vie653. Lachésis est le hasard en personne : « tychè »654. Mais elle n’est pas seulement « détentrice des lots », elle est aussi détentrice du discours655. Ce discours, elle ne le prononce pas, c’est le prophète qui le proclame656. Non qu’elle soit muette, comme Nécessité657 : mais sa voix ne parle pas, elle chante comme celles de ses sœurs658. Par ces deux caractéristiques (possession des lots et du discours), Lachésis est différente de celles-ci, et plus proche qu’elles de Nécessité.

Activité manuelle

Cette différence et cette proximité se manifestent ailleurs : dans l’activité cosmique des Moires. Il y a deux mouvements cosmiques : celui des fixes et celui des planètes. Le premier est dû à l’activité de Clôthô, le second à celle d’Atropos. Ce sont des mouvements contraires659. Le premier tourne de gauche à droite, entraîné par la main droite de Clôthô ; le second tourne de droite à gauche, entraîné par la main gauche d’Atropos660. Mais les deux Moires laissent des intervalles de temps661. Il faut penser qu’elles font leur pose alternativement, sans quoi le ἐν μέρει de 617d1 ne s’expliquerait pas. Car Lachésis, "tout à tour", remplace Clôthô et Atropos. Et, lorsqu’elle remplace la première, elle se sert de sa main droite pour tourner le cercle extérieur ; lorsqu’elle remplace la seconde, elle se sert de sa main gauche pour tourner le cercle intérieur (cf. note 660). Autrement dit, l’activité cosmique de Lachésis totalise celle de Clôthô et d’Atropos. "Tour à tour", on a tantôt Clôthô + Lachésis, tantôt Lachésis + Atropos. Mais jamais Clôthô et Atropos n’exercent leur acti­vité en même temps ; de même, jamais Lachésis ne se sert de ses deux mains en même temps. Les mouvements cosmiques n’ont pas d’arrêt, ils ont un rythme, celui que bat l’alternance. Mais qu’est-ce que le rythme des mouvements cosmiques, sinon le temps ? D’une alternance de ce type, PLATON parle ailleurs662, commentant EMPÉDOCLE : « dans l’alternance qu’elles (les Muses de Sicile = Empédocle) prêchent, tantôt le tout est un […], tantôt il est plusieurs ». Ainsi, "tour à tour", tantôt Clôthô meut le cercle un, tantôt Atropos meut le cercle plusieurs663 ; "tour à tour", tantôt la main droite de Lachésis meut l’un, tantôt sa main gauche meut le plusieurs. La structure est la même. « Tour à tour, ils dominent dans les cercles du temps »664. Mais dans le mythe d’Er, il y a double alternance, ou, plutôt, deux alternances croisées : d’une part, alternance Clôthô/Atropos, ou, main droite de Lachésis/main gauche, et, d’autre part, Clôthô/main droite de Lachésis, ou Atropos/main gauche de Lachésis. La première alternance va d’un cercle à l’autre, de la main droite à la main gauche, etc. ; alors que la seconde s’en tient au même cercle : seul change le propriétaire de la main. Ces deux alternances aboutissent à une seule, si l’on fixe nos regards sur Lachésis : tour à tour, tantôt Lachésis remplace Clôthô, tantôt elle remplace Atropos. C’est cette unique alternance que nous donne PLATON665. Car elle maintient les deux mouvements contraires dans les limites du cos­mos. Lachésis est la Moire dont les mains, tour à tour, s’opposent comme, tour à tour, s’opposent les deux autres Moires. Ici il n’y a pas seulement différence entre Lachésis et ses sœurs, il y a domina­tion de la première sur les autres : Lachésis = Clôthô + Atropos. Lachésis est ce qui relie l’unité absolue de Nécessité à l’alternance des mouvements cosmiques c’est-à-dire du temps. Nécessité, unité qui ne sort pas d’elle-même ; Lachésis, unité qui tient dans ses limites l’alternance cosmique ; puis Clôthô et Atropos, chacune une part de mouvement.

Activité vocale

Quant au chant des Moires, il faut le comprendre sur le modèle de leur activité cosmique. Il y a deux chants : pour le premier (le chant des fixes), la voix de Clôthô alterne avec celle de Lachésis ; pour le second (le chant des planètes), la voix d’Atropos alterne avec celle de Lachésis. Le rythme est celui de l’alternance des mouvements, c’est-à-dire régulier. Quant à savoir en quoi peut consister ce double chant, c’est aussi impossible, et pour les mêmes raisons666, que de savoir le détail de l’harmonie des Sirènes. Cependant PLATON nous dit que les Moires chantent un hymne (ὑμνεῖν), chant religieux qui peut s’adresser à toute divinité indistinctement, chant religieux en général. Selon notre hypothèse, cet hymne serait un duo vocalce qui est proprement inconcevable pour un Grec : « la musique vocale grecque ne connaît ni duo (si ce n’est les dialogues alternés), ni trio, mais seulement le solo (monodie) et le chœur »667. Nous pouvons seulement penser que, dans cet impossible duo, une voix chante une note fixe, à une limite du musicalement possible, tel que les Sirènes l’ont constitué668 : c’est le chant où alternent la voix de Clôthô et celle de Lachésis (lorsqu’elle se sert de sa main droite), chant du même ; l’autre chant parcourt l’espace musical laissé inoccupé par le premier chant : c’est le chant où alternent la voix d’Atropos et celle de Lachésis (lorsqu’elle se sert de sa main gauche), chant de l’autre669. On ne peut préciser davantage.

Le temps

On le voit, l’ordre des Moires670 n’est pas linéaire, et partant le temps non plus. Le passé n’est pas seulement ce qui est venu avant le présent : il totalise, en lui, le présent et le futur. Le temps cosmique, marqué par l’alternance, n’a apparemment rien à voir avec le temps humain, linéairement évalué (chronologie). C’est que le passé cosmique n’est pas le révolu ; il ne l’est que pour qui l’oublie (dans le temps humain). Le passé cosmique est la totalité du temps ; non seulement alternance présent/futur, mais unité (dédoublée dans l’alternance) du temps. Il est intermédiaire entre l’unité (qui semble) intemporelle de Nécessité et l’alternance présent/futur. Le présent et le futur ne peuvent être contemporains : jamais Clôthô et Atropos n’exercent leur activité cosmique en même temps seulement "tour à tour". C’est dans le passé que le temps s’unifie : le présent et le futur sont, tour à tour, contemporains du passé ; Lachésis exerce son activité cosmique, tantôt en même temps qu’Atropos, tantôt en même temps que Clôthô. Le passé, tour à tour, est tantôt le présent, tantôt le futurmais toujours il est le passé671. La "moira" dont parlait Parménide672, c’est donc la Lachésis du mythe d’Er : elle maintient l’intégrité du mouvement et du temps cosmiques673. Clôthô et Atropos sont les Moires qui divisent : Clôthô est/a une part (μοῖρα, μέρος) du mouvement et du temps, Atropos est/a l’autre. Encore sont-elles des Moires partielles : elles partagent tour à tour leur part avec Lachésis. De sorte que l’on peut dresser le schéma suivant674 :















Le prophète

Serviteur de Lachésis

Nous avons déjà parlé, incidemment, du prophète, à propos de Lachésis675. En effet, si la Moire est détentrice des lots et des modèles de vies, c’est le prophète qui jette les lots aux âmes, et étale les modèles de vies devant elles676 ; si la Moire est détentrice du discours, c’est encore le prophète qui le proclame aux âmes677. De même Nécessité est détentrice du fuseau, mais n’y touche pas678, ainsi Lachésis ne touche pas aux lots ni aux modèles de vies, ni ne prononce elle-même son discours. De même Lachésis n’agit pas sur ce qu’elle possède, mais sur ce que possède Nécessité (le fuseau), ainsi le prophète, qui ne possède rien en propre, agit sur ce que possède Lachésis de sorte que le rapport Nécessité/Lachésis est égal au rapport Lachésis/prophète.

Prophétie et divination

Que le prophète ne possède rien en propre, son nom même l’indique : ce qu’il dit, il ne le dit pas en son propre nom, mais "au nom de" Lachésis. Il est à Lachésis ce qu’est PINDARE à la Muse : « Rends tes oracles, ô Muse, je serai ton prophète »679 ; ou ce que la Pythie est à Apollon680 ; ou, plus précisément, ce que le "prophète" est à la Pythie. En effet, connaissant l’importance du culte d’Apollon dans la cité platonicienne681, nous ne pouvons pas ne pas voir un rapport étroit entre le prophète du mythe d’Er et celui de l’institution delphique. Le prophète de Delphes est « le prêtre chargé […] de divulguer les paroles de la Pythie »682. « Ce prophète n’était pas un révélateur d’évènements futurs, mais le porte-parole d’un dieu […]. Il interprétait et précisait les paroles de la Pythie »683. S’il est vrai que l’« on est mal renseigné sur les rapports entre le prophète et la Pythie »684, il reste que nous connaissons, par ailleurs, le rapport instauré entre la divination et la prophétie. Les prophètes sont parfois appelés devins, « mais c’est là tout à fait méconnaître que des paroles et visions énigmatiques, ils sont seulement les interprètes (ὑποκριταί), et nullement des devins, et que "prophètes des révélations divinatoires" est ce qui leur conviendrait le mieux comme nom »685. Quant à la divination, elle ne concerne pas moins, dans le principe, le passé que le futur686. Calchas « connaît le présent, le passé, l’avenir »687. Les Muses aussi « disent le présent, le passé, l’avenir »688. ÉPIMÉNIDE de Crète, lui, n’est pas devin de l’avenir, mais seulement du passé qu’il faut éclairer689. La Pythie n’est pas seulement devineresse de l’avenir : elle connaît le présent690 et le passé691 ; mieux, c’est par sa connaissance du passé qu’elle peut prédire l’avenir. Le passé est gros du présent et de l’avenir ; ainsi Clôthô et Atropos ne sont, en quelque sorte, que des prolongements de Lachésis : elles extériorisent ce que Lachésis contient en elle-même. Le présent alterne avec la main droite du passé, et le futur avec sa main gauche692.

La chaîne delphique

Bref, Lachésis est la Pythie, et le prophète proclame son discours. Nous pouvons même reconstituer la chaîne delphique : ApollonPythieprophèteexégète. Lachésis est au service de Nécessité693, comme la Pythie à celui d’Apollon. D’ailleurs Apollon ne s’appelle-t-il pas "Phoibos", "le brillant", "le lumineux" ? Ce dieu de la lumière n’est-il pas aussi celui de l’harmonie694 ? Le fuseau n’est-il pas baigné de lumière695 et d’harmonie696 ? « De toutes les formes que lui livrait la tradition, Platon a choisi la religion apollinienne parce qu’elle était la plus proche de sa spiritualité. […] Il suffit de lire la République pour saisir combien cette lumière et cette musique, dont le dialogue est comme baigné, sont en accord intime avec les sentiment s qu’inspirait le dieu de Delphes »697. Apollon possède la Pythie, dont la parole698 est proclamée par le prophète. De la même façon, Nécessité possède Lachésis699 dont le prophète proclame la parole.

Socrate, l’exégète

Le service d’Apollon

Lorsque la parole pythique a besoin d’être expliquée, on fait appel à un exégète700. Or il est clair que le discours de Lachésis a besoin une exégèse : dans sa proclamation, le prophète « a ramassé dans le moins de mots possible des pensées non explicitées, […] il s’est exprimé presque partout au moyen d’asyndètes, et […] a resserré les membres de phrase à la manière des énigmes »701. Il faut donc expliciter les pensées, rétablir une syntaxe plus accessible et enlever au discours son tour énigmatique. C’est l’affaire de Socrate702. D’ailleurs la vie de Socrate n’est-elle pas tout entière l’exégèse d’un oracle ? Qu’on relise l’Apologie. Du jour où il connu l’oracle le concer­nant703, Socrate n’eut qu’une occupation704 : trouver la réponse à cette question qu’il se posa tout de suite : « Que peut bien vouloir dire le dieu ? Quel sens peut bien avoir cette énigme ? »705. Lors­qu’après enquête706, il sut la signification de l’oracle707, il entra au « service (λατρεία) du dieu »708 où il resta jusqu’à sa mort709. Son seul salaire (λάτρον) fut de vivre « dans une extrême pauvreté »710. Ce service est d’ailleurs dans l’exact prolongement de l’enquête711 et consiste à éprouver la vérité de l’oracle712. Ce faisant, Socrate obéit à Apollon713.

L’action politique

Ce sacerdoce est incompatible, dit Socrate, avec l’action politique714. Est-ce donc que Socrate aurait peu de choses en commun avec les exégètes officiels, qui, eux, avaient un rôle et un poids politiques très importants715 ? Il n’en est rien. Il suffit de s’entendre sur la définition de l’action politique. S’il faut monter à la tribune de l’assemblée pour être politiquement actif, alors Socrate n’a pas d’action politique716. Son action politique est ailleurs : dans les rues et sur les places de la ville717. Apollon a attaché Socrate à la cité718 : c’est un don qu’il lui a fait719, un don précieux720, car irremplaçable721.

La purification

« C’est surtout en matière de purification que les exégètes avaient autorité », écrit L.GERNET722. De ce point de vue, Socrate, une nouvelle fois, leur ressemble : « ma seule affaire, » dit-il, « c’est d’aller par les rues pour vous [les athéniens] persuader, jeunes et vieux, de ne vous préoccuper ni de votre corps ni de votre fortune aussi passionnément que de votre âme, pour la rendre aussi bonne que possible »723. Socrate apprend aux athéniens, ou plutôt à ceux qu’il rencontre dans les rues d’Athènes724, qu’il faut distinguer l’âme du corps et s’occuper d’elle en premier lieu. N’est-ce pas là la formule la plus générale de ce qu’il appelle la purification (κάθαρσις)725 ?

En somme, le travail socratique est placé sous le signe d’Apollon, « le dieu qui est à Delphes »726. Dans le mythe d’Er, il consiste à interpréter l’oracle proclamé par le prophète. La chaîne NécessitéLachésisprophèteSocrate peut donc apparaître comme une transposition de la chaî­ne delphique : ApollonPythieprophèteexégète.

La mise en scène

Rôle des spectateurs

Revenons à la scène. Car c’est un drame qui se joue autour du fuseau de Nécessité727. Nous avons vu les personnages et nous pouvons maintenant comprendre leur présence, leur présence phy­sique sur la scène728. Mais il nous faut d’abord remarquer que, dans ce drame, les spectateurs jouent un rôle. Il n’y a pas de barrière entre la scène (l’orchestre et la scène proprement dite) et le théâtre proprement dit (où s’installaient les spectateurs)729. Les acteurs sont déjà sur scène avant que les spectateurs n’arrivent. Et, lorsqu’ils seront arrivés, ils participeront au drame730 : ils commencent par voir Nécessité731, puis s’approchent de Lachésis732 ; après avoir eu affaire au prophète733, ils s’avan­cent encore, un par un, vers Lachésis734, passent sous la main de Clôthô735, vont à côté d’Atropos736, puis passent sous le trône de Nécessité737. Ils quitteront la scène, laissant les personnages poursuivre leur jeu.

Les acteurs

Le premier personnage est donc Nécessité. Protagoniste, ce personnage est le plus important, le plus lourd de présence. Elle est assise sur un trône738, un fuseau sur ses genoux739. Mais, nous l’avons vu, c’est un personnage muet et complètement inactif. Dans le fil de l’action, seuls son fuseau (et donc ses genoux) et son trône interviennent. Du point de vue dramatique, Nécessité est une paire de genoux sur lesquels tourne un fuseau et sous lesquels se trouve un trône : une statue tronquée740.

Les Moires, groupe deutéragoniste, sont actives de deux façons. Avec leurs mains, elles font tourner les cercles du fuseau. Nous avons vu en quoi consistait cette activité et comment celle-ci est, en premier lieu, le fait de Lachésis. Avec leur voix, elles chantent le temps. Du point de vue de leur activité cosmique, le trio des Moires, se réduit au seul personnage de Lachésis, qui entretient un étroit rapport avec la Pythie de Delphes. Comme ses deux sœurs, elle est assise sur un trône741, le trône pythique742. Les trois Moires ne sont, dramatiquement, que trois paires de mains et trois voix chantantes. La deuxième façon d’agir pour les Moires est plus manifestement eschatologique. Mais cette activité est dans le prolongement de l’activité cosmique. Lachésis donne743 à chaque âme la part qu’elle a choisie744. Clôthô ratifie cette donation par le fait même qu’elle exerce son activité cosmique745. Atropos rend irréversible le fil de la vie choisie746. À partir de ce moment, les âmes ne peuvent plus revenir en arrière747. L’âme et sa part reçoivent le sceau de la nécessité par quoi elles sont unies irrévocablement, en passant sous le trône de Nécessité748.

Reste le prophète, personnage tritagoniste. Nous avons vu qu’il n’était que le porte-parole et servi­teur de Lachésis. C’est lui qui proclame le discours et s’occupe des lots et des modèles de vies qui sont la possession de Lachésis. Parler et organiser le choix des vies, telle est la double activité du prophète. Pour parler, il monte sur une tribune élevée (βῆμα ὑψηλόν)749. Celle-ci correspond exactement à cette « tribune construite au dessus et en arrière de la scène »750 où les dieux, dans une tragédie, viennent parler. « C’est du θεολογεῖον, situé en hauteur (ἐν ὕψει) au dessus de la scène, qu’apparaissent les dieux »751, « dont les interventions personnelles sont constantes, depuis l’Orestie d’ESCHYLE (458) jusqu’aux Bacchantes d’EURIPIDE (405) »752. La tribune d’où parle le prophète est une allusion non cachée au "théologéïon" du théâtre tragique. Cette allusion nous montre claire­ment le souci scénique de PLATON lorsqu’il écrivit le mythe d’Er. D’ailleurs, n’a-t-il pas rêver de « marcher sur les traces d’ EURIPIDE »753.

Unité dramatique et harmonie des rôles

Que le prophète parle du haut du "théologéïon" nous conforte aussi dans l’idée du rapprochement avec l’institution delphique. Le prophète tient le discours de la divinité. Cette divinité semble être Lachésis754. En fait il n’en est rien. Le discours proclamé par le prophète ap­partient à Lachésis comme l’oracle à la Pythie. C’est Nécessité qui, possédant Lachésis755, possède le discours, les lots et les modèles ; c’est elle qui, possédant les Moires, fait tourner le fuseau ; c’est encore elle qui, possédant le prophète, organise le choix des vies et s’adresse aux âmes. L’activité de Nécessité est décomposée. Elle fait tourner le fuseau : les mains des Moires sont ses propres mains ; elle chante le temps : la voix chantante des Moires est sa propre voix pour chanter ; elle prononce le discours : la voix parlante du prophète est sa propre voix pour parler ; etc. Ainsi s’explique l’extra­ordinaire continuité d’un personnage à l’autre. Nécessité, les Moires et le prophète sont un seul et même corps qu’il a fallu décomposer en autant de fonctions pour le besoin de la scène. Ici encore, Platon nous livre un exemple d’harmonie. La fonction de Nécessité, celle des Moires et celle du prophète s’emboîtent l’une dans l’autre, dans une parfaite continuité. Le prophète étale devant les âmes des modèles de vies. Nécessité a un fuseau sur ses genoux. Quel rapport ? Pourtant, « pour qui veut le voir »756, on ne peut concevoir comme il faut l’activité du prophète sans concevoir, dans le même mouvement, l’activité de Nécessité. Quel que soit le point de vue où l’on se place, le mythe d’Er nous livre de l’harmonie, c’est-à-dire de la justice757.



LA CITÉ CÉLESTE



Jusqu’à présent, notre recherche était centrée sur un point déterminé : l’itinéraire eschatologique dans la première partie, puis, dans la seconde, le fuseau de Nécessité et le drame qui se joue autour de lui. La troisième partie de notre recherche ne sera pas organisée de la même façon. Nous allons privilégier tantôt certains termes dont la signification couvre plusieurs registres à la fois, tantôt certains autres dont la signification couvre un seul registre mais qui, apparaissant dans une comparaison ou une métaphore, doivent être étudiés à la fois pour eux mêmes et pour ce qu’ils apportent de déterminations. Ainsi, parmi les premiers, le terme κλῆρος appartient en même temps aux registres religieux, économique, guerrier, politique et judiciaire758. Ainsi, parmi les seconds, le terme ὐποζώματα vaut d’être étudié pour lui-même si l’on veut comprendre comment la comparai­son où il apparaît détermine la lumière tendue du ciel à la terre.

Nous allons travailler sur quelques miettes du texte. Afin d’organiser cette recherche, nous procède­rons en trois temps. Tout d’abord, seront relevées les images qui font référence à la guerre759 ; ensuite, les images qui renvoient à la religiosité de la cité760 ; enfin, celles qui sont proprement politiques761. Cette organisation a l’avantage de regrouper les images sous trois thèmes définis. Mais elle a aussi un inconvénient : certains termes (κλῆρος, par exemple) seront présents sous plus d’un thème. C’est pourquoi il faudra lire cette dernière partie non seulement dans l’ordre où elle se présente, mais aussi en suivant l’évolution d’un terme d’un thème à l’autre.

La fonction guerrière

Les « hypozômata »

La lumière qui traverse l’univers entier762 est comparée aux ceintures des trières763. Il con­vient de s’arrêter à cette comparaison, afin d’en comprendre la portée : savoir comment il faut, en premier lieu, se représenter ces ceintures, ces "hypozômata", ensuite, interpréter la comparaison elle-même et, enfin, analyser la référence au registre guerrier qu’elle contient.

Ce qu’ils sont

Nous sommes assez mal renseignés sur ce que pouvaient être les « hypozômata »764. Il faut tout d’abord soigneusement distinguer le pluriel "hypozômata" du singulier "hypozôma". En effet le sens n’est pas le même. Au singulier, il s’agit d’un terme d’anatomie : le diaphragme765 (ou bien, chez les insectes, le corselet)766 qui sépare le thorax et l’abdomen. Au pluriel, il s’agit des « câbles dont on entourait la coque (des trières) dans le sens de la longueur »767. Étymologiquement, les "hypozôma­ta" sont des "ceintures de dessous"768. Les textes où le terme apparaît sont rares : deux fois chez PLATON769, plusieurs dans les inventaires navals d’Athènes770, et une fois dans les Actes des apôtres771. Ces textes ne nous permettent pas de savoir l’emplacement exact des ceintures. Ce que nous apprend ISIDORE772 est insuffisant : « funis in navibus longus, qui a prora ad puppium extenditur, quo magis adstringantur » – ce qui s’applique aussi bien aux trières athéniennes des Vème et IVème siècles qu’aux navires égyptiens du XVème siècle avant J.C.773. Ces derniers possédaient un gréement comparable aux "hypozômata" du seul point de vue de sa fonction774 : un câble qui, de l’avant à l’arrière, était tendu dans l’axe du bateau. Prétendre que « ce qui est envisagé ici (Rép.X, 616c3), c’est, semble-t-il, surtout la partie, qui, en ligne droite, joint la poupe à la proue »775, revient à prendre les Grecs du temps de PLATON pour les Égyptiens gouvernés par la reine Hatchepsout (environ 1504-1483 avant J.C.). En fait, les "hypozômata" « venaient renforcer l’action des préceintes »776 et jouaient « le rôle de préceintes amovibles »777. « Lorsque le navire était tiré à terre et désarmé, [les hypozômata] pouvaient être enlevés et déposés en magasin […]. On les rendait au triérarque lorsque celui-ci faisait remettre son navire à flot »778. C’est pourquoi « l’expression "garnir un navire de ses hypozômata" voulait dire le mettre en état de service »779. Le seul problème sérieux – hormis celui du nombre des hypozômata sur une trière – est de savoir où ils étaient fixés par rapport aux préceintes. Mais qu’ils l’aient été entre les deux préceintes780 ou au dessus de la préceinte supérieure781 nous importe peu. Il nous suffit de savoir que « le câble faisait le tour com­plet du navire »782 et que, par conséquent, le système de cordage que constituaient les hypozômata, épousait le contour fusiforme de la trière783.

Mais un problème surgit aussitôt : comment la lumière, qui est comparée à une colonne, peut-elle avoir la forme d’une trière ? Faut-il, pour l’éviter, faire la même erreur que L.ROBIN ? Non, car rien n’empêche la lumière d’être telle une colonne et fusiforme ; ce qui est impossible, c’est qu’elle soit les deux à la fois. Or, lorsque les âmes voient la lumière droite comme une colonne, elles sont à un jour de marche du fuseau784. Mais lorsqu’elles voient la lumière fusiforme, elles sont devant le fuseau qui est, lui, dans la lumière785 ; elles sont donc tout près de la lumière si ce n’est dedans786. Ce qui, de la lumière, est à la hauteur des âmes est donc près de celles-ci, alors que les extrémités sont beaucoup plus loin. Or « le fait de voir de près ou de loin supprime l’appréciation vraie des dimensions et fausse le jugement »787 : ce que l’on voit de loin paraît plus petit que ce que l’on voit de près – toutes dimensions égales788. Ceci explique que la lumière soit, dans un premier temps où les âmes sont loin de la lumière (dont les extrémités sont à la même distance environ par rapport aux âmes que le milieu – dans le sens de la longueur), comparée à une colonne, alors que, dans un deuxième temps où les âmes sont près du milieu de la lumière (dont les extrémités sont beaucoup plus loin des âmes que le milieu), elle est fusiforme.

Leur fonction

Mais quelle était la fonction des hypozômata ? Pour répondre à cette question, il faut savoir que la « trière se construisait rapidement »789. « La rapidité de sa construction peut, pour une bonne part, expliquer [sa] fragilité relative »790. Car non seulement « une trière fait eau assez vite »791, mais, ayant « un fond large et presque plat »792, elle « aurait été trop flexible si (elle) n’avait pas eu les renforts (préceintes fixes ) et les câbles (hypozômata) [la] ceinturant solidement »793. Les constructeurs avaient le « souci évident de lier solidement la coque avec des préceintes fixes et volantes »794. Si, d’autre part, on employait ces préceintes volantes que sont les hypozômata, c’est parce que les préceintes fixes ne devaient pas suffir à maintenir la cohésion du navire795. Les hypozômata n’étaient fixés que lorsque la trière partait en mer796, et, pendant la navigation, on pouvait les remplacer par ceux que l’on avait emportés comme rechange797, ou bien resserrer ceux qui étaient déjà installés798. En effet « le câble faisait le tour complet du navire et ces deux brins pénétraient à l’intérieur à l’arrière, pour venir s’amarrer sur un appareil permettant de le tendre plus ou moins et dont nous connaissons le nom, et rien que lu ; c’était le "tonos" ou "entonos" »799. C’est sur les hypozômata et les appareils de tension que la force centrifuge des éléments du bateau est contenue, arrêtée ; et ce sont eux qui, en dernier lieu, assurent la cohésion du bateau.

Dans notre mythe, c’est la lumière qui assure la cohésion de ce bateau qu’est l’univers800 : elle maintient la totalité du mouvement cosmique. Sans elle, chaque élément de l’univers agirait indépendamment de chaque autre, et il y aurait dispersion, au lieu d’harmonie801.

La marine, lieu politique

Ce qu’il importe de noter, c’est le caractère politique de la comparaison maritime. Celle-ci est en effet employée par PLATON, dans la plupart des cas, à propos de la cité802. D’autre part la « flotte [grecque] par excellence est la flotte athénienne du Vème et du IVème siècle, issue de la politique de Thémistocle. Cette flotte est vraiment l’œuvre des citoyens athéniens par l’intermé­diaire de l’institution bien connue de la triérarchie »803. L’État fournissait la coque du vaisseau et les agrès804 au triérarque805 qui devait pourvoir, à ses frais, à l’équipement et à l’entretien, et qui était responsable de la trière devant le Conseil806. D’autre part, « c’est […] dans la politique navale de Thémistocle, à la veille de la seconde guerre médique, que l’on a coutume de voir les origines du régime démocratique de la cité [Athènes] au Vème siècle »807. Car « faire partie de la chiourme [dans les trières] est en principe réservé aux citoyens »808. C’est pourquoi l’auteur de la République des Athéniens peut écrire que « c’est le peuple qui actionne les rames809 des navires, et (par conséquent) donne à la cité sa puissance »810. Ce texte semble dater du dernier quart du Vème siècle811. Au milieu du IVème, ISOCRATE812 répète que « les citoyens doivent actionner les rames813 » des trières. Il est donc manifeste que, de Thémistocle à Isocrate, la marine est une instance civique incomparable, un lieu politique important de la démocratie athénienne.

Les trières, navires de guerre

Mais PLATON, dans le mythe d’Er, ne se contente pas de parler des trières, il parle des hypozômata. Or, on l’a vu814, les marins se servent de ces derniers uniquement lorsque les trières partent en mer. Et la seule occasion pour une trière de sortir en mer ne peut être que la guerre. Car « ce bateau médiocrement marin était un excellent engin de guerre »815, « un redoutable instrument de combat »816. C’est le navire de guerre grec par excellence : à l’été 494, la flotte grecque ne se compte qu’en trières817, et si, vers 398, Denys de Syracuse fait construire les premières tétrères et pentères818, la flotte athénienne, en 325/4 encore, compte 360 trières sur 417 bâtiments819. Mais la trière n’est pas seulement le navire de guerre par excellence, elle est surtout, au Vème siècle, l’instrument et, partant, le symbole de la puissance d’Athènes820. Pour celle-ci, la guerre navale est déterminante821. Mieux, lorsque, principalement à partir de la guerre du Péloponnèse, l’art de la guerre sur terre évolue, c’est le modèle maritime qui s’impose822. Et la trière sera le symbole de la puissance d’Athènes, alors même que cette puissance ne sera plus qu’un souvenir823.

Bref, la comparaison maritime n’intervient pas, dans le mythe d’Er, uniquement pour la fonction des hypozômata. PLATON l’emploie aussi pour faire référence à la fonction politique et surtout guerrière. Nous avons d’ailleurs déjà entrevu, dès la préparation du mythe, l’importance de cette dernière824. Nous allons voir que d’autres termes du mythe appartiennent au registre guerrier.

Le "klèros"

Alors que les hypozômata renvoient à un registre unique825, le κλῆρος – que nous transcrirons par commodité : klèros – appartient à plusieurs registres826. Chez HOMÈRE, le klèros est le jeton employé pour le tirage au sort827 ; assez vite, il a fini par désigner le tirage au sort lui-même828, qui « fut probablement, à l’origine, de nature religieuse »829, ou même « mystique »830. Dès le début, le terme a aussi un sens économique : c’est le bien foncier, le lopin de terre831 et, plus largement, le bien familial, le patrimoine832. C’est à partir de son sens économique que le "klèros" nous conduit à la fonction guerrière. En effet, « c’est la possession du klèros, d’un bien foncier, qui donne à un individu accès, simultanément, à la fonction militaire et à la fonction publique »833. Pour partir à la guerre, les Athéniens devaient être inscrits sur le ληξιαρχικὸν γραμματεῖον, registre du dème834 sur lequel ne pouvaient figurer que « ceux qui commandent (ἀρχοῦσι) une λῆξις, c’est-à-dire un bien patrimonial, un klèros »835. Cette fortune devait être relativement substantielle836, puisque « chacun s’équipait à ses frais »837.

Ordre et harmonie

Dans notre mythe, le klèros détermine l’ordre dans lequel les âmes vont choisir leur nouvelle existence838. Or l’ordre, ἡ τάξις, est un terme-clé du registre guerrier. « Tenir sa place dans le rang, s’élancer d’un même pas contre l’ennemi, combattre bouclier contre bouclier, exécuter toutes les manœuvres, comme un seul homme, autant d’activités que résume une notion capitale : τάξις »839. Cette notion est, si l’on veut, opérationnelle du VIIème siècle, au courant duquel apparaît la phalange, jusqu’à l’époque où les latins forgeront leur vocabulaire militaire840, en passant par HÉRODOTE, THUCYDIDE et XÉNOPHON, par exemple. PLATON ne manque pas de prendre le terme dans cette acception militaire : selon les lois d’Athènes, avoir une conduite conforme à la justice, c’est « ne pas céder du terrain, ne pas reculer, ne pas abandonner son poste (τάξις) »841. Dans le mythe eschatologique du Phèdre, les dieux forment une armée842 qui évolue κατὰ τάξιν843 – ce ce qui nous conduit, sans qu’il soit besoin de transition, au Gorgias, où Socrate travaille sur le couple notionnel ταξίς καὶ κόσμος, comme condition première de toute valeur, de toute qualité : une maison, un navire, un corps humain, une âme même n’a aucune valeur si « l’ordre et l’arrange­ment »844 n’y sont pas effectivement présents845. D’une façon générale, l’excellence (ἡ ἀρετή) d’une chose, quelle qu’elle soit, c’est ce qui, en elle, est « ordonné et disposé avec ordre »846. C’est pour cela que l’univers s’appelle κόσμος, et non ἀκοσμία847 ; comme s’il était l’œuvre d’un artisan (δημιουργός) qui « se propose un certaine ordre (ταξίς) quand il met en place chacune des choses qu’il y a à placer, et […] contraint l’une à être ce qui convient à l’autre, à s’ajuster (ἁρμόττειν) à elle, jusqu’à ce que l’ensemble constitue une œuvre qui réalise un ordre (τεταγμένον) et un arrangement (κεκοσμη­μένον) »848.

L’harmonie – c’est encore de cela qu’il s’agit – est donc impossible sans ordre, que l’on observe une maison, un navire, un corps animal, une âme ou l’univers tout entier. Il ne faut pas oublier cependant que le lieu où l’ordre se lit en gros caractères849, c’est l’armée. Lorsque XÉNOPHON parle de l’ordre ménager, la principale comparaison qui lui vient en tête est l’ordre militaire : « quand une armée s’avance en ordre, y eut-il plusieurs myriades de soldats, tous marchent sans encombre comme un seul homme, les derniers emboîtant successivement le pas de ceux qui les précèdent »850. Autre comparaison importante : les citoyens qui composent la chiourme dans une trière, « sont assis en ordre, se courbent en ordre sur leurs rames, se redressent en ordre et s’embarquent et débarquent en ordre »851. De même que la justice est « l’idée de cité »852, de même l’ordre est « l’idée d’armée ». Cette dernière, en effet, suppose la pratique de l’ordre (εὐταξία), c’est-à -dire la discipline morale (σωφροσύνη)853.

Politique de la guerre

Le principe du citoyen-soldat

Dès la préparation du mythe, nous remarquions, par delà l’homogénéité du guerrier et du politique, l’importance de la fonction guerrière dans la cité platonicienne854. Les pages qui précèdent nous ont rapidement montré le poids de la métaphore et de la comparaison guerrières dans le mythe d’Er. Il est temps maintenant de voir comment PLATON, dans la République, satisfait à la fois le principe du citoyen-soldat et l’exigence de spécialisation. Ceci ne fait pas problème ; nous vou­drions seulement marquer qu’ici encore la notion d’harmonie est centrale.

Avant la guerre du Péloponnèse, « entre la "koinonia" des citoyens et la communauté des soldats, il n’y a pas de différence. Les mêmes hommes constituent l’une et l’autre »855. Certes, « l’art d’avancer, de reculer, de charger en masse, l’art de décupler la valeur individuelle par la cohésion de l’ensem­ble856 exige, de toute évidence, un entraînement, un dressage »857. Mais « dans le cadre de la cité grecque, c’est le gymnase, largement répandu dès le VIème siècle, qui permet aux citoyens-soldats de se plier à la discipline des marches et contre-marches. […] Exercices gymniques et rythmes musicaux concourent, tous deux, à instituer l’ordre et la discipline, qui fonde le comportement de l’hoplite »858. Que ce soit au niveau de l’entraînement ou au niveau de la pratique guerrière, l’idéal du citoyen-soldat est réalisé.

L’exigence de spécialisation

« C’est la guerre du Péloponnèse qui voit s’amorcer le divorce entre le citoyen et le sol­dat »859. Dans le même mouvement, l’armée perd peu à peu son contenu civique, et le citoyen se désintéresse de plus en plus de la vie militaire860. L’armée devient une armée de métier, la guerre l’affaire de spécialistes, les mercenaires. La spécialisation guerrière, avant de devenir une exigence, se donne comme réalité politique861. C’est un fait inscrit dans les mœurs du temps : se battre à la guerre, c’est un métier862. Le guerrier a des outils (ὄργανα), comme le cultivateur ou le cordonnier – outils dont le maniement n’est pas à la portée du premier venu863. Et, puisqu’un individu ne peut exercer qu’un seul métier864, l’une des classes de la cité de la République s’occupera exclusivement de la guerre – guerre défensive essentiellement865.

La solution platonicienne

Cependant, bien que l’exigence de spécialisation soit ici pleinement satisfaite, le principe de l’armée citoyenne est maintenu. Notons, tout d’abord, que l’armée n’est composée que de citoyens ; elle n’est pas une armée de mercenaires. Si l’exigence de spécialisation est satisfaite, c’est à l’inté­rieur de la cité. Si l’armée n’est pas coextensible à la cité, elle n’est pas pour autant un hors-politi­que. Précisément, elle a, dans l’organisation politique, une place déterminée, place qui, en outre, est centrale. Non seulement c’est d’elle que sortira la classe des gouvernants, mais, comme les autres classes, si elle exerce strictement sa fonction, elle concourra au bien commun, à la justice de la cité. En tant qu’élément de cette harmonie qu’est la cité juste, la fonction guerrière est une fonction politi­que. La solution platonicienne au problème de la conciliation du principe du citoyen-soldat et de l’exigence de spécialisation passe donc par l’idée d’harmonie. Chaque guerrier – ce que n’est pas tout citoyen – doit se maintenir à son poste pour assurer l’ordre de l’armée ; et l’armée doit se maintenir en son lieu propre pour participer à l’ordre de la cité. Il n’ est pas besoin d’insister : il y a intégration de la différence (spécialisation) dans l’organisation politique866.

Vers le panhellénisme

Mais PLATON ne se contente pas de concilier deux exigences apparemment contraires, il opère, en outre, une distinction fondamentale dont nous trouvons un aboutissement dans une comparaison du mythe d’Er.

Le traitement des vaincus

Érigeant les lois de la guerre, Socrate en vient au traitement des vaincus867 : est-il « juste que des cités grecques asservissent des Grecs, ou bien faut-il qu’elles le défendent aux autres, dans la mesure du possible, et que les Grecs s’habituent à ménager la race grecque, par crainte de tomber dans la servitude des barbares ? - En tout et pour tout, répondit [Glaucon], il importe que les Grecs en usent entre eux avec ménagement »868. À ce niveau, la distinction fondamentale joue entre le Grec et le barbare. Le traitement du vaincu est différent selon qu’il est grec – il ne faudra pas le ré­duire à l’esclavage, ni consacrer ses armes à un dieu869 – ou qu’il est barbare – et l’on pourra en faire un esclave.

Guerre et maladie

Mais la distinction se prolonge à un niveau plus fondamental : du traitement des vaincus, on passe à l’action guerrière elle-même. La guerre est différente selon qu’elle a lieu entre Grecs – dans ce cas, elle s’appelle στάσις – ou qu’elle oppose des Grecs et des barbares – et elle s’appelle πόλεμος870. La "stasis" est un symptôme pathologique : l’ensemble au sein duquel elle a lieu est malade871; mieux, la "stasis" est en elle-même maladie872. ALCMÉON déjà définissait « la santé comme une isonomie des éléments et des puissances du corps, et la maladie comme un déséqui­libre »873. Pour PLATON, le mécanisme physiologique fonctionne selon un ordre déterminé874, et « la santé réside dans le respect de l’ordre décrit (Timée 82b2-5). La maladie, au contraire, apparaît lorsque cet ordre est détruit »875. Les maladies les plus graves sont celles qui naissent d’une inver­sion complète de l’ordre876. La "stasis" est donc la rupture d’un ordre, une dysharmonie.

La Grèce

Cette idée que "stasis" et maladie recouvrent une seule et même réalité nous conduit à penser que la Grèce, c’est-à-dire l’ensemble des cités grecques, forme une entité dont l’état normal est d’être en elle-même « ordonnée et disposée avec ordre »877. Non seulement il y a, entre les cités grecques, communauté de "génos"878, mais on peut même affirmer que chaque cité est comme citoyenne d’une cité plus grande : la Grèce. Certes le mot n’est pas chez PLATON, mais les termes qu’il emploie pour parler de la cité d’une part, et de la Grèce d’autre part, se ressemblent trop pour que l’idée de la cité panhellénique ne s’impose pas avec force. C’est la comparaison avec le corps humain qui éta­blit, pour une part, cette idée : la cité idéale (c’est-à-dire la mieux gouvernée) est celle qui se rapproche le plus d’un corps humain en bonne santé879 ; or la Grèce est malade à la façon d’un corps humain. De toute manière, si elle était en bonne santé880, elle réaliserait sûrement une organisation analogue à celle dont nous parlions tout à l’heure881. En tant que communauté, la Grèce est passible d’harmonie, c’est-à-dire de justice.

Le panhellénisme avant PLATON

Le panhellénisme n’a d’ailleurs rien qui doive surprendre, en cette première moitié du IVème siècle. Dès la fin du Vème, une vive réaction se manifesta contre la violence et la cruauté de la guerre du Péloponnèse882. ARISTOPHANE, dans les Acharniens (425), dans la Paix (421) mais surtout, en 411, dans Lysistrata, dit son horreur des maux de guerre en même temps que son sentiment de l’uni­té hellénique. C’est en ces termes que Lysistrata réprimande athéniens et lacédémoniens : « vous qui d’une ablution commune arrosez les autels, comme des enfants de la même famille883 […], quand vos ennemis les Barbares sont là en armes, vous tuez des Hellènes et détruisez leurs cités ! »884. EURIPIDE laissa, à sa mort, trois pièces qui furent jouées en 405, et lui valurent un premier prix posthume ; parmi elles, Iphigénie à Aulis où le sacrifice d’Iphigénie est compris, par la victime même, comme servant la cause panhellénique885. Les sophistes aussi prennent position ; parmi eux, GORGIAS dont le « discours olympique886 eut une considérable importance politique ; car, voyant la Grèce déchirée, il se fit pour ses enfants l’avocat de leur union, les retourna contre les barbares et les persuada de faire, non de leurs mutuelles cités, mais du pays des barbares, l’enjeu de leurs luttes »887. Dans son Oraison funèbre, il démontra que « si les succès remportés sur les barbares réclamaient des hymnes de joie, ceux remportés sur les Grecs réclamaient des chants funèbres »888). LYSIAS, dans son discours olympique889, se lamente de l’état déplorable de la Grèce, dû à la "stasis" et « au goût [qu’ont les Grecs] de se vaincre les uns les autres »890, et, demande que cesse la guerre entre Grecs891. C’est surtout avec ISOCRATE que l’idée panhellénique s’affirme dans toute sa force. En publiant, en 380892, son discours panégyrique, il se proposa de démontrer la nécessité pour les peuples grecs de mettre un terme à leurs divisions893, et de s’unir pour entreprendre une expédi­tion commune contre les Perses894.

La contribution platonicienne

Reprenant le thème, PLATON en précise la terminologie et l’inclut dans la législation de la cité de la République. Terminologie : les termes "stasis" et "polémos" sont rigoureusement distin­gués. LYSIAS déjà avait employé le premier vocable pour désigner la guerre entre Grecs895, mais, aussitôt après, le remplaçait par le second896. Ce qu’il appelle "guerre ("polémos") entre Grecs", PLATON l’appelle systématiquement "stasis". Législation : les lois de la guerre sont diffé­rentes selon que la guerre s’appelle "polémos" ou "stasis". À proprement parler, il n’y a de guerre qu’entre Grecs et barbares – guerre fondée en nature897. La "stasis" n’est pas une guerre, mais une maladie que la classe guerrière de la cité platonicienne s’emploiera à soigner, en rétablissant l’ordre dans le corps hellénique898.

La fonction religieuse

La panégyrie

Pour une cité, se sentir membre de la patrie (οἰκεία) grecque, et partager, avec tous les autres Grecs, une même religion, c’est tout un899. Le lieu où se publiait l’idée panhellénique900 est celui-là même où les Grecs vivaient leur communauté religieuse : la panégyrie. Autrement dit, de la fonc­tion guerrière à la fonction religieuse, le passage est direct.

Dans le mythe d’Er, les âmes, revenues de leur voyage de mille ans, « campent comme à une panégyrie »901. Tel est l’aboutissement dont nous parlions plus haut902. Cet aboutissement de la fonction guerrière est en même temps le point de départ de la fonction religieuse. Car une panégyrie est avant tout une fête solennelle religieuse903, dont la partie importante était constituée par « des vœux et des sacrifices communs »904. « Très tôt, nous le savons, la Grèce peut être considérée com­me une unité religieuse »905. Or cette «  unité se fit surtout d’elle-même, par l’attrait qu’exerçaient les grands sanctuaires »906. « Tout sanctuaire qui était centre de panégyrie se devait d’être pourvu d’un oracle » et « ce qui en a fait des organes d’unité religieuse, c’est que les cités elles-mêmes se sont mises à les consulter »907. Le centre oraculaire dont l’activité fut la plus considérable est celui de Delphes908. En d’autres termes, « Delphes était le sanctuaire commun de la Grèce »909. Nous voici donc revenus à Delphes, où règne le dieu dont Socrate est le serviteur, et où nous avait conduits l’analyse des personnages du mythe d’Er.

Le temple

Ceci nous contraint à inscrire dans la fonction religieuse tout ce que, plus haut, nous avons dit de Delphes et d’Apollon. Mais à cela, il faut ajouter une série d’images dont nous avons déjà parlé pour d’autres raisons : la colonne qui sépare et maintient séparés la terre et le ciel, et qui permet à la lumière d’emplir l’espace entre terre et ciel, cette colonne est la colonne d’un temple dont la terre est la base, le ciel le toit, et la lumière l’espace intérieur. Ce temple est Delphes.

Le klèros

Reste le klèros dont nous avons déjà noté le sens religieux910 et le sens économique911 qui semblent premiers tous les deux. C’est que le klèros, dans son sens économique, implique un comportement de type religieux – ce dernier impliquant un comportement guerrier912. On voit ici, la solidarité du religieux, de l’économique et du guerrier. L’intérêt d’un mot comme klèros est de la mettre en évidence913.







Est-il besoin d’insister sur la nature religieuse de certaines images du mythe d’Er ? Tout cela est parfaitement clair. Nous voulions seulement l’évoquer – cette évocation étant quasiment absente des commentaires modernes du mythe.



La fonction politique



Après les fonctions guerrière et religieuse, il nous faut examiner la fonction politique en elle-même, qui est de loin, selon nous, la plus importante et la plus susceptible de situer notre mythe dans son véritable contexte : la pensée politique de PLATON.

Certes, la comparaison maritime renvoie à la fonction politique avant de s’inscrire dans le registre guerrier914 ; certes, le problème de la guerre est politique915, comme le problème religieux916 ; mais maintenant, c’est à des images directement politiques que nous allons nous attacher. Elles sont, en gros, de deux sortes : les unes917 font allusion à la démocratie athénienne, les autres918 nous con­duisent à la pensée politique platonicienne telle que la République nous la présente. Des unes aux autres, il y a, comme nous le verrons, un passage tracé par un problème politico-juridique919.

PLATON et la vie politique de son temps

Dire, avec le père VALENSIN, que « PLATON n’a jamais été, véritablement, un homme d’action », qu’il fut, en politique, « un théoricien en chambre »920 ne tient pas devant la lecture des textes platoniciens. La République n’est pas cet « exemple prétendu frappant d’une perfection ima­ginaire qui ne peut avoir son siège que dans le cerveau d’un penseur oisif »921. Sur ce problème, l’article de L.ROBIN consacré à "PLATON et la science sociale"922 semble avoir été décisif : « il y a dans l’œuvre de PLATON un remarquable effort pour faire dépendre l’art politique d’une science sociale positive, où l’observation des réalités se mêle à la réflexion philosophique »923. Cet article eut et a encore des conséquences importantes924. C’est sur l’autorité de L.ROBIN, et de ceux, non moins autorisés, qui l’ont suivi, que nous nous appuyons pour affirmer que, dans le mythe d’Er, certaines images renvoient à la réalité politique de l’Athènes du début du IVème siècle.

La tribune du plaidoyer

Lorsqu’Er nous apprend que le prophète monte sur une tribune élevée, il emploie l’expres­sion ἀναβαίνειν ἐπὶ τὸ βῆμα, expression courante du langage judiciaire et que l’on trouve à foison chez les orateurs attiques925. Dans la procédure ordinaire de justice, lors de l’audience, le demandeur et le défendeur avaient chacun leur tribune. Le prophète n’est-il pas ce défendeur qui met Dieu hors de cause926 et ce demandeur qui attribue toute la responsabilité du choix qu’il annonce aux âmes qui choisissent927 ? En fait, le prophète énonce les règles du choix – celles-ci ayant leurs assises sur une théodicée positivement établie. Le monde est un ensemble divers mais dont les relations mutuelles sont réglées par un ordre qui fait de cet ensemble un tout harmonieux. Si jamais la divinité doit être responsable de quelque chose, c’est bien de l’harmonie – dont le monde n’est, après tout, qu’un exemple concret. En d’autres termes, la divinité (en l’occurrence Nécessité) offre aux âmes un modèle de justice. Nous avons insisté ailleurs928 sur l’importance eschatologique de ce modèle. La divinité fait, par cette offrande, acte de générosité envers les âmes. Nécessité détient l’ordre du monde929 qui est justice930, et se décompose afin de le mieux montrer aux âmes931. Telle est l’unique intervention de la divinité avant le moment critique pour les âmes (étymologiquement : le moment du choix ; et en même temps dans le sens dérivé et couramment : le moment du "risque total"932 couru par l’âme).

Cette intervention est passive dans la mesure où la divinité se laisse voir sans résistance ; mais elle est éminement active dans la mesure où l’âme qui aura su contempler la scène ne fera pas le même choix que celle qui n’aura pas su933. Son choix sera meilleur : après avoir contemplé un modèle de justice, l’âme fera le choix d’une vie juste ; elle saura si telle vie est juste ou non. En effet la vie n’est pas simple, mais composée de divers éléments934. Une vie est belle non seulement en raison de la beauté de ses composantes, mais surtout en raison de l’harmonie qui règne entre elles935. De cette harmonie, l’âme, qui a su voir le spectacle que lui offrait la divinité, sait quelque chose. Ce qui est sûr, c’est que Nécessité, en manifestant l’ordre et l’harmonie, ne peut qu’aider les âmes à choisir une vie juste ; en aucun cas, elle ne peut les induire en erreur. C’est en ce sens que « la divinité est hors de cause »936. Car la perfection de la divinité937 implique, non pas qu’elle soit responsable de tout, mais seulement responsable du bien938 ; c’est l’homme qui, en se précipitant aveuglément et en transgressant l’ordre du monde, « renverse le bien et la règle »939. En fait, « la divinité est hors de cause en matière de mal et d’injustice », comme le précise JAMBLIQUE940. Si donc une âme fait un mauvais choix, la faute lui en revient intégralement. Le prophète décharge la divinité et charge l’âme qui choisit. Il défend et accuse à la fois, du haut de la tribune.

La tribune du discours politique

Mais τὸ βῆμα, ce n’est pas seulement l’estrade où se tiennent, lors d’un procès, chacun sur la sienne, demandeur et défendeur, c’est aussi la tribune d’où se proclame le discours politique et particulièrement la tribune aux harangues située sur la Pnyx, lieu éminent de la vie politique athénienne depuis Clisthène. D’après ce que nous avons déjà dit, on peut se rendre compte du caractère et de la teneur politiques du "discours de la vierge Lachésis" proclamé par le prophète. Mais c’est plus loin941 que nous verrons une part essentielle de son contenu.

La procédure de vote

Pour en arriver là, il nous faut revenir à un terme dont nous avons déjà remarqué le poids sémantique : le klèros942. Pour l’instant, c’est associé à κάδος qu’il nous intéresse. Ces deux mots sont en effet présents dans notre mythe. Ils n’y sont pas rapprochés, mais leur association se fait d’elle-même, si l’on prend "kados" comme synonyme de καδίσκος943 : urne de vote. Dans cette association, le klèros est le jeton de vote. Il est bien évident que tel n’est pas le sens – au premier degré – pour lequel PLATON a employé ces termes dans le mythe d’Er. Il reste que, au niveau de la métaphore, ou plus simplement de l’allusion, les trois vocables "bèma", "kados" et "klèros" forment système. Les jetons que lance le prophète ont pour fonction de ranger les âmes dans un ordre linéaire (numérique)944. D’où l’attribution de cette fonction peut-elle émaner, sinon de ce qui personnifie, d’une façon absolue, l’ordre et l’harmonie ? D’où, sinon de Nécessité ? Or, ce qui concrétise cet ordre-harmonie, n’est-ce pas cet ensemble de vases gigognes que Nécessité a sur ses genoux ? Tout se passe comme si les "klèroï" sortaient des "kadoï". L’ordre dans lequel sont rangées les âmes est le produit d’un tirage au sort effectué sous le contrôle plénier de Nécessité. Les âmes devront se servir de ces "klèroï" : c’est dans l’ordre fixé par ceux-ci qu’elles vont choisir leur nouvelle vie. Bien sûr, le prophète explique que cet ordre ne détermine pas le résultat du choix : « même celui qui s’avance le dernier trouve devant lui, pourvu qu’il choisisse avec intelligence, une existence désirable pour un homme qui vit avec une fermeté soutenue945, une existence qui n’est point mauvaise946. Que, ni celui qui commence à choisir ne soit inattentif, ni celui qui finit, découragé ! »947. En fait, l’ordre n’est pas déterminant si l’âme sait choisir, c’est-à-dire si elle ne choisit pas avec précipitation948 : seule la philosophie peut annuler le hasard949. Le tirage au sort est comme un piège que Nécessité tend aux âmes et que seules les âmes philosophes peuvent déjouer. Ce faisant, Nécessité ne fait pas preuve de méchanceté à l’égard des âmes ; elle veut seulement les mettre à l’épreuve950.

L’épreuve du tirage au sort

Cette courte analyse contient deux enseignements importants. Premièrement, PLATON charge le tirage au sort d’une « valeur pieuse depuis longtemps oubliée »951. Ensuite, il lui attribue ici une fonction philosophique, alors qu’en politique, il est hostile à son emploi952 ; que cette fonction philosophique est en fait politique, au sens fort du terme, c’est ce que nous tâcherons de montrer plus loin.

Le droit athénien et la cité de la République : le klèros

Techniquement, klèros signifie la succession953. C’est « la terre, patrimoine […] inaliénable, qui constitue comme la substance visible d’une famille »954. Car « l’être familial ne se conçoit guère sans une propriété, qui est en principe propriété terrienne ; il ne se conçoit pas davantage sans les dimensions temporelles : il se continue, et le mode de transmission successorale est un élément essentiel de sa définition »955. Ceci est valable pour le droit antique en général.

À Athènes, le patrimoine est la propriété des mâles : le fils unique hérite en totalité ; s’il y a plusieurs fils, chacun hérite d’une part égale ; si le fils est adoptif, il hérite intégralement, mais, s’il n’a pas de postérité, la succession fait retour à la famille (le fils adoptif ne peut adopter à son tour) ; s’il n’y a pas d’enfant mâle, mais seulement une fille (ou des filles), celle-ci (ou l’une de celles-ci) est appelée à transmettre l’héritage : alors elle « est dite "épiclère" parce qu’elle suit le "klèros" de son père, qu’elle lui est attachée »956 ; l’épiclère n’hérite pas, elle a pour fonction de faire passer le bien de son père à son fils (ou à ses fils)957 ; s’il n’y a pas d’enfant du tout, la succession est réglée par le système des parentèles. Mais quel que soit le règlement de succession, un principe-force demeure : le klèros est le bien « qui ne sort pas de la famille »958. Sauf cas de saisie, il reste propriété du "génos" et ne peut revenir à la cité. Être propriété du "génos", pour le klèros, c’est passer de père en fils. Autrement dit, le principe-force a pour fondement la (re-)connaissance de la filiation.

Pour la classe des gardiens de la cité de la République, PLATON annule ce fondement : « le père ne connaîtra pas son fils, ni le fils son père »959. Autant dire que tout le système juridique athénien concernant la succession est aboli. Le gardien n’a pas de famille ni de klèros. Ou plutôt sa famille est la cité, son klèros celui de la cité. La "parenté réelle" est remplacée par "la parenté hypothé­tique"960 : tout enfant pouvant être, vu son âge, le fils (ou la fille) de tel gardien, sera appelé(e) par ce dernier "mon fils" (ou "ma fille")961. D’ailleurs, à quoi servirait la parenté réelle, puisque la propriété privée (et familiale) n’existe pas pour le gardien ? D’autre part, du point de vue psycho-physiologique, PLATON admet « l’incertitude de la base héréditaire »962. Socialement et psycho- physiologiquement, l’individu de la cité platonicienne n’est pas entièrement prédéterminé ; il n’a pas d’acquis. C’est son éducation spirituelle et physique qui le situera socialement – son aptitude à recevoir cette éducation. C’est pourquoi le mort-né ou l’enfant mort en bas âge n’a pas à être politiquement jugé963 ; il n’est rien.

Dans le droit athénien, l’individu se définit dans le cadre de la famille, c’est-à-dire par rapport à un klèros qui lui préexiste et qu’il recevra en héritage. Dans la cité platonicienne, l’individu (gardien) se définit dans le cadre de la cité ; son klèros ne lui préexiste pas : son identité sera fonction, direc­tement, de l’épreuve du hasard964 et, dans le même mouvement, du choix, puis de la conduite même de l’individu pendant sa vie terrestre, c’est-à-dire politique. Le klèros du gardien est la cause con­temporaine de son incarnation. Il lui est attribué par Nécessité, lors de la mise à l’épreuve, et il se constitue par le comportement de son âme (choix et vie).

Ce qu’il importe de noter, c’est que l’identité de l’individu est, dans l’ordre de l’idéal, redonné à chaque incarnation de l’âme ; et qu’elle fonctionne dans les limites et sur le terrain du politique. C’est pour cette raison que chaque âme reçoit un klèros lorsqu’elle va choisir une nouvelle vie : son identité dépend de ce qu’elle fait de ce klèros965 – épreuve préliminaire au choix. D’autre part alors que dans le droit athénien, l’individu reçoit (en héritage) son klèros d’un autre individu (son père), dans la République, il le reçoit des mains de Nécessité, « détentrice des lots »966, et non d’un père qu’il ne connaît même pas967. Le klèros n’est plus une notion de droit de la famille, mais une notion cosmique et politique968.

"Syndesmos"

Le paragraphe précédent nous a transportés de l’Athènes du IVème siècle à l’un des aspects essentiels de la pensée politique platonicienne dans la République. Il n’y a pas lieu de tenter ici une analyse de cette pensée. Cette troisième partie de notre mémoire s’attache à des images. Elle cons­titue une tentative de lecture en dérivée. Il s’agit donc de voir quelles sont les images directement politiques de notre mythe. Parmi elles, il en est une qui non seulement « joue un rôe central dans le platonisme, dont on pourrait construire autour d’elle les aspects essentiels »969, mais encore possède une projection politique qui installe le spectateur au cœur de la politique platonicienne. Cette image est celle du lien : σύνδεσμος. Ce terme n’a, d’une façon sûre, que quatre occurrences chez PLATON970. L’une d’elles apparaît dans notre mythe971 ; c’est celle-ci qui, au premier chef, nous intéresse maintenant. Deux autres manifestent avec évidence l’exploitation politique que PLATON fait de ce terme.

La cohésion dans la cité

Dans la République tout d’abord, Socrate fait remarquer à Glaucon qu’il a oublié « qu’il n’importe pas à la loi de chercher à faire le bonheur d’une seule classe privilégiée de l’État, mais qu’elle travaille à ce qu’il se réalise dans l’État tout entier ; cela en établissant l’harmonie972 entre les citoyens […] ; en faisant qu’ils se rendent les uns aux autres ces services par lesquels chaque classe de citoyens est capable de servir la communauté973 ; en formant elle-même de tels hommes dans l’État, n’ayant pas pour fin de permettre à chacun de se tourner du côté qu’il lui plaît, mais se donnant à elle-même pour fin de les employer, eux, à assurer la cohésion de l’État (τὸν σύνδεσμον τῆς πόλεως) »974. Or une cité cohérente, c’est-à-dire dont les éléments, différents par leur nature propre, se tiennent, sont tenus entre eux975, une telle cité est juste. Cette cohésion est pour la cité le facteur interne de la possibilité d’action976 – c’est-à-dire facteur interne de justice et finalité propre de la loi977.

Le lien qui unit cité et divinité

Dans les Lois, alors qu’il est question des contrats d’entreprise, l’Athénien demande qu’une loi soit instituée, « qui raffermisse le lien (σύνδεσμος) qui unit la cité aux dieux »978. Le détail de cette loi ne nous intéresse ici que dans la mesure où il constitue une exception dans le contexte du dialogue979 : l’Athénien enfreint un principe qu’après le Socrate de la République980, il a énoncé avec d’autant plus de force qu’il est en opposition totale avec la pratique des affaires à Athènes. Ce faisant, l’Athénien a sûrement une raison importante qui n’est autre que le souci de ne pas couper la cité de la divinité, la volonté de préserver, voire de raffermir ce « lien qui unit la cité aux dieux ». Car la divinité est « mesure universelle (et) règle du vrai et du droit »981 et l’État est « fondé sur la religion »982. La cité des Lois est "théocentrique"983, à tel point que l’on ne pourra trouver, à l’intérieur de cette cité, l’unité et la cohésion « que si le peuple est religieusement convaincu de la nécessité d’obéir aux lois »984. Ici, le σύνδεσμος est ce qui lie la cité à un extérieur qui la fonde et rend possible sa cohésion interne. Dans la République, il est déjà cette cohésion. Mais, ici et là, il est de toute évidence une réalité politique.

La cohésion de la vertu

Chronologiquement intermédiaire entre la République et les Lois, le Politique nous parle de de ce « lien vraiment divin985, qui unit entre elles les parties de la vertu, si dissemblables qu’elles soient par nature et si contraires que puissent être leurs tendances »986. Le problème est celui de l’unité de la vertu, problème délicat s’il en est987, et constant chez PLATON988. En l’occurrence, il s’agit de savoir si les différences qui distinguent les parties de la vertu – que la vertu soit polypartite ne fait pas problème – ont une coexistence conflictuelle ou si elles se tiennent entre elles, si leurs relations mutuelles sont ordonnées en une paisible harmonie, si la vertu est cohérente. Mais n’est-ce pas à cette question (posée à propos de la cité) que la République tentait de répondre989 ? Question dont nous retrouvions la structure dans notre mythe990. D’ailleurs, que ce problème possède, dans le Politique aussi, une dimension politique, une rapide lecture du passage le montre clairement. Dès que les différences entre les parties de la vertu mènent une coexistence conflictuelle, l’Étranger en voit immédiatement les conséquences politiques991. La santé de la cité passe par la coexistence harmonieuse de ces différences992, cette coexistence consistant en un ordre déterminé où se rangent les différences. Bref, on retrouve ici la même idée que dans la République. Mais ce qu’il importe de noter, c’est qu’ici encore le terme σύνδεσμος appartient au registre politique, comme en République VII, 520a4 et Lois XI,921c4.

La lumière axiale du mythe d’Er

La quatrième occurrence sûre du terme apparaît dans notre mythe : la « lumière est le σύνδεσμος du ciel – comme les ceintures des trières, elle maintient assemblée toute sa révolution »993. Le ciel dont parle Er ici est en fait l’univers, en tant que système ordonné994, en tant que « réalisation d’une organisation idéale, d’un ordre intelligible »995. Or cette organisation, cet ordre ne sont que des synonymes de la justice, de la structure politique parfaite. La lumière, comme σύνδεσμος, assure la cohésion des mouvements cosmiques – mouvements différents, parfois contraires996. De la même façon, la loi, dans la République se donne à elle-même pour fin, par l’intermédiaire des gardiens philosophes, d’assurer la cohésion de la cité – qui est un ensemble d’éléments différents997 ; le royal tisserand, dans le Politique, sait rendre et maintenir998 cohérente la vertu – ensemble d’éléments différents, voire contraires999 ; la loi sur les contrats d’entreprise, dans les Lois, est instituée pour raffermir la cohésion de la cité – cette cohésion ayant son fondement dans le lien qui unit la cité à la divinité1000.

Quand même nous n’aurions pas ces textes, la portée de la détermination de la lumière comme σύνδεσμος, dans le mythe d’Er, serait manifeste. L’analyse que nous avons effectuée de l’ensemble du mythe, analyse qui tend à montrer qu’une « lecture politique [de ce texte] induit à un sens perti­nent » et qu’on y trouve « les linéaments d’une problématique politique »1001, cette analyse suffirait à prouver que σύνδεσμος est une image directement politique qui nous place en un point capital de la pensée politique platonicienne : ce terme fait partie de la définition de la justice, et peut-être même est-il un terme-clé pour comprendre ce que Platon entendait par cette expression que nous avons, nous, bien du mal à entendre : "cité juste".



Conclusion





Comment conclure ? En effectuant notre recherche dont ce mémoire retrace le cheminement parfois tortueux, nous avions deux intentions. La première : ausculter le texte du mythe d’Er, prêter l’oreille à sa respiration, suivre le souffle qui discourt derrière et dans les mots qui le supportent. La deuxième : exhiber le caractère politique du mythe. Il se trouve que ces deux intentions ont conver­gé ; il s’est avéré que le texte ausculté a une respiration politique. C’est ce que nous souhaitions.



Ceci dit, il est clair que l’arrêt de cette recherche constitue une violence au travail du texte dont nous parlions au début de notre introduction. Une recherche de ce genre est d’elle-même infinie, au moins inachevable. Le texte « travaille inlassablement », mais la lecture a dû s’arrêter, non par lassitude, mais pour le besoin de l’exposé. Alors, que dire, en guise (en guise seulement) de conclu­sion, sinon que notre mémoire pourrait aussi porter comme sous-titre le titre que S.Freud donna à l’un de ses articles de 1931 : "Die endliche und die unendliche Analyse", "Analyse terminée et analyse interminable" ?



Laissons le texte vivre encore, respirer toujours et travailler à l’infini.

Laissons-le, retirons-nous sans plus rien dire.



Annexes (remises au goût du jour)









Le texte du mythe d’Er (éd. Chambry)



En 1976/1977, pour lire et travailler le mythe d’Er dans le texte, je me suis appuyé sur l’édition Burnet (Oxford,1902). Cf. infra. Le scan de cette édition de référence est propriété Hathi­Trust et donc inaccessible pour nous. Tant pis !



Du coup, pour le lecteur de 2019, je reproduis infra les pages 113-124 de l’édition Chambry (côté droit donnant le texte grec, sans l’apparat critique).

On trouve en effet, depuis quelques années, sur Wikisource le scan de la Collection des Universités de France, publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé (Éditions Les Belles Lettres, 1920-1935). Presque tout l’œuvre de Platon y est. C’est en cours… Pour la République, c’est Émile Chambry qui avait assuré l’édition et la traduction (1933/1934). Le livre X est au tome VII, 2. Cf. infra.

Il faut savoir qu’Archive.org a déjà intégré cet ouvrage dans sa bibliothèque. On peut donc très facilement afficher les deux pages face à face (français – grec) de cette édition.

Le texte du mythe d’Er commence à 614b2 (i.e. la septième ligne de la page 113 : Ἀλλ’ οὐ μέντοι σοι, ἦν δ’ἐγώ ...).



Enfin, on trouve maintenant sur la toile des éditions / traductions des textes de grec ancien, ainsi le texte du mythe d’Er est-il sur le site de Philippe Remacle, ici accompagné de la traduction de Robert Baccou ou de celle, bien plus ancienne, de Victor Cousin (tout le livre X).









































Index des passages du mythe d’Er



614b2-614b8 p.30

614b2-621d3 n.93

614b2-3 n.1, 63

614b2-8 n.96, 110

614b3 n.89

614b3-4 n.18

614b6-7 n.111

614b7 n.132

614b7-8 n.17, 55, 57, 97, 100

614b8 n.102

614b8 p.19, 22, 30 ; n.111, 120, 130

614b8-616b1 p.30

614b8-c1 p.22 ; n.114, 140, 264

614c1 p.22 ; n.123, 125

614c2-615a4 n.175

614c2-3 n.178

614c3 p.30 ;n.176, 178

614c3-4 n.242

614c3sqq. n.147

614c4-5 n.148

614c4-7 n.177

614c5 n.143, 146

614c5-7 n.178, 246

614c6-d1 n.245

614c7 n.148

614d1 p.30 ; n.117

614d1-3 n.57, 104, 111

614d3 p.30 ; n.56, 73

614d3-c2 n.149

614d4-5 n.178

614d6-7 n.177, 178

614d6-7sq. n.178

614d7-e1 n.154, 258

614e1 n.143, 257

614e2 p.30 ; n.144

614e2-3 n.150, 241

614e3 n.901

614e4-5 n.177

614e4-6 n.178

614e6 n.103

615a1-3 n.179

615a1 n.103, 179

615a2 n.179

615a2-3 n.144, 153, 178, 283

615a3-4 n.154, 258

615a4 p.30 ; n.103, 179, 196, 363

615a4-6 n.103, 157

615a6 n.102

615a6-b2 n.185, 282

615a6-b6 n.183

615a6-c1 n.182, 189

615a6-c4 p.23

615b1-2 n.184

615b2-6 n.185

615b5-6 n.184

615b6 n.187

615b6-c1 n.154, 186

615c1-2 n.190

615c2 p. 30; n.101

615c2-3 n.192

615c2-4 n.189, 194, 199

615c4 n.103, 194

615c5 n.102

615c5-616a7 p.23 ; n.156

615c6-d2 n.161

615c8 n.162

615c8-d1 n.164

615d1 p.25

615d2 n.102, 165

615d3-4 n.195

615d3-616a7 n.170

615d4 n.171

615d6-e1 n.191

615e1-3 n.177

616a2 n.146

615e2-4 n.254

616a5 p.25

616a5-6 n.171

616a8 p.30

616a8-b1 p.23 ; n.175

616b1 p.30 ; n.176

616b1-3 p.22

616b1-617d1 p
.30 ; n.293

616b1-7 n.127, 264

616b1sqq. n.140

616b2 n.150, 241

616b3 n.120, 125

616b3-7 p.22

616b4 n.281, 73

616b4-6 n.349

616b5 n.370

616b5-6 n.367

616b6 n.364

616b6-7 p.22 ; n.125

616b7 n.146, 281

616b7-617d1 n.265

616b7-8 n.785

616c2 n.353, n.970

616c2-4 n.945, 993

616c3 n.763

616c3-4 n.354

616c4 n.548, 565, 607, 739

616c4sqq. n.731

616c5 n.73

616c5-6 n.294

616c6 n.347

616c6-7 n.295

616c7 p.30

616d2 n.101

616d3 n.390, p.30

616d3-5 n.383

616d4 n.269

616d6-e3 n.385

616e3 p.30

616e3-8 n.391

616e8 p.30

616e8-9 n.393

616e8-617a4 n.437

616e9-617a1 n.394, 410

616e9-617a3 n.436

617a1 n.434

617a2-3 n.395

617a3 n.436

617a3-4 n.396, 397

617a4 p.30 ; n.446

617a4-b2 n.392

617a4-b3 n.996

617a4sqq. n.138

617a5-6 n.73

617a7 n.659

617a8 n.116

617a8-b1 n.464

617b1-3 n.478

617b2 n.116

617b4 p.30 ; n.556, 608

617b4-7 n.386

617b6 n.479, 498

617b6-7 n.463, 480

617b7 p.30

617b7-d1 n.644

617c1 n.741

617c1-2 n.549, 621

617c3 n.658

617c4 n.381

617c5 p.30

617c7 n.661

617d1 p.30 ; n.665

617d1-2 p.22 ; n.645, 732

617d1-620d5 n.265, p.30

617d2 p.30 ; n.125, 129, 646,

617d2 sqq. n.733

617d2-3 n.550

617d2-5 n.676

617d4 n.739

617d4-5 n.648

617d5 n.116, 749

617d6 p.30 ; n.550, 655, 699, 754

617d6-e5 n.677

617e1 n.239, 744, 927

617e2 n.653

617e2-3 n.606

617e4 n.927

617e5 n.926

617e6 p.30 ; n.663

617e6-618a1 n.653, 838

617e6-618a3 n.676

617e7-8 n.29, 111

617e8 n.663

618a1 p.30

618b3 n.606

618b6 p.30

618b6-619b1 n.106

618b7 n.647, 838, 932

618c3 p.30

618c6-8 n.934

618c8-d5 n.934

618e3 p.30

618e4sqq. n.313

619b2 p.30 ; n.104

619b3-4 n.949

619b3-6 n.947

619b7 p.30 ; n.10, 653

619b7sqq. n.948

619b7-d7 n.109

619c6 p.30

619c6-d1 n.256

619c6sqq. n.933, 949

619d7 p.30 ; n.654

619d7-e5 n.106

619d8 n.142

619e1-2 n.838

619e4 n.142, 144

619e6 p.30 ; n.56

619e6-620a2 n.28

620a3 p.30 ; n.56

620a6 n.56

620a7 n.56

620b1 n.653, 838

620b5-6 n.838

620c1 n.56

620c3-4 n.838

620c3sqq. n.948

620c4 n.653

620d2 n.653, 838

620d5 n.111

620d6 p.30

620d6-621b7 p.30 ; n.265

620d6-7 n.646

620d6-e1 n.239, 734

620d7 n.653, 838

620d8 n.743

620e1 p.30

620e1-4 n.735, 745

620e4 p.30 ; n.653, 744,

620e4-6 n.736, 746

620e5-6 n.747

620e6-621a1 n.620, 737, 738, 748

620e6-621a2 p.22

621a1 p.30

621a2 n.120, 130, 131, 140

621a2sq. p.22

621a6-7 n.131

621a6-b4 n.131

621a7 n.131, 606

621a8-b1 n.606

621b1 p.30

621b3-4 p.22

621b3-6 n.130

621b4 p.30

621b4-5 n.111, 131

621b4-6 p.22

621b5 n.111, 119, 126, 131

621b5-7 n.111

621b7 p.19

621b8-621d3 p.30

621b8sqq. n.98, 110

621c5 n.146

621c7-d1 n.650

621d2 n.144, 153





Index bibliographique

Cet index ne tient pas compte des textes cités ou mentionnées dans l’introduction – textes pour lesquels on voudra bien se reporter à la page 7.

Platon

Édition, traductions et commentaires consultés

Il est bien évident que, depuis le milieu des années 1970 des éditions, des traductions et des commentaires nouveaux sont parus. Cette annexe bibliographique ne mentionne que des documents consultés pour la rédaction de ce mémoire, tous parus avant 1977.

Éditions de référence utilisées

Platonis Opera recognovit brevique adnotatione critice instruxit J.BURNET, Clarendon Press, Oxford 1900 et suiv. (en cinq volumes).

La Collection des Universités de France, publiée sous le patronage de l’Association Guillau­me Budé, a publié l’œuvre complète de Platon. Pour la République, c’est Émile CHAMBRY qui avait assuré l’édition et la traduction (1934). Cf. supra p.96.



Traductions françaises du mythe d’Er consultées

Ces références sont classées par ordre chronologique.

COUSIN V.
Œuvres de Platon, t.X, La république, livres VI à X, traduction Victor Cousin, Éd. Rey et Gravier, Paris 1833
[aujourd’hui en ligne ici et ]

SAISSET É. (dir.)
Œuvres complètes de Platon publiées sous la direction de M.Émile Saisset, traduction Dacier et Grou revisées et complétées1002… avec notes et arguments par MM. É. Chauvet et A. Saisset, G.Charpentier & Cie éditeurs, Paris 1869.
C’est le septième des dix volumes qui propose la République, aux bons soins d’A.Saisset. Notre mythe d’Er est aux pages 501-515.

BARRE A.
BARRE A. Platon. Choix de textes avec étude du système philosophique et notices biographique et bibliographique, Louis-Michaud, Paris s.d. [légèrement postérieur à 1907 ?] [aujourd’hui en ligne]

CHAMBRY É.  (cf. supra p.96).
Platon, Œuvres complètes, t.VII. 2ème partie, La République, livres VIII-X, texte établi et traduit par Émile Chambry, Les Belles Lettres, Paris 1934. [aujourd’hui en ligne]

BACCOU R.
Œuvres complètes de Platon, t. IV, La République. Traduction nouvelle avec introduction et notes. Librairie Garnier Frères (Classiques Garnier), Paris [1936], LXXXV-528p. [Volume scanné en ligne chez Ugo Bratelli ou sur DocPlayer] [Texte de la traduction française de notre mythe resaisi chez Philippe Remacle, avec le texte grec]

ROBIN L. (voir aussi à l’index des Auteurs modernes).
Platon. Œuvres complètes, t.I. Traduction nouvelle et notes par Léon Robin. Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), Paris 1940.

SAINT-MICHEL L.
Deux voyages en au-delà, typographie M.Boin, Bourges 1949.

Commentaires du mythe d’Er consultés

J.ADAM voir à l’index des Auteurs modernes.

L.CAMPBELL & B.JOWETT voir à l’index des Auteurs modernes.

M.CROISET voir à l’index des Auteurs modernes.

J.FERGUSSON Plato : Republic Book X, Methuen Educational LTD, London ; Toronto ; Sydney ; Wellington 1957

M.UNTERSTEINER voir à l’index des Auteurs modernes.

Auteurs anciens

La liste des auteurs anciens sollicités dans le mémoire est assez longue [AÉTIUS, ALCMÉON, ALEXANDRE d’ÉTOLIE, ANONYME (Oracles Chaldaïques), ARISTOPHANE, ARISTOTE, CICÉRON, CLÉMENT d’ALEXANDRIE, DÉMOSTHÈNE, DENYS d’HALICARNASSE, DIOGÈNE LAËRCE, ÉPIMÉNIDE de Crète, ÉROTIANUS, ESCHYLE, EURIPIDE, EUSTATHIUS, GORGIAS, HÉRACLITE, HÉRODOTE, HÉSIODE, HÉSYCHIUS, HOMÈRE, ISIDORE, ISOCRATE, JAMBLIQUE, LYSIAS, MOÏSE de CHORÈNE, PARMÉNIDE, PHALARIS, PHÉRÉCRATE, PINDARE, PLOTIN, PLUTARQUE, POLLUX, PROCLUS, PYTHAGORE, SALLUSTE, SALOUSTIOS, SIMPLICIUS, SOPHOCLE, SUIDAS, THALÈS, THÉON de SMYRNE, THUCYDIDE, XÉNOPHANE, XÉNOPHON] et les techniques actuel­les de fouille de texte m’autorisent à ne pas créer l’index correspondant...

Auteurs modernes

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BARB A.A., "Lapis adamas, der Blutstein" in Latomus (collection) 101, 1969, pp.66-82.

BARRE A., Platon. Choix de textes avec étude du système philosophique et notices biographique et bibliographique, Louis-Michaud, Paris s.d. [légèrement postérieur à 1907 ?] [aujourd’hui en ligne]

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BOARDMAN J. et alii, L’art grec, Flammarion, Paris 1966

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BOLLACK J., "Sur deux fragments de Parménide(4 et 16)", REG, 70, 1957 [aujourd’hui en ligne]

BOLLACK J., Empédocle, Éd.de Minuit, Paris 1969 (3 tomes)

BONNARD A., Les dieux de la Grèce, Mermod, Lausanne 1944

BRISSON L., Le même et l’autre dans la structure ontologique du Timée de Platon, Klincksieck, Paris 1974

BRIXHE C., Le dialecte grec de Pamphylie, Paris 1974 (thèse dactylographiée)

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SCHURÉ É., Les grands initiés, Perrin, Paris 1919

SINCLAIR T.A., Histoire de la pensée politique grecque, Payot, Paris 1953

TAILLARDAT J., " La trière athénienne et la guerre sur mer aux Vème et IVème siècles"
in Vernant J.P. (dir.), Problèmes de la guerre en Grèce ancienne…

TANNERY P., "Le mythe d’Er le pamphylien", Revue Philosophique, t.XI (1881) ; repris in Mémoires Scientifiques, 1925, t.VII

TSATSOS C., La philosophie sociale des grecs anciens, Nagel, Paris 1971

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VALENSIN A., Regards, t.I, Aubier, Paris 1955

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VANHOUTTE M., La philosophie politique de Platon dans les Lois, Publications Universitaires, Louvain 1953

VANNIER F., Le IVème siècle grec, A.Colin, Paris 1967, 2ème éd.

VERNANT J.P. (dir.), Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, Mouton, Paris/La Haye 1968

VERNANT J.P., "Aspects mythiques de la mémoire" in Mythe et pensée chez les Grecs, Études de psychologie historique, Maspéro, Paris 1965, t.I

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VERNANT J.P., "Hestia-Hermès. Sur l’expression religieuse de l’espace et du mouvement chez les Grecs." in L’Homme, 1963, tome 3 n°3 [aujourd’hui en ligne]

VERNANT J.P., "La formation de la pensée positive dans la Grèce archaïque" in Mythe et pensée chez les Grecs, Études de psychologie historique, Maspéro, Paris 1965, t.II

VERNANT J.P., "La guerre des cités", dans Mythe et société en Grèce ancienne, Maspéro, Paris 1974

VERNANT J.P., "Le pur et l’impur" in Mythe et société en Grèce ancienne, Maspero, Paris 1974

VIAN F., « La fonction guerrière dans la mythologie grecque »,
in Vernant J.P. (dir.), Problèmes de la guerre en Grèce ancienne…

VIDAL-NAQUET P., "La tradition de l’hoplite athénien",
in Vernant J.P. (dir.), Problèmes de la guerre en Grèce ancienne…

WARTELLE A., "La pensée théologique d’Eschyle" in Bulletin de l’Association G.Budé, 4 (1971), "Lettres d’humanité", XXX





Table analytique des matières

Introduction 3

Notes de l’introduction 7

Sommaire 8

L’ITINÉRAIRE ESCHATOLOGIQUE 9

La préparation du mythe 9

Le soleil et la mort 9

Une problématique homérique 10

La virilité 11

La guerre 12

La fonction d’Er 13

Er le pamphylien 15

Conclusion de la première partie 17

La structure du mythe 18

Délimitation 18

Poréïologie 19

Classification des verbes de mouvement 19

La première association 20

La deuxième association 20

La troisième association 21

Tableau récapitulatif 22

La poréïa de mille années 22

Le personnage d’Ardiée 23

La relation juste/injuste 25

L’opposition terme à terme 25

L’analogie 27

Le point vide 27

La direction de l’impensable 27

Conclusion 28

Plan du mythe 29

Essai de reconstitution de l’eschatologie platonicienne 31

Présentation des mythes 31

Problèmes d’optique 32

Problème de chronologie 33

La première eschatologie 33

Premier moment de la seconde eschatologie 34

Les justifications eschatologiques du passage cosmologique du mythe d’Er 36

Deuxième moment de la seconde eschatologie 38

LE PANORAMA 39

L’axe 40

L’adamas 40

métal inconnu 40

métal indomptable 40

métal eschatologique 41

métal cosmologique 42

La lumière dans sa valeur cosmologique 44

La luminosité de l’adamas 44

La colonne dans sa valeur cosmologique 45

Conclusion 46

L’harmonie 46

Introduction 46

Les couleurs 47

Le brillant 47

Le jaune d’or 50

Le noir 51

Le rouge 51

Conclusion 51

Problèmes musicaux 52

L’accord et son calcul 52

Pythagorisme 53

Le mythe d’Er et le Timée 53

Harmonie invisualisable 54

Le taux de matérialité 55

Représentation concrète 55

La direction de l’impensable 56

La République 57

La remontée du Pirée à la cité 57

Le lieu de la justice 58

La justice, harmonisation des différences 58

La cosmologie politique du mythe d’Er 59

Essai de reconstitution scénique 60

Le mythe d’Er, drame religieux 60

Nécessité 61

Chez Homère 61

Chez les orphiques 62

Chez Thalès et Pythagore 62

Chez Parménide 63

Chez Empédocle 64

Les genoux 64

La statue 65

L’attribut de Nécessité 65

Les noms de Nécessité 65

Les Moires 65

La tradition 65

Parménide 66

Différences 66

Prééminence de Lachésis 67

Activité manuelle 67

Activité vocale 68

Le temps 69

Le prophète 70

Serviteur de Lachésis 70

Prophétie et divination 70

La chaîne delphique 71

Socrate, l’exégète 71

Le service d’Apollon 71

L’action politique 72

La purification 73

La mise en scène 73

Rôle des spectateurs 73

Les acteurs 74

Unité dramatique et harmonie des rôles 75

LA CITÉ CÉLESTE 75

La fonction guerrière 76

Les « hypozômata » 76

Ce qu’ils sont 76

Leur fonction 78

La marine, lieu politique 78

Les trières, navires de guerre 79

Le "klèros" 80

Ordre et harmonie 80

Politique de la guerre 82

Le principe du citoyen-soldat 82

L’exigence de spécialisation 82

La solution platonicienne 83

Vers le panhellénisme 83

Le traitement des vaincus 83

Guerre et maladie 83

La Grèce 84

Le panhellénisme avant PLATON 84

La contribution platonicienne 85

La fonction religieuse 86

La panégyrie 86

Le temple 86

Le klèros 86

La fonction politique 87

PLATON et la vie politique de son temps 87

La tribune du plaidoyer 88

La tribune du discours politique 89

La procédure de vote 89

L’épreuve du tirage au sort 90

Le droit athénien et la cité de la République : le klèros 90

"Syndesmos" 92

La cohésion dans la cité 92

Le lien qui unit cité et divinité 92

La cohésion de la vertu 93

La lumière axiale du mythe d’Er 94

Conclusion 95

Annexes (remises au goût du jour) 96

Le texte du mythe d’Er (éd. Chambry) 96

Index des passages du mythe d’Er 100

Index bibliographique 102

Platon 102

Édition, traductions et commentaires consultés 102

Éditions de référence utilisées 102

Traductions françaises du mythe d’Er consultées 102

Commentaires du mythe d’Er consultés 103

Auteurs anciens 103

Auteurs modernes 103

Table analytique des matières 109



* Les quelques notes de cette introduction ont été placées à la fin du texte (infra, p.7), et non en bas des pages.

1Rép.X, 614b2-3. PLATON aime ainsi à rapprocher noms propres et autres mots ; cf. Apol. 25c1-4, Banq. 174b3-5 et 185c4, Rép.I, 328b8-c2, etc. Cf. aussi J.D.DENNISTON, Greek Prose Style, pp.136-138.

2Cf. ARISTOTE, Rhét. 1417a13, Poét. 1455a2 ; Suidas, s.v. ἀπόλογος Ἁλκίνου, et scholie à Rép.X 614b.

3Rép.III, 386b4-5.

4lb. 386c3-387a8 = Od.XI, 489-491 ; Il.XX, 64-65 ; Il.XXIII, 103-104 ; Od.X, 495 ; Il.XVI, 856-857 ; Il.XXIII, 100-101 ; Od.XXIV, 6-9.

5Rép.VII, 516d4-7.

6lb. 517b5.

7Cf. ib. 514a1-2. Sur ce terme, voyez M.HEIDEGGER, Platons Lehre von der Warheit, A. Francke, Bern 1947 ; traduit par A. Préau, « La doctrine de Platon sur la vérité », dans Questions II, Gallimard, Paris 1968.

8Rép.III, 386b5.

9Cf., par exemple, Il.VI, 437 et XI, 483.

10Cf., par exemple, ib. XXIV, 473-475 et 573-575.

11Sur cette expression, cf. F.VIAN, « La fonction guerrière dans la mythologie grecque », dans J.P.VERNANT (dir.), Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, Mouton, Paris/La Haye 1968, p.56.

12Il.XXIV, 573-575.

13Cf. ib. VI, 74.

14Cf. HÉRACLITE, fgt 42 et 56.

15Hip.Min. 363b.

16Il faut tout de même noter que l’on retrouve dans l’Iliade des traces éparses de cette eschatologie, et dans l’Odyssée cette morale guerrière.

17Rép.X, 614b7-8.

18lb. 614b3-4.

19Cf. A.J.FESTUGIÈRE, Contemplation et vie contemplative selon Platon, Vrin, Paris 1939, p.19 sqq.

20Il. V, 529.

21Il n’y a qu’un cas où un guerrier peut être un ἀνήρ sans faire preuve de vaillance : lorsque celle-ci le pousserait à combattre ouvertement une divinité. Ainsi les grecs, lorsqu’ils savent qu’Arès combat aux côtés des troyens, reculent devant l’ennemi sans rien risquer perdre de leur virilité Cf. Il.V, 596-824.

22Théét. 177b3-4.

23Ib. 203e8.

24Gorg. 522e1-3.

25Lach. 188c4-d8. Cf. aussi E.MOUTSOPOULOS, La musique dans l’œuvre de Platon, P.U.F., Paris 1959, pp.67-77 ; et infra note 81 et suivantes.

26Lettre VII, 330c9-331a5 (et surtout 330e1).

27Lachès est là pour nous le rappeler ; cf. supra note 25.

28Rép.X, 619e6-620a2.

29Ib. 617e7-8.

30Rép.VII, 516c6.

31Cf. infra note 33.

32Hipp.Maj. 293d1-2.

33Rép.VII, 514a2 ; cf. supra note 31.

34Pour le culte rendu aux citoyens morts à la guerre, cf., par exemple, HÉRACLITE fgt 24, et son interprétation stoïcisante, le fgt 136 ; voir aussi les diverses épitaphes.

35CICÉRON, De republica VI, 9-26.

36Cf. Rép.V, 470b4-9 ; cf. aussi infra p.83sqq.

37Cf. ib. 470c5-d1.

38Ibid. ; pour savoir quelle est la véritable origine de toute guerre, cf. Rép.II, 373e6-7.

39J.P.VERNANT, « La guerre des cités », dans Mythe et société en Grèce ancienne, Maspéro, Paris 1974, p.40.

40P.VIDAL-NAQUET, « La tradition de l’hoplite athénien »», dans J.P.VERNANT (dir.), Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, Mouton, Paris/LaHaye 1968, p.161.

41Ib. p.162.

42Dans Platon, Œuvres complètes, Gallimard, Paris 1950, tome II, p.1548 (note 2 de la page 748) ; cf. infra note 46.

43Si l’on considère, avec P.VIDAL-NAQUET, que la bataille de Marathon fut la dernière manifestation de la tradition hoplitique ; cf. art.cit., p.167.

44Ibid., p.167.

45Rép.II, 373e9 et suivantes.

46Il faut se souvenir que les dirigeants de cette cité sont issus de la classe guerrière. Sur l’ensemble du problème, cf. infra p.76-85.

47PLATON semble aussi donner le nom de son père ; cf. infra note 64.

48Apparemment mieux vaudrait concevoir ἠρός comme le génitif de ἦρ, qui semble meilleur que ἤρ, en accord avec le texte biblique des Septantes (voyez infra la note 52), et malgré Bailly.

49Gen. XXXVIII, 6-7 ; cf. Chr. II, 3.

50Gen. XLVI, 12 ; Nbres XXVI, 19. La mère d’Er est cananéenne (Gen. XXXVIII, 2-3 ; cf. Chr. II, 3).

51Le premier Er est mort sans descendance, alors que le second est « père de Lékah » (I Chr.IV, 21). Mais voyez E.DHORME, La Bible. Ancien testament, Gallimard, Paris 1956, tome 1, p.1266, note 21.

52Les Septantes firent de même pour les occurrences de ce nom dans l’ancien testament (voyez supra note 48).

53Suidas avait déjà vu le caractère hébraïque de ce nom ; cf. aussi A.E.CHAIGNET, La vie et les écrits de Platon, Paris 1871, p.389, n.1.

54Cf. A.J.FESTUGIÈRE, op.cit., p.13 et note 1.

55Rép.X, 614b7-8.

56Ib. 614d3, 619e6, 620a3, 620a6, 620a7, 620c1.

57Rép.X, 614d1-3 ; cf. 614b7-8 : dès qu’il est revenu à la vie, Er raconte ce qu’il a vu dans sa mort.

58Cananéen, phénicien, hébreu, araméen ou syriaque.

59Voyez supra la note 1.

60Cf. Apol. 25c1-4 (inversion).

61Cf. Banquet 185c4 (isologie).

62Cf. ib. 174b4 et suivante (calembour).

63Cf. Rép.X, 614b2-3 ; et supra p.9 sqq.

64Rép.X, 614b3-4. Une autre traduction est possible : « Er, fils de l’arménien, né en Pamphylie » ; et une troisième : « Er, l’arménien, né en Pamphylie ». L’argument de L.ROBIN (op.cit., tome 1, p.1444, note 3 de la page 1231), par lequel il rejette cette troisième traduction, n’est pas décisif. Cf. infra note 89.

65Malgré L.ROBIN (loc.cit.), le débat n’est pas sans intérêt : il en va de la signification propre du nom d’Er (cf. supra p.14) qui, comme chaque élément du texte que nous lisons, a par hypothèse de travail, un intérêt pour la compréhension philosophique global de ce texte.

66Cf. X.dePLANHOL, De la plaine pamphyliennes aux lacs pisidiens, Paris 1958, p.27.

67Cf. C.BRIXHE, Le dialecte grec de Pamphylie, Paris 1974 (thèse dactylographiée), vol.3, p.2. La première vague de colonisation grecque (achéenne) aurait déferlé en Pamphylie peu après la guerre de Troie.

68Cf. K.LANCKORONSKI, Les villes de la Pamphylie et de la Pisidie, Paris 1893, vol.1, p.3.

69Cf. C.BRIXHE, op.cit., vol.1, §73.

70Selon D.ARNAUD, Le Proche-Orient ancien, Bordas, Paris 1970, p.92. Mais ce n’est là qu’une hypothèse – qui n’est pas loin d’être gratuite.

71Cf. C.BRIXHE, loc.cit. et §17. Voir aussi les références données par K.LANCKORONSKI, loc.cit. (note1).

72Cf. C.BRIXHE, op.cit., §71 et notes 1402-1404 ; cf. X. dePLANHOL, op.cit., p.70.

73Rép.X, 614d3, 616b4, 616c5, 617a5-6, etc. Cf. infra p.39sqq.

74Note 67.

75« Le concept grec de colonie [... ] n’implique pas la fondation d’une nouvelle cité en un lieu inhabité, mais n’importe quel établissement en terre étrangère : presque toutes les cités anatoliennes furent colonisées plus d’une fois lors d’expéditions successives » F.CASSOLA in La parola del Passato, Naples 1954, p.42.

76C.BRIXHE, op.cit., §73. La date de cette vague colonisatrice n’est pas établie avec certitude. Contre BRIXHE, cf. F.CASSOLA, La Ionia nel mondo miceneo, Naples 1957, p.157.

77C.BRIXHE, op.cit., § 72. La présence de similitudes entre le dialecte pamphylien et des dialectes éoliens ne doit pas exclure la réalité d’une prédominance linguistique dorienne, l’influence éolienne étant limitée à la ville de Side ; cf. ib., §73 et X.de PLANHOL, op.cit., p.70-71.

78Cf. supra note 72.

79C. BRIXHE, op.cit., §71.

80Cf. Rép.IV, 424c5-6 et la note de L.ROBlN (op.cit., p.1404 = note 2 de la page 986).

81Cf. Rép.III, 399a1-c6 où les modes phrygien et dorien seront les seuls retenus dans la cité, chacun pour sa valeur propre ; et surtout Lachès 188d3-8 où le mode dorien est préféré pour sa grécité en même temps que pour son « harmonie» (cf. supra note 25).

82Cf. Th.REINACH, La musique grecque, Payot, Paris 1926, p.44 et suivantes ; E.MOUTSOPOULOS, loc.cit. (cf. supra note 25).

83Cf. Th.REINACH op.cit., p.46 ; et E.MOUTSOPOULOS op.cit., p.74 qui cite ARISTIDE QUINTILIEN. Il faut noter aussi qu’en architecture, l’ordre dorique était opposé au ionique, comme la beauté masculine à la beauté féminine.

84Cf. supra p.11 et suivantes. Avant d’en terminer avec la Pamphylie, nous ne résistons pas à la tentation de rappeler que cette contrée fut le théâtre de la victoire du général athénien Cimon contre une flotte et une armée perses en 468, à une époque où la flotte athénienne était surtout la force des trières d’Athènes. L’image de la trière apparaît à un endroit important du mythe d’Er (cf. supra p.76sqq.).

85Supra, p.9sqq.

86Supra, p.11.

87Supra, p.12sqq.

88Supra, p.14.

89Supra, p.15. Nous n’avons pas soumis à l’analyse les mots τοῦ ἀρμενίου (614b3) pour deux raisons. Tout d’abord à cause de l’incertitude de la traduction (cf. supra note 64), bien que la tendance générale soit de traduire par « fils d’Arménios ». Mais, quand même cette traduction semble la plus satisfaisante, elle ne doit pas occulter la possibilité des deux autres. La seconde raison est que, au mieux, nous aurions abouti à la solution d’A.PLATT ("Plato’s Republic, 614 B" in Class. Review, 1911, pp.13-14) qui identifie Er à Ara fils d’un arménien nommé Aram, qui, selon MOÏSE DE CHORÈNE (Armenian History 1, p.14-15), serait mort en un combat et aurait ressuscité. Dans ce cas, il faudrait opter pour la deuxième traduction. Mais, même si cette identification donne un sens précis à τοῦ ἀρμενίου, il reste que, primo, elle ne nous apporte rien que nous ne sachions déjà, et que, deuxio, l’incertitude de la traduction nous interdit de dépasser le niveau de la pure hypothèse. Enfin, il y a une autre identification à mentionner : celle que fait CLÉMENT D’ALEXANDRIE (Stromates V, 710, §24) selon qui Er ne serait autre que Zoroastre. Cette hypothèse relève indubitablement de cette mode orientalisante des premiers siècles de notre ère.

90Infra, p.18sqq.

91Gorgias 523a1-527e7 ; cf. aussi 492e7-493d4.

92Phédon 107d5-115a3 ; cf. aussi 80d5-82c1.

93Rép.X, 614b2-621d3 ; cf. aussi I, 330d4-331c1.

94Phdr 246a3-249b6. Il faut ajouter à ces textes Apol. 40c4-42a5.

95Infra, p.31sqq.

96Rép.X, 614b2-8.

97Rép.X, 614b7-8.

98Rép.X, 621b8 et suivantes.

99En fait, c’est Socrate qui dit ce qu’Er a dit : il s’agit d’un discours indirect ; cf. ce qui suit.

100Rép.X, 614b7-8.

101lb. 615c2 et 616d2 : ἔλεγεν ; et voir la note précédente.

102lb. 614b8, 615a6, 615c5, 615d2 et 619b7 : ἔφη.

103lb. 615c4 : διηγεῖτο. Sur la διήγησις, cf. Rép.III, 392c6-398b9 où PLATON distingue la διήγησις en général (ce que dit le poète et le "mythologue", en tant que forme du discours, λέξις) et la ἁπλῆ διήγησις (sorte de λέξις, elle s’oppose à la μίμησις, parce que le poète y parle en son nom propre). Cf. aussi G.GENETTE, « Frontières du récit », dans Communications, Seuil, Paris 1966, 8, p.152 et suivantes. D’autre part, il faut remarquer que, dans notre texte, διηγεῖσθαι est aussi employé pour désigner l’activité des âmes lorsqu’elles se font entre elles le récit de leur voyage de mille ans (614e6 et 615a4). Ce récit est dû au souvenir d’un "vécu" récent (cf. 615a1 : ἀναμιμνῃσκομένας). Enfin une dernière occurrence de ce verbe semble signifier que la διήγησις implique la longueur du récit détaillé, alors que la φάσις (de φάναι) désignerait un récit qui ne livre que l’essentiel (615a4-6 ; cf. infra p.22sqq. et note 157).

104Rép.X, 619b2 : ἤγγελλε. Ce passage est un rappel de 614d1-3.

105Pour L.ROBIN (qui contrevient ici à sa règle de traduction énoncée op.cit. p.XVII) et L.SAINT-MICHEL, il semble qu’il n’y a pas de passage, puisqu’ils traduisent ces deux termes par un même mot (L.Robin donne "récit", et L.Saint-Michel "histoire") - ce qui est tout à fait injustifié.

106Rép.X, 618b6-619b1 et 619d7-e5. Cf. infra p.71sqq. (Socrate, l’exégète).

107Gorgias 523a1-527e7.

108Cf. infra p.31sqq.

109Rép.X, 619b7-d7.

110Ib. 614b2-8 et 621b8sqq.

111Cf. Rép.X, 614b8 et 621b5. Cf. aussi, par exemple, Gorgias 524b2-4 et Phédon 64c4-9 : en rapprochant ces textes, on voit qu’Er meurt comme tout un chacun, que sa mort est contenue dans la définition générale de la mort. L’originalité de sa mort est visible au moment du jugement (cf. Rép.X, 614d1-3), lorsque les âmes ramassent les κλήροι (617e7-8), sur la rive du fleuve Amélès (621b4-5), et enfin au moment de la palingénésie : l’âme d’Er retourne dans le corps même qu’elle avait quitté douze jours plus tôt (621b5-7, à rapprocher de 614b6-7), alors que les âmes « ordinaires » intègrent des corps différents (cf. par exemple 620d5).

112Tout ce que fait Er, de ce point de vue, est fait par toute âme ; mais la réciproque n’est pas vraie (cf. note précédente et infra).

113Cf. supra p.14 sqq.

114Rép.X, 614b8-c1. En fait, il faudrait traduire ainsi : « dès qu’elle fut sortie de lui, dit-il, son âme…. ». C’est-à-dire qu’Er s’identifie à son corps : il fait ici la même erreur que Criton et mériterait lui aussi la risée de Socrate (Phdn 115c4-116a1). Mais cf. infra note 130.

115Sur la signification précise de ce terme dans notre mythe, cf. infra p.22 sqq. et notes 144 et 145.

116Ne sont pas inclus dans cette classification les verbes qui, quel que soit leur sujet, figurent dans le commentaire (textes mentionnés supra §7n. 4 et 12), les verbes qui figurent dans la description du fuseau (ἰέναι, 617a8, b2) et celui dont le sujet est le prophète (ἀναβαίνειν, 617d5).

117Rép.X, 614d1 : προσελθόντος.

118Cf. supra p.13.

119Rép.X, 621b5 : ἀφίκοιτο : cf. plus loin et note 130.

120Ib. 614b8, 616b3 et 621a2.

121Cf. supra p.19.

122Cf. Phdr 246c5-6.

123Rép.X, 614c1.

124Cf. supra note 120.

125Rép.X, 614c1 (1er) ; 616b3, 6-7, 617d2 (2d).

126Rép.X, 621b5. Cf. supra note 119.

127Rép.X, 616b1-7.

128Ce verbe ne se retrouve nulle part ailleurs dans notre texte.

129Rép.X, 617d2.

130Ib. 621a2 … b3 … 4 … 5-6. Notons tout de suite qu’ici (621b4-6), Er s’identifie à son âme, et non pas, comme il l’a fait au tout début de son récit (614b8), à son corps (cf. supra note 114). Faut-il en conclure que notre récitant (Er) a progressé en matière de philosophie, le temps de faire son récit ? D’autre part, la traduction de ἄνω (621b3) ne va pas de soi : alors qu’Adam, Robin, Chambry, Baccou, etc. donne à ce terme un sens spatial – ce que rien ne justifie de manière contraignante –, nous préférons le comprendre dans son acception temporelle.

131L’appartenance de φέρεσθαι à l’une des deux premières classes des verbes de mouvement fait problème. Il y a en effet deux sujets possibles pour ce verbe. Première possibilité : il a le même sujet que πορεύεσθαι, à savoir ἅπαντας (τάς ψυχάς) (621a2), et fait partie de la première classe ; dans ce cas, ce verbe complète, par le milieu, la troisème association : πορεύεσθαιφέρεσθαι ἄνωἀφικνεῖσθαι (ce dernier verbe n’étant énoncé que pour l’âme d’Er [621b5], mais sous-entendu pour les autres). Deuxième possibilité : le sujet n’étant pas exprimé, on peut en sous-entendre un qui ne vise que les âmes qui ont bu de cette eau que ne contient aucun vase (621a6-7) ; en effet, après qu’Er a dit que les âmes « s’élancèrent pour retourner vers la naissance, filant comme des étoiles », Socrate conti­nue ainsi : « quant à lui [=Er], on l’avait empêché de boire de l’eau » (621b4sq.). Par conséquent il est fort probable que les lignes 621a6-b4 décrivent l’activité de « toutes les âmes » (621a7), mais non pas de « toutes les âmes sans exception » (cf.621a2) ; en d’autres termes, que φέρεσθαι fasse partie de la deuxième classe des verbes de mouvement. Dans ce cas, nous aurions un schéma en Y : πορεύεσθαι est commun à toutes les âmes et à celle d’Er (première classe), puis nous avons φέρεσθαι pour toutes les âmes (deuxième classe) et ἀφικνεῖσθαι pour l’âme d’Er (troisième classe). Nous optons pour cette deuxième solution ; cf. ce qui suit.

132Ἀναβιοῦν ("... ἀνεβιω, ἀναβιούς...") en 614b7.

133Phdn 70c4-72e1.

134Ἀναβιώσκεσθαι : ib.71e13sqq.

135Πάλιν γίγνεσθαι : ib.72a8 ; cf.71e14-72a2.

136Ib.71e14sqq.

137Cf. supra p.18 et note 101.

138Cf. Rép.X, 617a4sqq. Et supra p.18 et note 101.

139Ces occurrences sont citées supra note 130.

140Cf. Rép.X, 614b8-c1 : « son âme [celle d’Er] se mit en route avec beaucoup d’autres, et elles [l’âme d’Er et toutes les autres] arrivèrent »… ; en 616b1sqq., c’est chaque âme, c’est-à-dire toute âme, qui se met en route ; enfin, 621a2 : « toutes les âmes sans exception se mirent en route » (pour la fin de ce dernier voyage, cf. supra note 131).

141Cf. supra note 116.

142Rép.X, 619d8 et e4.

143Ib. 614c5 et e1.

144Ib. 614e2, 615a2, 3 qui doivent être rapprochés de la deuxième classe des verbes de mouvement ; 619e4 et 621d2 désignent le même voyage mais font partie du commentaire.

145Cf. supra la note 139 et le Tableau récapitulatif.

146Rép.X, 616b7, dans l’expression προέρχεσθαι ὁδόν (première classe des verbes de mouvement, cf. supra note 127). Ce terme apparaît une autre fois en 621c5 et est sous-entendu en 614c5 : dans ces deux cas, nous sommes au début de la poréïa véritable. Enfin le terme, en 616a2, désigne la fin de la poréïa des injustes.

147Ib. 614c3sqq.

148Ib. 614c4-5 et 7. Cf. aussi infra p.25 sqq.

149Cf. ib. 614d3-c2.

150Cf. ib. 614e2-3 et 616b2.

151Cf. supra p.22.

152Cf. supra note 103.

153Rép.X, 615a2-3, repris dans le commentaire (621d2).

154Le voyage réservé aux âmes justes n’est pas décrit avec force détails : nous savons seulement que les âmes qui en reviennent sont pures (614d7-e1), qu’elles y ont éprouvé de la jouissance et y ont été témoins de spectacles inconcevables quant à leur beauté (615a3-4) et qu’elles y ont reçu la récompense – au décuple – de la vie juste et pieuse qu’elles ont menée durant leur association à un corps (615b6-c1).

155Cf. infra p.25 sqq.

156Rép.X, 615c5-616a7.

157Ib. 615a4-6. Cf. supra, fin de la note 103, et infra note 190.

158Trad. de R.Baccou.

159É.Chambry et L.Saint-Michel traduisent par "essentiel", L.Robin par "principal".

160PROCLUS (Commentaire sur la République, trad. Festugière, Vrin, Paris 1970, tome III, pp.55-56 et 125) tire de ce passage un argument pour justifier l’origine pamphylienne d’Er. À notre avis, cette origine n’a pas à être ainsi justifiée : elle est une détermination du personnage d’Er pour lui-même (cf. supra p.15 sqq.). En fait, il faut inverser l’idée de PROCLUS et penser que, si Ardiée est pamphylien, c’est parce qu’Er a déjà été déterminé comme pamphylien. C’est pourquoi Er a entendu parler (de son vivant) de la tyrannie et des forfaits d’Ardiée.

161Rép.X, 615c6-d2.

162Cf. par exemple Rép.VIII,569b6, à rapprocher de Rép.X, 615c8.

163Ce rapprochement peut paraître suspect dans la mesure où ἄρδα n’existe pas chez PLATON. C’est un vieux mot, employé par PHÉRÉCRATE (fragment 53 Kock = EUSTATHIUS Ad Od.707, 36), qui fait partie d’une famille de vocables attestés chez les comiques attiques et HIPPOCRATE (cf. P.CHANTRAINE Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Klincksieck, Paris 1968, s.v. ἄρδα). On comprendra mieux le rapprochement entre ἄρδα et ἀρδιαῖος, lorsqu’on saura qu’ÉROTIANUS (p.28 Nachmanson) glose ἄρδαλος par ἄνθρωπος ὁ μὴ καθαρῶς ζῶν. HÉSYCHIUS donne pour ἄρδα le synonyme μολυσμός ; d’autre part, on trouve chez PLATON (Rép.VII, 535e5) le verbe μολύνειν, synonyme de μιαίνειν (Cf. É.DES PLACES, Lexique de la langue philosophique et religieuse de Platon, Les Belles Lettres, Paris 1964, p.351). Mais on comprendra encore mieux le rapprochement, si l’on pense que l’idée de souillure est très importante dans l’idée fort complexe que PLATON se fait du tyran ; cf. par exemple Rép.VIII, 565e3-566a4 (en 565e6 : μιαιφονῇ) où la souillure, le "miasma", est un élément nécessaire du processus qui transforme le président de la démocratie en un tyran (cf. C.MOSSÉ, La tyrannie dans la Grèce antique, P.U.F., Paris 1969, p.134sq.) - transformation qui peut s’appeler aussi lycanthropie : le tyran est un loup (cf.J.P.CLÉBERT, Dictionnaire du symbolisme animal, Albin Michel, Paris 1979, s.v. "loup" et "Mormôlycée" ; cf. aussi Phdn 82a3-5).

164On peut se contenter de noter l’accumulation des deux crimes. Mais on peut aussi tenter de comprendre le lien qui unit le parricide et le fratricide – ce qui ne semble pas trop ardu :
a) Si Ardiée a commencé par tuer son vieux père, c’est pour s’approprier les "biens paternels"(c’est-à-dire le κλῆρος, l’οὐσία, le patrimoine que le père, de son vivant, est le seul à posséder [cf. L.GERNET "Les Lois et le droit positif" in Platon, O.C., tome XI,1, Les Belles Lettres, Paris 1951, p. CLXIII]). À ce moment, le frère aîné intervient pour deux raisons : premièrement, comme co-héritier, ou seul héritier (sur la question de l’héritage, cf.ib. p. CLVIII) ; et surtout, deuxièmement, comme poursuivant réclamant au nom de la famille, comme il se doit, le châtiment suprême (cf.ib. p. CXCVIsqq.). Deux raisons pour le parricide qu’est déjà Ardiée de devenir fratricide.
b) Si Ardiée a commencé par tuer son frère aîné (ce qui n’est pas impossible, si l’on pense que Platon a mis le parricide en premier (Rép.X, 615c8-d1) parce que c’est le crime "le plus complètement impie" (Lois IX,872d7) et que ce crime est le forfait que commet tout tyran (cf.supra et n.22), c’est pour s’approprier ses biens, et surtout pour supprimer l’héritier ou co-héritier du patrimoine. À ce moment, le père intervient pour deux raisons : premièrement, comme seul détenteur du patrimoine pouvant, par représailles, déshériter le fratricide (sur l’institution de l’apokê­ryxis, cf. L.GERNET, op.cit. p.CLXIIIsq.) ; et surtout, deuxièmement, comme poursuivant etc. Deux raisons pour le fratricide qu’est déjà Ardiée de devenir parricide.
On voit bien que, dans les deux cas, il y a continuité entre les deux crimes et que, toujours dans les deux cas, l’action criminelle dans son ensemble a pour cause initiale le désir de spoliation (cf. Rép.IX, 574a3sq.).

165Cette affirmation qui peut paraître exagérée se justifie pleinement si l’on comprend le εἰργασμένος de Rép.X, 615d2 dans la perspective du travail de Socrate sur la notion d’ἔργον en Rép.I, 352d8 sqq.

166Cf. supra note 162.

167Cf. le passage des Lois cité note 164.

168Cf. supra note 163.

169Cf. J.P.VERNANT "Le pur et l’impur" in Mythe et société en Grèce ancienne, Maspero, Paris 1974, pp.121-140.

170Rép.X, 615d3-616a7. Par exemple, le mugissement de la bouche (615e2) est assimilable au tonnerre (cf. ARISTOPHANE Nuées, 292 où le tonnerre "mugit", et Aristote Anal.Post.II, 94b32 où il menace les habitants du Tartare) ; or le bruit du tonnerre est un bruit excessif, extraordinaire (ὑπερβαλλῶν, cf. ESCHYLE Prom.Enchaîné, 923 et Aristote Du Ciel II, 9, 290b34-35).

171Rép.X, 615d4 et 616a5-6.

172Pour les acolytes d’Ardiée, cf. infra note 192.

173Lorsque nous parlons du mythe sans autre précision, il s’agit du mythe proprement dit tel qu’il a été délimité supra p.18. Rappelons que, d’une façon générale, le mythe proprement dit est exclusivement le récit dont Er est l’auteur.

174Cf. supra p.22 et notes 148, 154 et 155.

175Ce mode de fonctionnement joue de 614c2 à 615a4 et en 616a8-b1.

176Cf. καταντικρύ (614c3) et ἀντιστρόφους (616b1).


177Ainsi 614c4/7, d6/7, e4/5, 615a1/3. Les couples corrélatifs tels que τε...καί…, μέν...δέ... impliquent, en principe, parallélisme absolu (cf. J.CARRIÈRE Stylistique grecque, Kliencksieck, Paris 1967, §87)

178Ainsi, dans l’opposition terre/ciel, l’expression διὰ τοῦ οὐρανοῦ de 614c5-6 n’a pas son opposé explicite ; mais celui-ci peut être sous-entendu sur le modèle des autres occurrences de l’opposition où les deux termes sont présents (614c2/3, d4/5, d6/7sq., e4-5/5-6, 615a2/3). Deuxième cas, dans l’opposition bas/haut, l’expression ἐν τὸ ἄνω de 614c3 n’a pas son opposé explicite ; mais celui-ci peut être sous-entendu sur le modèle des autres occurrences de l’opposition où les deux termes sont présents (614c5/7, d6/7).

179Ainsi, les lamentations et les pleurs provoqués par le souvenir qu’ont les âmes injustes de leur poréïa (615a1) n’ont pas d’opposé explicite ; mais on peut aisément sous-entendre la jubilation provoquée par le souvenir qu’ont les âmes justes de leur poréïa. Rétablir cette opposition, c’est prolonger l’opposition entre la poréïa des âmes injustes et celle des justes : les injustes y ont souffert et assisté à des spectacles terrifiants, alors que les justes y ont joui et assisté à des spectacles inconcevables quant à leur beauté. D’autre part, la construction μέν...δέ... de 615a1/3 laisse sous-entendre la jubilation des justes (cf. supra note 176).
Deuxième cas : ce que voient les âmes injustes au cours de leur poréïa n’est pas déterminé avec précision (615a2), alors que les spectacles auxquels les âmes justes ont assisté au cours de leur poréïa sont expressément dits « incon­cevables quant à leur beauté »(615a4). Nous verrons, lors de l’analyse que nous ferons plus loin de la troisième modalité de la relation juste/injuste, qu’il faut sous-entendre que les spectacles auxquels les âmes injustes ont assisté sont inconcevables quant à leur aspect terrifiant. Mais, dès maintenant, nous pouvons imaginer leur caractère terrifiant, uniquement en considérant ce que leur souvenir provoque.

180Qu’ARISTOTE attribue la "systoichia" qu’il présente en Métaphysique, A, 986a22sqq. à certains pythagoriciens (cf. aussi fgt Rose2 195) ne saurait constituer la preuve que seuls les pythagoriciens travaillaient à de telles séries. Par exemple, d’après le fragment 8 (vers 53-59) de PARMÉNIDE et une scholie de SIMPLICIUS, R.BACCOU a pu dresser un tableau d’oppositions (Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate, Aubier, Paris 1951, p.173 note).

181 Sur l’analogie mathématique chez Platon, cf. P.GRENET Les origines de l’analogie philosophique dans les dialogues de Platon, Boivin, Paris 1948, livre II.

182Rép.X, 615a6-c1.

183Ib. 615a6-b6.

184Cf. ib. 615b1-2 et 5-6.

185D’abord 615a6-b2, puis b2-6 (καὶ οἷον etc.).

186Ib. 615b6-c1.

187La "bonne action" (615b6) qui s’oppose à la faute du premier rapport.

188Cf. supra note 156.

189Rép.X, 615c2-4 : l’homme pieux envers les dieux et ses parents aura un salaire "plus grand", de même que l’impie et l’assassin. Si l’on comprend cette phrase dans le prolongement de 615a6-c1, μείζους signifiera "plus grand que les salaires mérités par ceux qui ont (simplement) commis des bonnes actions ou, au contraire, des injustices". Mais, en même temps, on peut comprendre cette phrase comme une introduction à l’épisode d’Ardiée : dans cette perspec­tive, μείζους sera passible d’une autre traduction (cf. infra et note 194).

190Il s’agit des limbes (615c1-2) : l’enfant mort-né ou mort en bas âge n’est en lui-même ni juste ni injuste. Ce qu’Er en a dit n’est « pas digne de mémoire » parce que justement la relation juste/injuste n’y fonctionne pas. Cependant PLATON évoque rapidement ce point neutre, "point mort", par souci de symétrie. Cf. infra p.90.

191Rép.X, 615d6-e1.

192Ces âmes ne sont pas seulement injustes, elles sont impies  : le tyran est parricide (cf. supra note 162), donc impie (cf. ib. note 167, et dans notre texte, où l’impiété et la piété renvoient aux dieux autant qu’aux parents – 615c2-3). Quant aux particuliers, leur présence auprès des tyrans laisse supposer que leurs grandes fautes sont du même ordre.

193Cf. supra p.22 sqq.

194C’est ainsi qu’il faut traduire μείζους de 615c4 si l’on comprend la phrase de 615c2-4 comme annonçant l’épisode d’Ardiée (cf. supra note 189).

195Cf. Rép.X, 615d3-4.

196lb. 615a4.

197Cf. Rép.VI, 509a6, b9, etc.

198Cf. J.C.CHEVALIER, C.BLANCHE-BENVENISTE, M.ARRIVÉ et J.PEYTARD Grammaire Larousse du fran­çais contemporain, Larousse, Paris 1964, p.197.

199Cf. Rép.X, 615c2-4.

200Supra p.22 sqq..

201Cf. supra notes 91, 92 et 94.

202Si la date de ce dialogue ne fait pas l’unanimité, tous les critiques reconnaissent qu’il ne peut être qu’antérieur aux trois autres dialogues qui contiennent les mythes eschatologiques.

203Supra aux notes 107 et 108.

204Cf. infra note 264.

205É.CHAMBRY prétend que le Phédon est postérieur à la République (cf. p.99 de sa traduction du Banquet et du Phèdre, GF 4, Paris 1964).

206Cf. L.ROBIN, édition et traduction du Phèdre (Les Belles Lettres, Paris 1961), p.IV sqq.

207Phdr 245c2-3, trad.L.Robin (Pléiade ).

208En d’autres termes, l’eschatologie platonicienne tient ses fondements dans la doctrine platonicienne de l’âme (sur cette doctrine cf. L.ROBIN, Platon, P.U.F., Paris 1968, pp.126-140) et, plus profondément, dans l’épistémologie platonicienne (sur ces rapports, cf. P.KUCHARSKI, "L’affinité entre les idées et l’âme d’après le Phédon" in La spéculation platonicienne, Nauwelaerts, Paris/Louvain 1971, pp.273-305).

209L.ROBIN, éd. et trad. du Phèdre, p.LXXXVI ; et Platon, p.137sq.

210É.CHAMBRY, dans sa traduction Platon, Protagoras et autres dialogues, GF 9, Paris 1967, p.159.

211P.B.GRENET, Histoire de la philosophie ancienne, Beauchesne, Paris 1960, p.91.

212V.GOLDSCHMIDT, Les dialogues de Platon, P.U.F., Paris 1947, p.315.

213A.CROISET, éd. et trad. du Gorgias et du Ménon, Les Belles Lettres, Paris 1923, p.89 et cf. p.93sq.

214V.GOLDSCHMIDT, loc.cit.

215L.ROBIN, éd. et trad. du Phédon, Les Belles Lettres, Paris 1936, p.LXV.

216Cf. Phdn 107c1 sqq.

217L.ROBIN, op.cit., p.LXIV et la note.

218Rép.X, 608c sqq.

219Cf. supra p.27, et surtout infra p.57 sqq.

220L.ROBIN éd. et trad. du Phèdre, p.XXIX.

221Phdr 243e9-257bc.

222Cf. supra note 206.

223L.ROBIN op.cit. p.CXLVII.

224Par exemple, ROBIN situe le Gorgias avant 390 (Platon, p.30) et pense que le Phèdre a été écrit entre 375 et 366 (éd. et trad. du Phèdre, p.VIII-IX).

225Sauf pour É.CHAMBRY qui date le Gorgias de la même année que celle où l’Académie fut fondée (op.cit. p.164) ; il semble être le seul à avancer ainsi la date de composition du dialogue.

226Ainsi, au sujet de l’incurabilité, l’évolution est bien marquée du Phédon (113e) à la République (615c-616a), et de celle-ci au Phèdre (248 e-249b). Cf. infra note 254.

227Cf. Gorgias 523e3-4 : « l’âme de chacun lorsqu’il vient à mourir » ; Phdn107d6-7 : « chaque mort est pris en main par le démon qui lui avait été attribué durant sa vie » ; et Rép.X, 614b8 : « dès qu’elle fut sortie de son corps, […] son âme se mit en route ».

228Cf. Gorgias 524b2-4.

229Supra note 208.

230Phdr 248c2-e3. Sur Adrastée, l’inévitable (= Némésis ), cf.Rép.V, 451a4-5; et aussi ESCHYLE, Prométhée, 936 ; PLOTIN EnnéadeIII, 2, §13 (16sq.). Cf aussi infra p.61sqq. et notes 573, 577 et 578.

231ἡ πρώτη γένεσις, cf. Phdr 248d1-2.

232Ib. 247c6-7, trad. L.ROBIN (Les Belles Lettres). Cf. aussi infra note 422.§22 n.30.

233L.ROBIN éd. et trad. du Phèdre, p.LXXXVII.

234Phdr 248c8-e3.

235Cf. supra note 207.

236Cf. supra note 208.

237Phdr 248e3-249b6.

238Cf. ib. 249a5-6.

239Phdn107d6-7, et cf. 113d1-2. La présence du démon s’explique très bien s’il s’agit de ce que l’âme a choisi juste avant de naître à la vie qu’elle vient de quitter (cf. Rép.X,617e1 et 620d6-e1 : le démon étant en quelque sorte ce qui fait que la vie vécue par l’âme correspond effectivement à ce qu’elle avait choisi avant de commencer cette vie) ; mais le Phèdre ne parle pas d’un tel choix avant la première vie : c’est plutôt un accident (cf. L.ROBIN, op.cit., p. LXXXVI) qui provoque la première naissance. La difficulté s’évanouit si l’on pense, avec M.MEUNIER (trad. du Phédon, Albin Michel, Paris 1952, p.232 n.1), que ce démon est « l’âme-même conditionnée par ses actes à telle destinée », ce conditionnement étant réglé par le "décret d’Adrastée" pour la première vie.

240Rép.X, 614c1 : δαιμόνιον. On peut traduire ce terme par "divin" (Baccou), "merveilleux"(Chambry) ou "extraordinaire" (Robin). Mais on peut aussi le prendre dans son acception stricte : c’est sa situation intermédiaire qui lui confère cet épithète (cf. Banq. 202d13-c1). C’est un espace mitoyen entre le ciel et la terre ; mais le ciel et la terre dont il s’agit sont ceux du Phédon (109b7sqq.) ; le lieu du jugement est donc dans l’éther. C’était d’ailleurs une croyance commune que les âmes allaient dans l’éther ; cf. par exemple l’épitaphe des Athéniens morts à Potidée : « L’éther a recueilli leurs âmes, et la terre leurs corps » (cité par P.M.SCHUHL Essai sur la formation de la pensée grecque, P.U.F., Paris 1949, p.265 n.4). Cf. PROCLUS op.cit., p.76 sq.

241Gorg. 524a2 et Rép.X, 614e2-3 et 616b2.

242Rép.X, 614c3-4.

243Gorg. 524a4-7.

244Ib. 524e2.

245Rép.X, 614c6-d1 ; cf. supra p.25sqq.

246Ib. 614c5-7. Cf. Gorg. 524a2-4 : les juges siègent « dans la prairie, à la croisée de trois chemins dont l’un part vers les îles des bienheureux et l’autre vers le Tartare », le troisième étant celui par lequel les âmes non encore jugées viennent vers les juges. Cf. infra note 264.

247Phdn 113d4.

248Ib. 113a2.

249Ib. 113d4-e1.

250Ib. 111e6-112e3.

251Ib. 113b6-c8.

252Ib. 113a5-b6.

253Pour cette deuxième sorte d’injustes, cf. Phdn 113e6-114b6.

254Phdn 113e1-2 et 5-6. Le problème des incurables est un de ces points où l’eschatologie platonicienne a évolué. Le Gorgias est d’accord avec le Phédon pour infliger aux incurables une peine éternelle, mais il ajoute qu’ils ne gagnent rien à leur propre châtiment : « ceux qui y gagnent, ce sont les autres (les curables), ceux qui les voient subir pour l’éternité, à cause de leurs grandes fautes, les peines les plus grandes, les plus douloureuses et les plus effrayantes, grossièrement suspendus, comme exemples […], spectacles et avertissements à l’adresse des injustes (curables) qui toujours arrivent » (Gorg. 525c3-8). La République parle encore des incurables, mais ceux-ci sont associés à ceux qui n’ont pas suffisamment expié (615e2-3) ; le type de l’incurable est Ardiée (cf. supra p.23sqq. et p.27sq.). Ici aussi le traitement infligé à Ardiée et ses acolytes a valeur d’exemple (616a3-4). Mais le fait que les incurables soient associés à ceux qui n’ont pas suffisamment expié, semble donner raison à L.ROBIN lorsqu’il note que l’eschatologie de la République ne refuse pas à ces grands coupables la palingénésie, mais seulement "le droit au recommencement millénaire" (L.ROBIN op.cit. p.XCI n.1 ) ; en d’autres termes, Ardiée et ses acolytes doivent effectuer plusieurs poréïai de mille années, avant de pouvoir revenir à la vie terrestre. Le Phèdre, dernier terme de l’évolution, ne parle plus des incurables ; cf. infra fin de la note 285.

255Phdn 114b6-7.

256L.ROBIN op.cit. p.XCI. On peut mener une vie juste sans être philosophe ; cf. par exemple Rép.X, 619c6-d1.

257Cf. Rép.X, 614e1.

258Phdn 114c1-2. Cette surface de la véritable terre est abondamment décrite dans le Phédon 108d4-111c2. Cf. Rép.X, 614d7-e1,615a3-4 et Phdr 249a7-b1.

259Gorg. 526C3-4 ; cf. infra note 528. Le touche-à-tout visé ici est le rhéteur ; cf. par exemple Gorg. 458esqq.

260Phdn 114c3 ; cf. l’ensemble du dialogue et infra p.72.

261Phdn 249a1-2, trad. L.Robin (Les Belles Lettres).

262Phdn 114c4-5. Dans la République, la poréïa de l’âme philosophe n’est même pas mentionnée ; mais nous avons vu, supra p.25sq., comment elle était suggérée.

263Cf. supra note 236.

264Pourquoi ? Il semble que cette limitation soit solidaire du dessein de Socrate lorsqu’il dit le mythe : il s’agit de faire passer l’idée « qu’on doit prendre garde de commettre l’injustice plutôt que de la subir, et que l’homme doit se soucier par dessus tout non de paraître bon, mais de l’être réellement, et en privé et en public » (527b4-6). Il suffit donc que le mythe montre comment Zeus s’arrange pour que, lors du jugement, les âmes paraissent ce qu’elles sont réellement et soient sanctionnées correctement – cette justice de l’au-delà pouvant d’ailleurs contredire la justice des hommes ; cf. de 521c3 jusqu’au mythe. Cette limitation est d’ailleurs manifeste lors de la description du lieu du jugement : alors que le Gorgias parle de « la croisée des trois chemins » (cf. supra note 246), la République, elle, parle de quatre gouffres dont deux conduisent aux lieux où les sentences seront exécutées, et les deux autres reconduisent les âmes de ces lieux vers la prairie, un autre chemin qui conduit les âmes du corps délaissé vers le lieu du jugement étant supposé (614b8-c1) et un autre encore qui conduit les âmes qui sont revenues de leur poréïa de mille années vers le lieu pan-oramique qui est aussi celui du choix (cf. 616b1-7). Le Gorgias ne décrit donc du lieu du jugement que la moitié qui concerne l’arrivée des âmes devant les juges et leur départ vers les lieux où les sentences seront exécutées. Il ne s’intéresse pas à l’autre moitié qui concerne le retour des âmes de ces lieux vers l’endroit où se retrouvent, après exécution des sentences, les justes et les injustes (la prairie) et leur cheminement vers le lieu du choix, puis vers la renaissance. Sur ce point, l’erreur de PROCLUS (op.cit. p.76) semble due à son parti pris d’accorder entre eux les textes platoniciens, quelle que soit leur destination propre – erreur d’autant plus étonnante que PROCLUS prétend attacher de l’importance au "dessein" des textes (en l’occurrence, le mythe d’Er, cf. op.cit. p.40sqq.).

265Rép.X, 616b7-617d1 (contemplation du fuseau), 617d1-620d5 (choix d’une nouvelle vie) et 620d6-621b7 (retour à la génération).

266Phdn 107e2-4.

267C’est-à-dire après que la sentence des juges a été exécutée, après la poréïa de milles années.

268Phdr 249b1-3, trad. L.Robin (Pléiade).

269Cf. Rép.X, 616d4 et tout le passage.

270Le fuseau symbolise le cosmos ; cf. par exemple A.RIVAUD Histoire de la philosophie, P.U.F., Paris 1948, tome I, p.184 ; et infra p.39sqq.

271L.ROBIN Platon, p.134. À la page 148, l’auteur fait le même constat, mais aussi, hélas!, la même séparation.

272Rép.IX, 592b2-5. Sur le début de ce passage, cf.V.GOLDSCHMIDT "Le paradigme dans l’action" in Questions platoniciennes, Vrin, Paris 1970, pp.82sq. et n.25 à 27.

273PROCLUS (op.cit. p.41) avait déjà fait le rapprochement. D’autre part, en envisageant la République dans son ensemble, on doit remarquer que les premiers mots du dialogue qui concernent la justice, c’est Céphale qui les prononce en parlant de ces « mythes que l’on raconte concernant le royaume d’Hadès » (I, 330d7-8) ; aussitôt après, Socrate pose le problème de la définition de la justice. C’est donc une référence aux mythes eschatologiques traditionnels (tel, à peu près, celui du Gorgias) qui inaugure le thème qui soustend le dialogue dans son entier. Celui-ci s’achève par un mythe eschatologique qui rejoint le niveau de la tradition mythique d’où part le dialogue, mais une fois effectué le détour fondamental de la philosophie (amorcé au livre II) qui lui confère une portée que n’avaient pas les premiers. Le passage "cosmologique" du mythe d’Er est un des éléments essentiels par lesquels la philosophie enrichit la mythologie. Cf. infra p.57sqq.

274V.GOLDSCHMIDT, La religion de Platon, Paris ; P.U.F., 1949 ; repris in Platonisme et pensée contemporaine, Aubier, Paris 1970, p.104.

275Cf. P.LACHIÈZE-REY Les idées morales, sociales et politiques de Platon, Vrin, Paris 1951, p.36 sq.

276Cf. C.TSATSOS La philosophie sociale des grecs anciens, Nagel, Paris 1971, p.139 ; et L.ROBIN "Platon et la science sociale" in La pensée hellénique…, P.U.F., Paris 1942, p.210.

277Cf. L.ROBIN La morale antique, P.U.F., Paris 1963, p.141.

278V.GOLDSCHMIDT Questions platoniciennes, p.85. Cf. Rép.V, 472b7-e2.

279Cf. supra p.33sq.

280Phdr 246a3-248c2.

281Phdr 247d5-6, et cf. 249c (cité par P.KUCHARSKI, op.cit.,p.295). Il faut remarquer que le même verbe καθορᾶν est employé dans ce passage du Phèdre et dans le mythe d’Er, lorsque les âmes voient, de loin, la lumière où se trouve le fuseau (616b4 ; cf. aussi ἰδεῖν...κατά... 616b7). Ailleurs ce verbe a pour complément d’objet τήν τοῦ ἀγαθοῦ ἰδέαν (Rép.VII, 526e1, et cf. 516b6). En règle générale, on peut dire que ce verbe, qui s’emploie chez Homère (par exemple Il.VII, 21) lorsque le spectateur est sur une hauteur et regarde vers le bas, a perdu chez Platon ce sens primitif et désigne une vision de qualité. Outre les textes de la République et du Phèdre déjà cités, on peut mentionner un passage des Lois IV, 715d4-6) où ὁρᾶν désigne la vision d’une ruine, et καθορᾶν celle d’un salut.

282Cf.Rép.X, 615a6-b2 et supra p.27.

283Ib. 615a2-3, passage cité note précédente et Phdr 249b1.Mais il y a des exceptions, sauf dans le Phèdre, cf. supra note 254.

284Phdr 248e5-249a1, trad. M.Meunier (Platon, Pdre, Albin Michel, Paris 1960, p.86).

285Il y a un petit problème de calcul : nous venons de voir que chaque âme renaît tous les 1100 ans. Or dix mille n’est pas un multiple de ce nombre. C’est pourquoi nous devons rester dans l’approximation ; et, 9900 étant plus proche de dix mille que onze mille, penser que c’est bien au terme de la neuvième "vie eschatologique" – cette vie étant composée de la vie terrestre et de la vie dans l’au-delà qui la suit. La seule façon d’éviter cette approximation serait de penser que les âmes recouvrent leurs ailes juste après leur dixième mort : ainsi, entre chaque recouvrement d’ailes, s’écouleraient neuf "vies eschatologiques" (soit 9900 années) et une dixième vie terrestre non suivie d’un jugement (soit 100 ans). Soit un total de 10000 années. Mais une vie terrestre peut-elle n’être pas sanctionnée ? Il reste encore qu’il est possible que la durée de la poréïa, qui était de mille années dans la République, ne soit plus que de neuf cents ans dans le Phèdre. Dans ce cas, entre chaque recouvrement d’ailes, s’écouleraient dix "vies eschatologiques" complètes. En dernière analyse, il semble qu’il faille maintenir la thèse de l’approximation. Non seulement il serait difficile qu’une vie terrestre ne soit pas sanctionnée, mais, plus encore, il faut éviter de supposer une évolution là où cette supposition n’est pas nécessaire. Mieux, si nous rejetons une telle évolution, nous allons pouvoir comprendre le sens d’une autre évolution dont nous avons déjà parlé (supra note 254) : le problème des incurables. En effet, le calcul de la République selon lequel ce que nous avons appelé une "vie eschatologique" dure 1100 ans, entre bien dans le cadre du Phèdre, car, en dix mille années, une âme aura la possibilité de parcourir les neuf degrés de vies (cf. supra à la note 234) et de remonter ainsi du tyran au philosophe. C’est pour permettre cette ascension qu ’il n’y a plus d’incurables (comme dans le Phédon) ni d’âmes qui doivent effectuer plusieurs poréïai de mille années avant de se réincarner (comme dans la République) : même l’âme que la première eschatologie a faite tyrannique pourra juste avant de recouvrer ses ailes, devenir une âme-philosophe qui saura, une fois ailée, suivre et imiter les âmes divines. Cf. infra note 606.

286Phdr 246a3-248c2.

287Cf. ib. 249A1-5 ; et supra notes 259 à 262.

288L. ROBIN éd.et trad. du Phèdre, p.XCI. À propos de cette distinction fondamentale entre l’âme du philosophe et les autres âmes, cf. ib. p.XC n.2.

289Supra p.33sq.

290Ib. p.34sqq.

291Ib. p.38sqq.

292Notre exposé ne prétend nullement à l’exhaustivité, il n’est qu’une mise en perspective d’ensemble.

293Rép.X, 616b1-617d1. Pour la justification, cf. supra p.36sqq. et infra p.59sq.

294Ib.616c5-6.

295Ib.616c6-7.

296Expositio…, éd. J.Dupuis, pp.232-5.

297C’est ainsi que P.DUHEM traduit ce que nous traduisons d’habitude par ‘pesons’ : σφονδύλοι.

298P.DUHEM Le système du monde, Hermann, Paris 1913, tome I, p.62.

299Cf. A.RIVAUD loc.cit. (supra note 270) et surtout "Le système astronomique de Platon" in Revue d’Histoire de la Philosophie, janv.-mars 1928, pp.1-26, où l’auteur montre que le fuseau est une sorte de « mécanisme propre à figurer les mouvements célestes ». « Seulement, et c’est ce qui fait tout le mystère du texte, Platon passe constam­ment de sa machine planétaire au ciel véritable ».

300Ce à quoi se limitent par exemple P.DUHEM (op.cit. pp.59-64), et, avant lui, P.TANNERY ("Le mythe d’Er le pamphylien" Revue Philosophique, t.XI (1881), p.283sqq. ; repris in Mémoires Scientifiques, 1925, t.VII, p.45sqq.). De même L.ROBIN Platon, pp.148sqq. ; etc.

301Op.cit. p.60.

302A.A.BARB "Lapis adamas" in Latomus (collection) 101, 1969, pp.66-82 ; les passages cités infra sont traduits par nous.

303lb. p.66.

304Cf. ib. p.74 : « Platon ne mentionne pas de diamants ». L.ROBIN (O.C. de Platon, II, n.4 de la p.415 ) : « le sens de ‘diamant’ est plus tardif » ; et É.CHAMBRY (trad. du Sophiste…, GF, Paris 1969, p.507) : « le mot adamas ne se trouve pas dans cette acception (diamant) avant Théophraste ».

305Malgré les traductions courantes.

306« On nomme "nœud", en terme de métallurgie, la partie la plus dure du métal », T.H. MARTIN cité par J.MO­REAU (O.C.de Platon, II, n.4 de la p.481 ).

307Cf. T.H.MARTIN (Études…,II, p.259) : « Remarquons que Platon semble croire que la dureté, c’est-à-dire la cohésion des parties, est toujours proportionnelle à la densité. C’est une erreur."

308Trad. J.Moreau. Pour la couleur de l’adamas, cf. infra p.44 et note 360.

309 Art.cit. p.73 n.2 : « Pindare et Platon semblent employer "adamas" et "sideros" comme des synonymes », et cf. p.73-74 (analyse des textes du Politique et du Timée).

310Ainsi Gorg. 509a1. A.A.BARB semble s’appuyer sur ce texte (et sur le fgt 123 Snell de PINDARE) pour faire de l’adamas un synonyme du fer.

311Loc.cit. note préc. ; il faut remarquer que Socrate prévient Calliclès de la hardiesse (É.Chambry), la prétention ( A.Croiset), l’énergie (L.Robin) de la métaphore.

312Rép.II, 360b4-5 (trad.Baccou).

313Ib.X, 618e4sqq. (trad.Baccou ).

314Ib., trad.Robin.

315lb. trad.Chambry.

316Épinomis 982b7-c3.

317Malgré A.A.BARB (op.cit. p.66sq.) qui récuse cette étymologie.

318A.DIÈS, éd. et trad. du Politique (Les Belles Lettres, Paris 1935), p.75 n.1.

319HÉSIODE Théogonie, 239.

320HÉSIODE Travaux, 147.

321PINDARE fragment 123 Snell, cité par A.A.BARB, art.cit., p.67 n.1 (cf. supra note 310).

322HÉRODOTE VII, 141.

323ESCHYLE Prométhée enchaîné, 6 ; trad. É.Chambry modifiée (GF, Paris 1964 ). Cf. vers 64 et 148.

324lb. autour du vers 426, trad. É.Chambry modifiée.

325αἶσα, la destinée est synonyme de μοῖρα : cf. P.M. SCHUHL op.cit., p.143 ; sur μοῖρα, cf infra p.65 et suiv.

326SOPHOCLE fragment 604 Nauck, cité par P.M. SCHUHL, op.cit., p.149 n.1.

327Cf. P.M.SCHUHL La fabulation platonicienne, P.U.F., Paris 1947, p.85.

328PLATON « utilise souvent HÉSIODE », dit PROCLUS (op.cit., p.158).

329Textes d’HÉSIODE cités infra notes 319 et 320.

330HÉSIODE Théogonie 161, 188 et Bouclier 137, 231.

331Théogonie 161 : πολιός.

332Bouclier 231 : χλωρός.

333Théogonie 161, 188.

334Cronos, selon P.DIEL ( Le symbolisme dans la mythologie grecque, Payot, Paris 1966, p.113), est « le fils le plus indomptable » de Gaïa. L’expression est pour le moins heureuse !

335HÉSIODE Théog.159sq. Cf. M.ÉLIADE Traité d’histoire des religions, Payot, Paris 1974 (nouv.éd.), §23.

336Ib. 180sq. C’est une faucille (ᾅρπη 175, 179 et δρέπανον 162) que Gaïa a fabriquée à partir de l’adamas créé pour l’occasion (161sq.). Sur le symbolisme de cet instrument, cf. P.DIEL loc.cit.

337Le rapprochement entre Cronos et ‘chronos’ est déjà fait dans l’orphisme (cf. G.LEGRAND Les Présocratiques, Bordas, Paris 1970, p.24 n.3 ), puis par l’auteur du De Mundo, 401a15. Il a été continuellement repris (cf. par exemple P.DIEL op.cit. p.113).

338P.DIEL loc.cit.

339Cf. supra notes 317 et 318.

340C’est ainsi qu’ἀδάματος peut signifier ‘vierge’ ; cf. SOPHOCLE Ajax, 450.

341HOMÈRE Il.I, 61 ; VI, 159 ; IX, 118 ; XVI, 816, 845 ; XXI, 90 ; XXII, 176, 446 ; etc. HÉSIODE Théog. 332, 490, 857, etc.

342HOMÈRE ib. XVIII, 432, etc. ; HÉSIODE ib. 327, 374, 453, 962, 1000, 1006, etc. D’ailleurs, Éros n’est-il pas « le plus beau parmi les dieux immortels, celui qui rompt les membres, et qui, dans la poitrine de tout dieu comme de tout homme, dompte (nous soulignons) le cœur et le sage vouloir » (ib.120-123, trad. P.Mazon, Les Belles Lettres, Paris 1928) ?

343L’adamas est la négation de la puissance virile, en tant qu’elle est principe de désordre et qui sera remplacée par une puissance féminine (Nécessité). Pour la petite histoire : Adamas est le nom d’un homme qui a subi la castration (ARISTOTE Politique, V, 10, 1311b22 sq.).

344Lorsque PLATON dit que « le temps est né avec le ciel » (Timée 36b6), il s’agit, hésiodiquement parlant du ciel mutilé, du ciel stabilisé.

345Cf. supra note 309 où les termes sont cités.

346HÉSIODE était un agriculteur.

347Rép.X, 616c6.

348On pourra nous reprocher de solliciter, pour comprendre la fonction cosmologique de l’adamas, un texte hésiodique (Théog. 154 sqq.) que PLATON, par ailleurs, désapprouve formellement. En effet, « c’est faire le plus grand des mensonges sur les êtres les plus augustes que de rapporter contre toute bienséance qu’Ouranos a commis les atrocités que lui prête HÉSIODE et comment Kronos en a tiré vengeance » ( Rép.II, 377e6-378a1, trad. Chambry). Nous manifesterons l’inconsistance de ce reproche en faisant remarquer que « cette critique de la mythologie considérée comme immorale était devenue au IVème siècle […] un lieu commun » (R.FLACELIÈRE, éd. de Cinq discours d’ISOCRATE, P.U.F., Paris 1961, p.53). En effet, d’une part, quand même Platon reprend cette critique à son propre compte, elle n’est qu’une reprise de ce que pouvait dire, par exemple, XÉNOPHANE, et de ce que dit ISOCRATE à peu près en même temps que PLATON (sur les rapports entre le Busiris et la République, cf. A.DIÈS, introduction à la République, Les Belles Lettres, Paris 1932, pp.CXXVIII à CXXXIV), bien que dans une autre intention (cf. R.FLACELIÈRE loc.cit.). Mais surtout, d’autre part, PLATON, lorsqu’il formule cette critique, parle en tant qu’éducateur et ne vise que la valeur morale exemplaire des mythes. Il ne juge pas le mythe pour tout ce qu’il dit, mais seulement pour ce qu’un jeune pourra en retenir : « la jeunesse est en effet incapable de discerner ce qui est symbole et ce qui ne l’est pas » (Rép.II, 378d7-8, trad. Robin ). Or nous avons sollicité le texte d’Hésiode précisément pour comprendre la valeur symbolique de l’adamas. C’est pourquoi il y avait « nécessité d’en parler »(ib. 378a4 sqq.). C’est pourquoi aussi PLATON, lorsqu’il vient à parler de l’adamas, se garde bien de faire quelque allusion trop flagrante au mythe hésiodique ; ainsi celle-ci ne sera perçue que par un très petit nombre d’initiés (cf. ib. 378a6).

349Rép.X, 616b4-6.

350Cf. supra note 299.

351Op.cit. p.149 ; cf. infra note 372.

352Timée 40c1. Cf. A.Rivaud, éd. et trad. du Timée (Les Belles Lettres, Paris 1925), p.62sq.

353Rép.X, 616c2, trad.Robin.

354Ib. 616c3-4. Cf. infra p.76sqq., 91sq. et note 993.

355HÉSIODE Théog. 156-157.

356Ib.124.

357Ib.176.

358Cf. supra note 338.

359Cf. HÉSIODE Théog. 123.

360Timée 59b5. Chez HÉSIODE, l’adamas est clair, d’un blanc terne (cf. supra notes 331 et 332).

361Rép.IV, 429e6, trad. Robin.

362Phdn 110b5sqq.

363Ib. 110c3, trad. Robin (Pléiade) ; à rapprocher de Rép.X, 615a4 ; cf. supra p.27.

364Ib. 110c2 ; à rapprocher de Rép.X, 616b6, traduit infra note 367.

365Beauté que les grecs reconnaissent tous ; cf. les textes cités par P.M.SCHUHL Platon et l’art de son temps, P.U.F., Paris 1952, p.1 n.2.

366Cf. Rép.IV, 429d8-e1.

367Rép.X, 616b5-6 : … « se rapprochant surtout de l’arc-en-ciel, mais plus brillante et plus pure ». Cf. supra note 364.

368Supra p.9 : Le soleil et la mort .

369"Le joug du Bien…" in L’imagination et le merveilleux, Flammarion, Paris 1969, p.161sqq. Cf. infra p.91sqq.

370Rép.X, 616b5.

371HOMÈRE Od. l, 53-54.

372PROCLUS op.cit., p.149. Cf. aussi supra note 351.

373HÉSIODE Théog. 517-519.

374ESCHYLE Prom.ench., autour de 349.

375HÉRODOTE, IV,184, trad. A.Barguet (Hérodote-Thucydide O.C., Gallimard, Paris 1964).

376Cf. supra p.42sq.

377Cf supra p.44sq.

378Rapprocher les textes cités supra aux notes 324 et 374. On peut noter que la notion de "nécessité" intervient dans le rapport que fait ARISTOTE (Du ciel II, 1, 284a18-23 ; cf. Métaph. Δ, 23, 1023a19-21 ) du mythe d’Atlas ; cf. infra note 614.

379La comparaison avec les ceintures des trières (cf. supra note 353) sera étudiée infra p.76sqq.

380A.BONNARD Les dieux de la Grèce, Mermod, Lausanne 1944 ; repris aux éditions Gonthier (bibliothèque Média­tions), s.d., p.48 ; cf. HÉSIODE Théog. 886-900.

381Rép.X, 617c4.

382P.M.SCHUHL Essai sur la formation de la pensée grecque, p.262.

383Rép.X, 616d3-5.

384Le verbe ἐλαύνειν est aussi un terme technique de la marine (cf. Rép.III, 396b1) et fait donc partie de la comparai­son avec les ceintures des trières : cf. supra note 379 et infra note 809.

385Rép.X, 616d6-e3.

386Ib. 617b4-7.

387Le mot συνεχεία n’apparaît que deux fois chez PLATON (Soph. 261e1 et 262c1 où apparaissent par ailleurs des verbes dérivés de ἁρμόττειν) mais le verbe συνέχειν, l’adjectif συνεχή y sont courants ; l’adverbe συνεχῶς n’y a que quatre occurrences (cf. E.DES PLACES op.cit. p.483). Cf infra notes 972 et 974.

388Cf. supra p.36sqq. et notes 275 à 277.

389En nommant la matière de la tige du fuseau. Allusion la plus discrète possible ; cf. fin de la note 348.

390Cf. Rép.X, 616d3.

391Ib. 616e3-8.

392Ib. 617a4-b2. Cf. infra note 660.

393Rép.X, 616e8-9 : le premier cercle.

394Ib. 616e9-617a1 : les septième et huitième cercles.

395Ib. 617a2-3 : les second et cinquième cercles.

396Ib. 617a3 et 4 : les troisième et sixième cercles.

397Ib. 617a3-4 : le quatrième cercle.

398Cf. ib.VII, 529b1sq., c7sq.

399Cf. Timée 67c5sq.

400Cf. J.BOLLACK Empédocle, III (Éd.de Minuit, Paris 1969 ), p.121 ; et P.M.SCHUHL Platon et l’art de son temps, p.92 n.3.

401Cf. ib. p.13 n.4.

402Tie 68a7.

403Cf. P.M.SCHUHL op.cit. p.89 et n.2 : « le blanc, le rouge, le jaune et le noir » ; cf. aussi J.BOLLACK op.cit. p.368.

404HOMÈRE Il.1, 605 : « la brillante lumière du soleil ».

405HÉSIODE Théog. 18 et 371 : « la brillante lune ».

406EMPÉDOCLE fgt 63,vers3 (Bollack) : « le soleil brillant ». Cf.aussi PINDARE Olympique1, 5-6; II, 61; Isthmiques IV, 24 ; etc.

407Dans le Timée (67c4 sqq.), il y a quatre couleurs fondamentales : le blanc, le noir, le rouge et le brillant (L.BRISSON Le même et l’autre dans la structure ontologique du Timée de Platon, Klincksieck, Paris 1974, p.446sq., traduit « l’éclatant et l’étincelant ». P.M.SCHUHL (op.cit. p.88) semble en compter une cinquième : le jaune ; mais le jaune s’obtient par un mélange de brillant, de rouge et de blanc (Timée 68b5). Peut-être P.M.SCHUHL compte-t-il le jaune pour pouvoir comparer la liste platonicienne à celle des peintres du temps (cf. supra note 403) ? Quoi qu’il en soit, le jaune n’est pas une couleur fondamentale.

408Loc.cit.

409P.M.SCHUHL (loc.cit.) ne le soulève même pas. C’est d’autant plus surprenant que le brillant est, selon l’auteur, la seule couleur que Platon aurait ajoutée à la liste des couleurs fondamentales des peintres de son temps. Ainsi l’auteur va jusqu’à ajouter une couleur secondaire aux couleurs fondamentales de Platon pour une meilleur concor­dance avec celles des peintres, mais ne s’inquiète pas de la présence du brillant dans la liste platonicienne.

410Rép.X, 616e9-617a1.

411AÉTIUS, II, 28,5 : Θαλῆς καὶ οἱ ἀπ’αὑτοῦ ὑπὸ τοῦ ἡλίου φωτίζεσθαι τὴν σελήνην.

412J.VAN CAMP et P.CANART Le sens du mot ΘΕΙΟΣ chez Platon, Louvain 1956, p.171.

413Ib. p.172. Cf. supra p.25sq. : L’opposition terme à terme.

414Ainsi M.Croiset (Les Belles Lettres, Paris 1920) et É.Chambry (GF, Paris 1967).

415Ainsi L.Robin.

416Rép.VII, 517b7-c3.

417Ib.VI, 508b12-13.

418P.M.SCHUHL "Le joug du bien… " in L’imagination et le merveilleux, p.155 ; et cf. supra p.27. J.Adam (The Republic of Plato, University Press, Cambridge 1902, II p.60 note) a établi, à partir des correspondances entre le soleil et l’idée du bien, un tableau récapitulatif très clair qu’É.CHAMBRY (p.138 n.1) et R.BACCOU (p.446 n.437) donnent dans leurs traductions.

419Rép.VI, 507d11-12. Les yeux sont pris en exemple dans l’analyse de la fonction, Rép.I, 352d-353d.

420Ib. 507d12. Si l’on se tient strictement à l’intérieur de l’organisation syntaxique des deux génitifs absolus (507d11-12), ἐν αὐτοῖς ne peut que reprendre ἐν ὂμμασιν (c’est ainsi que comprend L.ROBIN). Mais on se heurte alors à deux difficultés.
Voici la première : Socrate veut montrer à Glaucon qu’il y a une différence entre la relation entendre/être entendu (507c10-d2 ; sur la qualité de l’analyse platonicienne de cette relation, cf.J.ADAM op.cit. p.57 note) et la relation voir/être vu ; et les deux génitifs absolus sont analogues aux deux infinitifs de 507c11 : par conséquent, le premier génitif s’attachant à la faculté de voir comme le premier infinitif à la faculté d’entendre, le second génitif doit s’attacher aux objets qu’il y a à voir (ce que désignerait αὐτοῖς) comme le second infinitif à ce qu’il y a à entendre (ce qui émet un son).
La deuxième difficulté est la suivante : la relation voir/être vu est reprise (mais négativement) en 507e2 où la faculté de voir est du côté du voir/ne pas voir, et les couleurs (χρώματα) sont sans ambiguïté du côté du visible/invisible, c’est-à-dire du côté de ce qu’il y a à voir. C’est pourquoi il faut comprendre ἐν αὐτοῖς comme signifiant ἐν τοῖς ὁρατοῖς (cf. la note ad loc. de BACCOU).

421L.BRISSON loc.cit.

422Cf. Phdr 247c6-7 où la première des déterminations (négatives bien sûr) de l’"ousia" véritable est d’être incolore ; ensuite seulement, elle est dite sans figure et intangible. Même mouvement dans le non où la figure vient après (ἑπομένον) la couleur (75b9-11), mais avant le solide (le tangible) puisqu’elle le limite (76a7). Cf. Théèt. 156c1.

423Rép.VI, 507d12-e1 ; l’expression αὐτὸ τοῦτο reprend le second génitif absolu.

424Ib. 507e2.

425Théèt.151e sq. et Timée 45b sq.

426L.BRISSON op.cit. p.440.

427Timée 45c3.

428Rép.VI, 507e4 sqq.

429Loc.cit. : μεθημερινὸν.

430Rép.VI, 508c5-6.

431Ib. 508a4-8. Cf. supra note 416.

432Cf. supra note 407.

433Timée 67e6-68b1.

434Rép.X, 617a1.

435Ib.VI, 508c6-7, trad.Baccou.

436Il nous semble que le comparatif ξανθότερα de Rép.X, 617a3 implique que la lune doive être un peu jaune bien que toujours brillante. De ces lignes (616e9-617a3), se dégage l’idée que du brillant quasi incolore au jaune bien prononcé, il y a continuité. En fait, il faut penser qu’Er dit que les deuxième et cinquième cercles sont plus jaunes que le soleil et la lune parce que le jaune d’or est ce qui se rapproche le plus, comme couleur, du brillant. Cf. infra notes 438 et 439 et supra note 407.

437 Rép.X, 616e8-617a4 : « Le septième cercle était le plus brillant ; le huitième tenait sa couleur du septième qui brillait sur lui ; le deuxième et le cinquième étaient à peu près semblables, plus jaunes que ceux-là ; le troisième avait la couleur la plus blanche ; le quatrième était rougeâtre (ἐρυθρόν) et le sixième était au second rang de la blancheur ».

438Dans le Timée, l’ordre des couleurs est le suivant : les quatre fondamentales, c’est-à-dire le blanc et le noir (67d2-e6), le brillant (67e6-68b1) puis le rouge (ἐρυθρόν, 68b1-5) ; ensuite viennent les secondaires, et, tout d’abord, le jaune d’or qui est " du brillant mêlé au rouge et au blanc"(68b5-6). Cf. les tableaux de L.BRISSON op.cit. p.446sq.

439Même s’il est vrai que, « lors même qu’on la pourrait connaître, il ne serait point raisonnable de dire la proportion exacte de ces mélanges, puisque nul ne serait en état d’en indiquer, avec quelque justesse, la cause nécessaire, ni même la raison vraisemblable » (Timée 68b6-8, trad.Rivaud modifiée), il reste que, dans le jaune doré, c’est le brillant qui prédomine, alors que, par exemple, dans l’ocre clair (ὠχρόν, qui est une couleur fondamentale pour Empédocle par exemple ; cf. supra note 403), c’est le blanc (Timée 68c4-5), les composantes fondamentales étant les mêmes que pour le jaune doré. L.BRISSON (op.cit. p.447) semble mettre les trois composantes du jaune doré sur le même plan, ce qui nous semble inexact.

440Timée 68d2-6. Cf J.VAN CAMP et P.CANART op.cit. pp.262-265.

441Cf. supra notes 407 et 438.

442Cf. supra p.42sqq.

443Les couleurs secondaires qui comportent du noir sont pourtant nombreuses : le pourpre, le brun foncé, le brun clair, le gris, le lapis, le glauque et l’olive (cf. Timée 68b8-c7).

444Cf. supra p.40sqq.

445Cf. supra p.44sqq.

446Rép.X, 617a4, traduit supra note 437.

447Timée 68b4 ; cf. supra note 438.

448A.RIVAUD op.cit. p.107.

449Timée 68b3-5.

450Rappel du texte cité note précédente.

451Timée 80e1-4.

452Ib. 81a6 : τὰ ἒναιμα.

453Supra p.46.

454Ce qu’ont fait A.MIELI (Le scuole jonica, pythagorica ed eleata, Firenze 1916, p.426), M.UNTERSTEINER (éd. et comm. de Repubblica libro X, L.Loffredo, Napoli 1937, 2èmeéd., p.137) et R.BACCOU (p.503 n.769 de sa trad.).

455Cf. l’étude de J.COOK WILSON ("Plato, Republic, 616E" Classical Review, 6 (6), 1902 ; résumé par R.BACCOU, loc.cit.) qui fait ressortir la récurrence du nombre 9que les pythagoriciens attribuaient à la justice.

456PROCLUS (op.cit. p.193 : « l’accord d’octave, qui est le plus complet de tous »cf. ARISTOTE Problèmes XIX, 17), L.ROBIN (Platon, p.152), M.CROISET (La République de Platon. Étude et analyse, Mellotée, Paris s.d. [1946], p.275), M.UNTERSTEINER (op.cit.,p.139), E.MOUTSOPOULOS (op.cit., p.76 n.11 et p.338-339 n.3 ), et d’autres.

457Cf. Th.REINACH op.cit. p.12.

458Nète, paranète, trite, paramèse, mèse, lichanos, parhypate et hypate.

459Loc.cit. Sur le " diapason", cf. J.-J.ROUSSEAU Dictionnaire de musique, s.v. "diapason" et "octave".

460Cf. supra p.52.

461Par exemple, PROCLUS (loc.cit.) ; L.ROBIN (loc.cit.).

462ARISTOTE Du ciel II, 9. Il faut noter qu’ARISTOTE vise nommément (cf. 291a8 ) les pythagoriciens ; cf. infra.

463Rép.X, 617b6-7.

464Ib. 617a8-b1. Cf. cependant Timée 67a où l’on voit que, pour Platon, « un son est d’une hauteur proportionnelle à sa vitesse" (E.MOUTSOPOULOS op.cit. p.34) ; mais cf. supra p.52.

465L.ROBIN (loc.cit.) nie cette impossibilité : il y aurait là une négligence de Platon (!!!). Cf. infra p.54sqq.

466E.MOUTSOPOULOS op.cit. p.382 et n.8.

467L.BRISSON op.cit. p.328 n.6.

468Cf. supra note 462.

469Cf. § précédent.

470Cf. L.ROBIN loc.cit.

471Cf. E.MOUTSOPOULOS op.cit. p.76.

472Cf. les vers d’ALEXANDRE d’ÉTOLIE, dans THÉON DE SMYRNE (Expositio… éd.E.Hiller, Teubner 1878, chap.XV, p.140sq.). Cf. infra note 498.

473ARISTOTE op.cit. 290b21 sq., trad.Tricot (Traité du ciel..., Vrin, Paris 1949 ; cf. infra note 498.

474PROCLUS (op.cit. p.194), puis L.ROBIN (op.cit. p.146), E.MOUTSOPOULOS (op.cit. p.379), et d’autres.

475Ce que fait L.BRISSON loc.cit. et p.329.

476Op.cit. pp.324-332.

477Cf. supra p.52 et l’ensemble des pages consacrées à cette problématique de L’harmonie (p.46 et suivantes).

478Rép.X, 617b1-3.

479Ib. 617b6.

480Ib. 617b6-7.

481Cf. supra note 465.

482Cf. supra p.49.

483Cf. PINDARE Olympiques, 15 (et J.DUCHEMIN Pindare poète et prophète, Les Belles Lettre, Paris 1955, p.235sq.).

484Rép.II, 376e3-4.

485Phdr 268d7-e1.

486Phil. 17c-d.

487Cf. P.VICAIRE Recherches sur les mots désignant la poésie et le poète dans l’œuvre de Platon, P.U.F., Paris 1964, pp.141-147.

488Cf. A.RIVAUD op.cit. p.51.

489Rép.IV, 443d5 ; cf. aussi 431a.

490Cf. P.GRENET Les origines de l’analogie philosophique, pp.125-137.

491 Cf. V.BROCHARD "Les mythes dans la philosophie de Platon" in Études de philosophie ancienne…, Vrin, Paris 1966, pp.46-59 ; L.ROBIN Platon, pp.140-143 ; P.M.SCHUHL Essai…, p.317sq., La fabulation platonicienne, P.U.F., Paris 1947, pp.27-39 ; V.GOLDSCHMIDT Le paradigme dans la dialectique platonicienne, P.U.F., Paris 1947, p.97sq. ; etc.

492Cf. supra p.35 sq. et infra p.59sq.

493Phdr 247d6, trad.L.Robin (Pléiade).

494Ib. 247c6-7.

495Cf. supra.

496Cf. supra p.39sqq. L’analogie entre l’âme et l’univers est antérieure à PLATON (elle est exploitée, par exemple, par ALCMÉON) qui semble innover en y intercalant la cité (cf. toutefois le fgt 4 d’ALCMÉON où il y a un parallèle entre le corps humain et l’organisme politique ; pour PLATON, « l’État le mieux gouverné est celui qui se rapproche le plus du modèle de l’individu »Rép.V, 462d6-7, trad.Chambry ; cf. 464b1-3. Cf. infra p.83sqq.). C’est par référence à la cité et pour elle que le cosmos est mis en scène dans le mythe d’Er. Cf. infra p.57sqq..

497Ce que semblaient faire les pythagoriciens, cf supra p.52sqq. et note 472, et infra note suivante.

498« L’emploi du terme φωνή (617b6) semble clairement impliquer qu’il s’agit effectivement d’une harmonie concrè­te », note L.BRISSON (op.cit. p.328 n.6). La même remarque vaut pour la théorie pythagoricienne de l’har­monie des sphères, telle qu’ARISTOTE (Du ciel II, 9, 290b23 et 24) nous la présente ; dans les vers d’ALEXAN­DRE d’ÉTOLIE (cf. supra note 472), « la terre rend le son grave de l’hypate, et la sphère étoilée, la nète qui lui répond ; le soleil […] fait résonner la mèse », etc. [Selon ce texte, qui date du milieu du IIIème siècle, l’octave n’est pas remplie de sept intervalles, mais de huit (!)]. Les astres semblent donc chanter réellement. Mais, quelques vers après, on peut lire : « … cette octave ; or telle est la Sirène qu’Hermès harmonise… ». Doit-on en conclure que cette Sirène unique égrène les neuf notes dont chacune correspond à un astre déterminé ; et que, par conséquent, il n’y a pas émission simultanée de neuf sons différents, mais émission successive (il s’agirait d’une "polyphonie" au sens grec) ? Nous sommes tentés de répondre par l’affirmative. D’ailleurs, on peut conclure la même idée du texte d’ARISTOTE : en effet, lorsque les pythagoriciens « prétendent que le son (φωνή) des astres qui se meuvent en cercle est ἐναρμόνιον, on peut comprendre qu’une seule voix se fait entendre qui parcourt les degrés (autant que d’astres) de l’échelle harmonique (la "polyphonie" au sens grec) préalablement déterminée à partir des vitesses des astres vitesses qui « ont [entre elles] les rapports [mathématiques] des consonances » (290b22). Il semble donc que, si, pour les pythagoriciens comme pour PLATON, l’harmonie astrale est concrète, il y ait une différence fondamentale qui concerne cette réalisation concrète de l’harmonie : pour les premiers, une seule voix parcourrait l’harmonie note par note, alors que, pour PLATON, huit voix chantent, en même temps, chacune sa note, l’harmonie. Cf. ce qui suit.

499Th.REINACH op.cit. p.69.

500H.WEIL et Th.REINACH, éd. de PLUTARQUE, De la musique, Paris 1900, p.111 n.285.

501« L’étendue de leur (c’est-à-dire les grecs) échelle générale était d’environ trois octaves », A.LAVIGNAC La Musi­que et les Musiciens, Delagrave, Paris 1920, p.445.

502« Platon avait des connaissances musicales étendues », dit E.MOUTSOPOULOS (op.cit. p.95) ; cf. PLUTARQUE De la musique (éd.cit.), XVII, 162 et XXII, 206sq:

503P.M.SCHUHL "Platon et la musique de son temps" in Études platoniciennes, P.U.F., Paris 1960, p.111. Sur ces innovations, cf. surtout E.MOUTSOPOULOS (op.cit. pp 81-96).

504Cf. par exemple supra p.25sq. et p.27sq., et infra p.68.

505Cf. infra p.65sqq.

506Les manuscrits A et D de Burnet.

507C’est le titre que donne, par exemple, la traduction Dacier et Grou révisée par A.Saisset (tome 7 des Œuvres complètes de Platon, publiées sous la direction d’É.Saisset, Charpentier, Paris 1869, p.49, la page-titre et la première de couverture donnant : La République ou l’État).

508Supra note 273.

509Rép.I, 330d7-e1.

510Cf. ib, 330e1sqq.

511Cf. supra p.9sqq.

512Rép.I, 327a1-b1 (cf. c5) : τό ἂστυ, la ville haute par opposition au Pirée où a eu lieu la fête de Bendis, et où aura lieu la course aux flambeaux (328a1sqq.).

513Cf.A.DIÈS op.cit. p.V.

514 C’est l’amorce du détour philosophique (dont nous avons parlé note 273) qui se produit au livre II, lorsque Glaucon et Adimante interpellent Socrate pour lui demander de ne plus considérer les conséquences de la justice, mais la justice « par elle-même » (357a-367e). En 366e, Adimante se plaint de ce que personne n’a examiné la justice et l’injustice lorsqu’elles sont « cachées aux dieux et aux hommes », c’est-à-dire sans les considérer comme sanction­nées par les dieux et les hommes. Ici, Adimante, tout comme Glaucon, ne fait que manifester (inconsciemment) qu’il a compris ce que Socrate voulait dire, lorsqu’à l’extrême fin du livre I (354a-c), il faisait remarquer à Thrasy­maque que le problème des avantages de la justice et de l’injustice est inconsistant s’il n’est pas précédé d’une solution à celui de la nature de la justice.

515R.BACCOU, introd. à sa trad. de la République, p.10. Cf. LYSIAS Contre Eratosthène, 4.

516Cf. Rép.I, 330b1sqq. et LYSIAS op.cit., 6.

517Cf. LYSIAS op.cit. 20.

518Id.

519 Rép.I, 331d8. Cet héritage lui vaudra de boire la ciguë cinq ans avant Socrate, cf. LYSIAS op.cit., 6-17. On sait que Socrate refusa de partiper à cette chasse aux riches métèques organisée par les Trentes (cf. Apol.32c-d, et A.DIÈS Platon, Flammarion, Paris 1930, p.65.).

520Rép.I, 331e1.

521Cf. par exemple l’une des définitions de la justice par Thrasymaque, ib. 338e6-339a4.

522Fragment d’un discours de THRASYMAQUE, in DENYS d’HALICARNASSE, Dém., 3.

523Rép.I, 338d10 sqq.

524Ib.II, 368e8-369a3. Cf. la note de J.ADAM (op.cit. p.91sq.).

525Ib. 369a5-8.

526Cf. ib. 368d1-7.

527Ib. 369c9, trad.L.Robin.

528Ib.IV, 433a8-9. « Avoir une activité multiple » entre négativement dans la définition de la σωφροσύνη dans le Charmide,161d11 (pour les rapports entre la sagesse du Charmide et la justice de la République, cf. É.CHAMBRY op.cit, t.II, p.26 n.1) ; dans le Gorgias (52bc4), le fait de « n’avoir pas une activité multiple » caractérise l’âme juste ; dans la République (outre le passage déjà cité, IV, 433d5, 443d3, et VIII, 551e6), la cité juste est celle dont les individus n’ont pas une activité multiple ; dans les Lois (XII, 952d1), celui qui est « un touche-à-tout dans le domaine de l’éducation et des lois » (trad.L.Robin) est condamné devant un tribunal. Ces sept occurrences ont donc la même signification, à peu près dans le même contexte d’idées. L’Apologie de Socrate (31c5) nous en présente une dont le contexte semble différent, sinon opposé : c’est Socrate qui va « prodiguant [ses] conseils çà et là à chacun en particulier, et [se] mêlant un peu de tout » (traduction M.Croiset), alors que politiquement, publiquement, il est inactif. En fait, ce faisant, Socrate remplit la mission que la divinité (cf. J.VAN CAMP et P.CANART op.cit., p.27 sq.) lui attribue, et qui le rend irremplaçable, c’est-à -dire unique (Apologie 30d-e). De même que les professionnels de la République (II, 374a-d) ont pour fonction de n’exercer que leur métier propre, de même Socrate a pour fonction d’être le taon, qui obsède chaque athénien, où qu’il soit, du matin jusqu’au soir (Apologie 30e1-31a1 ; cf. Rép.VI,496c et infra p.71). Restent trois occurrences (Théétète 184e4, Parménide 137b7 et Lois VII, 821a3 ) dont la signification est différente : il s’agit d’une activité difficile et laborieuse, sinon vaine.

529Rép.IV, 433a5-6, trad.É.Chambry.

530Ib.II, 370b sqq.

531Cf. par exemple ib. III,415a sq. (cf. infra notes 976 et 974).

532Supra p.46sqq.

533Cf. supra note 454. Ce tableau a été dressé par L.CAMPBELL et B.JOWETT Plato’s Republic, Clarendon Press, Oxford 1894, t.III, p.184.

534Cf. supra note 489.

535« Ces mêmes catégories qui sont dans l’État existent, identiques, à l’intérieur de l’âme de chaque individu, et en nombre égal. […] Ainsi donc, c’est bien désormais une nécessité : l’Etat était sage, de même aussi le simple particulier, ce par quoi le premier était sage étant aussi ce qui fait la sagesse du second » (Rép.IV, 441c5-10, trad.L.Robin ). Il y a stricte analogie ; cf.ib.II, 368e7, 369a ; IV, 431a sq. ; IX, 576e, 577c sqq.

536Cf. supra la section intitulée Problèmes musicaux, p.52sqq. L’analogie musicale est celle qui convient le mieux à la fois à l’âme, à la cité et au peson. En effet, ce qui distingue la structure de l’âme et de la cité et celle du peson, c’est le nombre des éléments : structure tripartite dans le premier cas, et structure octopartite dans le second. Mais nous avons vu que dans l’analogie musicale le nombre d’éléments importe peu : ce qui importe, c’est qu’il y ait plusieurs éléments, et surtout qu’ils forment une "harmonie". Cf. ce qui suit.

537Cf. supra p.37sq., où nous avions abouti à la même conclusion, par des voies un peu différentes.

538Gorgias 508 a3-4 ; cf. infra p.80sqq.

539Rép.VII, 529c7-d4.

540J.MOREAU Le sens du platonisme, Les Belles Lettres, Paris 1967, p.191.

541Pour le passage de Rép.VII, 529c7-d4 à la partie "cosmologique" du mythe d’Er, cf. P.M.SCHUHL "Autour du fuseau d’Ananké" in La fabulation… pp.82-83.

542Et non le contraire, comme on le pense souvent ; cf. supra note 496, et aussi L.ROBIN op.cit. p.196.

543Cf. Rép.I, 351d4-352a9.

544V.GOLDSCHMIDT Questions platoniciennes, p.80 (cf. sa note 8) ; cf.aussi supra note 513.

545Cf. supra note 278.

546Rép.V, 472c1, et cf. note préc.

547Infra p.87 et suivantes, nous reprendrons ce problème du politique, à propos des relations qu’entretient Platon avec la politique de son temps.

548Rép.X, 616c4 ; cf. infra p.61sqq.

549Ib. 617c1-2 ; cf. infra p.65sqq.

550Ib. 617d2-3 et 6 ; cf. infra p.70sqq.

551Cf. supra note 299.

552L.ROBIN op.cit., p.148sq.

553D’ailleurs L.ROBIN ne donne aucune suite à cette idée de l’aspect théâtral ("en quelque sorte") de l’exposé.

554L.GERNET (et A.BOULANGER) Le génie grec dans la religion, Albin Michel, Paris 1970 (nouv.éd.), p.273. Sur ces drames, cf. aussi P.M.SCHUHL Essai… p.198 sqq.; et É.SCHURÉ Les grands initiés, Perrin, Paris 1919, pp.421-439.

555Supra, fin de la note 348.

556Par exemple, le prophète n’est pas sans rapport avec le hiérophante d’Éleusis : les traducteurs français du mythe d’Er sont d’ailleurs à peu près unanimes à traduire προφήτης par "hiérophante" (E.Saisset, A.Barredans Platon, Louis-Michaud, Paris s.d. [mais légèrement postérieur à 1907], p.154, É.Chambry, R.Baccou et L.Robin ; cf. aussi R.SCHAERER Dieu l’homme et la vie d’après Platon, La Baconnière, Neuchâtel 1944, p.154) ; quant à L.SAINT-MICHEL (Deux voyages en au-delà, typographie M.Boin, Bourges 1949, p.31), il traduit par "initiateur". On pourrait donner d’autres exemples. Cf. infra p.70sqq.

557Cf. A.DIÈS "La transposition platonicienne" in Autour de Platon, Beauchesne, Paris 1926 ; rééd. aux Belles Lettres, Paris 1972, p.444 sqq.

558L.GERNET op.cit., p.269.

559Ib. p.270.

560Cf. ib.

561Cf. ib. p.272 et P.M.SCHUHL op.cit. p.199.

562Cette remarque vaut pour ce que le mythe aurait de pythagoricien ou d’orphique. Sans doute une telle étude est-elle possible, même fructueuse dans certains cas ; il reste que son résultat ne peut dépasser le niveau de la conjecture.

563De Tirso de Molina (1624) à Montherlant(1958), en passant par Dorimond, Villiers, Holière, Rosimon, Lorenzo da Ponte, Pouchkine, A.Dumas et M.Frisch, on compte quelques deux cents ouvrages traitant ce thème.
Cf. P.J.JOUVE Le Don Juan de Mozart, Plon, Paris 1968 (rééd.), p.187.

564De Plaute, qui s’inspira sûrement d’un auteur grec, à J.Giraudoux, on ne compte pas moins de trente-huit comédies intitulées Amphitryon.

565Rép.X, 616c4.

566Ib. 617b4.

567L.ROBIN op.cit. p.150n.1.

568Par exemple, Il.XVII, 514 ; XX, 435 ; Od. I, 267.

569J.BÉRARD, H.GOUBE et R.LANGUMIER, éd.de l’Odyssée, Hachette, Paris s.d., p.96 ; cf. infra à la note 651.

570A.CARTELIER, éd. de l’Iliade, Delagrave, Paris 1872, t.I, p.530.

571Ib., t.II, p.41. Cf. Rép.X, 620e6-621a1 : Nécessité est assise sur un trône. Cf. infra, p.64sq.

572PROCLUS, op.cit. p.157. Le diadoque identifie Nécessité avec la Thémis d’HÉSIODE (Théog., 901) qui, elle aussi, est mère des Moires.

573Cf. Rép.V, 45a4-5 et Phdr 248c2. Sur l’origine de ce nom, cf. P.M.SCHUHL op.cit. p.129. La divinité peut aussi s’appeler "Dikè "(cf. ib. p.239 et infra note 654).

574Cf. P.M.SCHUHL op.cit. p.232 et G.LEGRAND op.cit. p.49 (qui parle des pythagoriciens).

575Fgt cité par P.M.SCHUHL (loc.cit.) qui ne donne aucune référence précise.

576Cf. ib. p.233 et n.2.

577Ib. p.236 et n.5.

578Ib. p.236-237 (et n.1) où l’auteur donne, pour le proverbe, de nombreuses références, dont le texte de la Rép. cité supra note 556.

579Cette restriction est due à notre méconnaissance de l’orphisme, et surtout de sa chronologie.

580G.LEGRAND (op.cit. p.34 ) : « il est"douteux" qu ’il [=Thalès] ait nommé le "Monde" κόσμος et c’est dommageet plus encore la "Nécessité" Ἀνάγκη ».

581DIOGÈNE LAËRCE (I, 35 ) : ἰσχυρότατον ἀνάγκη · κρατεῖ γὰρ πάντων. On notera que les termes font partie du vocabulaire politique.

582AÉTIUS (I, 25, 2) : ἀνάγκην περικεῖσθαι τῷ κόσμῳ.

583Id. (I, 2) : χρόνον τήν σφαῖραν τοῦ περιέχοντος εἶναι.

584Cf. supra note 574.

585PARMÉNIDE fgt 8, 30-31 : κρατερὴ γὰρ ἀνάγκη / πείρατος ἐν δεσμοῖσιν ἒχει, τὸ μιν ἀμφὶς ἐέργει. J.BOLLACK intervertit les liens et la limite, traduisant ainsi : « dans la limite de ses liens » (Empédocle, I, p.157) ; mais au vers 26, on a : ἐν πείρασι δεσμῶν.

586Cf. id. fgt 8,14-15 où Justice maintient ce qui est et ne desserre pas les liens ; et fgt 1, 14 où Justice tient la clé à double sens.

587Cf.id. fgt 4, 2. Sur ce fragment difficile, cf. R.BACCOU Histoire de la science grecque, pp.11-13 ; J.BOLLACK "Sur deux fragments de Parménide (4 et 16)" in REG, 70, 1957, pp.56-71 ; et, en dernier lieu, J.MANSFELD Die Offenbarung des Parmenides und die menschliche Welt, Assen 1964, p.208sqq.

588Cf. id. fgt 8, 6 et 25.

589AÉTIUS (II, 7, 1). Cf. PARMÉNIDE fgt 8,30 (supra note 585) où l’on avait un terme politique (κρατερὴ) : ici l’image est maritime (cf.aussi infra n. 30 ; elle se trouve aussi chez ANAXIMANDRE dans ARISTOTE Physique, III, 4, 203b11) ; cf. supra note 379.

590Cf. PARMÉNIDE fgt 1, 14 (supra note 586). Mais ce terme est dû à une correction de Fülleborn retenue par DIELS : le texte donne κληροῦχον (Cf. P.M.SCHUHL op.cit. p.289 et n.2 ; et J.BOLLACK op.cit. I, p.171 n.7). Ainsi Nécessité serait « détentrice des lots » et aurait, chez PARMÉNIDE, un rôle eschatologique importantce qui, hélas !, n’apparait pas dans les fgts. Cf. infra p.65sqq.

591PARMÉNIDE fgt 8, 50-51.

592Ib. 51.Sur le problème difficile du rapport entre les deux parties du poème, nous suivons la tradition, par commodité.

593Id. fgt 10, 6-7 : μιν [=οὐρανόυ, vers 5] ἂγουσ(α) ἐπέδησεν Ἀνάγκη / πείρατ’ ἒχειν ἂστρων. J.BEAUFRET (Dialo­gue avec Heidegger, Éd.de Minuit, Paris 1973, t.I, p.80) traduit ainsi : « la nécessité qui le [=le ciel] dirige a fixé des limites à la course des astres ». P.M.SCHUHL (op.cit., p.286) : Nécessité « le [=le Ciel] contraint à maintenir les astres dans leurs limites ». Selon J.BOLLACK op.cit. I, p.171 n.5), l’Ἀνάγκη dont parle Aétius (loc.cit.) n’est pas celle de 8, 30 mais « provient d’un passage perdu de la "doxa" ».

594Id. fgt., 12, 3 : ἐν δε μέσωι τούτον δαῖμων ἣ πάντα κυβερναῖ ·. Pour le sens à donner à ce vers, cf. P.M.SCHUHL op.cit. p.287.

595Cf. supra note 589.

596Cf.PARMÉNIDE fgt 8, vers 26, 29, 38, etc.

597Cf. id. fgt 10,4 et 6 ; 16,1 ; etc.

598L’analogie est frappante si l’on met le fgt 8, 30-31 et le fgt 10,6-7 en parallèle : l’étant // le ciel ; toute puissante // le conduisant ; tient dans les liens de la limite // l’enchaîna à tenir les limites.

599PLUTARQUE De exilio, XVII, 607c ; cf. J.BOLLACK op.cit. II, p.49 et III, p.147.

600J.BOLLACK op.cit. I, p.154.

601Cf. ib., p.153 n.6, p.289, et III, p.151

602EMPÉDOCLE fgt 110 (Bollack): ἒστιν Ἀνάγκη, χρῆμα θεῶν, σφρήγισμα παλαιόν, / ἀίδιον πλατέεσσι κατεσφρη­γισμένον ὃρχοις.

603J.BOLLACK op.cit. III, p.152.

604Ib. p.161.

605Pour une étude approfondie de la Nécessité dans la physique grecque (surtout EMPÉDOCLE), nous renvoyons à l’inestimable travail de J.BOLLACK (op.cit. I, pp.125-162) où nous avons abondamment puisé.

606Trois fois, l’idée de nécessité apparaît sous forme d’adverbe ou de locution adverbiale. En 617e2-3 (ἐξ ἀνάγκης), il s’agit de l’irrévocabilité du choix, par les âmes, de leur nouvelle vie. En 618b3 (ἀναγκαίως), la nouvelle vie que choisissent les âmes est « nécessairement » différente de leur vie précédente. Cette nécessité nie l’impossibilité, pour une âme, de parcourir (dans un mouvement ascensionnel) les neuf degrés de vie du Phèdre (cf. supra p.33sqq. et note 285). Enfin, en 621a7 (ἀναγκαῖον), toutes les âmes (cf. supra note 131) doivent boire de l’eau du fleuve Amélès. La nécessité de boire, qui est aussi nécessité de l’oubli (Rép.X, 621a8-b1), correspond à la nécessité de retourner en un corps (c’est à cause du corps que l’âme oublie son propre monde). L’eau de l’Amélès est symbole « de retour à la vie, à l’existence dans le temps » (J.P.VERNANT "Aspects mythiques de la mémoire" in Mythe et pensée, Maspéro, Paris 1965, t.I, p.90).

607Rép.X, 616c4.

608Ib. 617b4.

609Op.cit., p.156.

610Cf. L.ROBIN O.C.de Platon, t.I, n.8 de la p.1235.

611Mais cf. infra p.73sqq.

612Cf. supra p.61.

613Sculpteur du milieu du VIème siècle. Cf. R.LULLIES et M.HIRMER, La sculpture grecque, 1959, p.48.

614Cf. supra note 378.

615La sculpture est un art du silence, cf. Gorg. 50c7-10 et Phdr 275d4-6. Dans notre mythe, Nécessité est un personnage muet.

616Cf. J.P.VERNANT "Figuration de l’invisible et catégorie psychologique du double : le colossos" in op.cit., t.II, pp.65-78. Il faudrait effectuer sur le symbolisme du "colossos" un renversement du type de celui dont nous parlions supra p.9sqq., pour l’intégrer à la pensée platonicienne.

617C’est « pour des raisons accidentelles » (ib. p.65) que le terme "colossos" finira par désigner « des effigies de dimensions gigantesque, "colossale" » ; cf., par exemple, ESCHYLE Agam. 416, et HÉRODOTE II,130 et 131.

618Sur les rapports entre Phidias et Platon, cf., par exemple, P.M.SCHUHL Platon et l’art de son temps, pp.XXI et XXIV. PLATON mentionne le sculpteur in Prot. 311c3, 6 et Ménon 91d4.

619Exécuté vers 433, peu avant la mort du sculpteur. Cf. J.BOARDMAN et alii L’art grec, Flammarion, Paris 1966, p.41.

620Rép.X, 620e6-621a1. Cf. aussi supra note 607.

621Ib. 617c1-2. Cf. infra note 640.

622Cf. le vocabulaire de la possession chez les préplatoniciens, supra notes 583, 585, 586, 590 et 593.

623Orphisme, cf. supra notes 573, 577 et 578. Adrastée est un nom de Némésis.

624Pythagoriciens, orphiques et EMPÉDOCLE, cfsupra notes 574, 582 à 584, 603 et 604

625HÉSIODE, cf. supra note 572.

626PARMÉNIDE, cf. supra note 586.

627Id., cf. supra note 589.

628Id., cf. supra note 590.

629Cf. P.M.SCHUHL Essai…, p.142.

630lb. p.143 ; Pour l’origine de cette notion, cf. ib. pp.64-65 et 144. Le mot δαίμων se rattache, lui aussi, à une racine où apparaît la notion de partage.

631Cf. HOMÈRE Od. VII, 197 où elles sont nommées κλῶθες, les "Fileuses". L’une d’elles s’appelle "Clôtho". Cf. supra note 327.

632Cf. supra note 326. Sur le riche symbolisme du tissage des Moires, cf. M.ÉLIADE op.cit., p.159sq.

633HÉSIODE Théog. 905-906, trad.P.Mazon.

634PARMÉNIDE fgt 8, 37-38 : τό γε Μοῖρ’ ἐπέδησεν / οὖλον ἀκίνητον τ’ ἒμεναι ·.

635P.M.SCHUHL op.cit., p.291 n.2.

636Supra note 593.

637Ib. note 585.

638Ib. au § Les noms de Nécessité.

639De sorte que chacune soit sur un point d’une circonférence dont le centre est le centre du fuseau, et que ce point soit l’un des angles d’un triangle équilatéral.

640Θυγατέρας : notons que ce terme signifie à la fois "filles" et "servantes" (cf. PHALARIS, in Epistolographie gr., éd.R.Hercher, 1873, p.360).

641Le terme στέμμα signifie aussi "trame de la vie", "sort", cf. EURIPIDE Oreste, 11-12 : « quand la déesse, ayant cardé son écheveau, fila le sort d’Atrée », trad. M.Delcourt-Curvers in Euripide, Théâtre complet, Gallimard, Paris 1962, p.1119.

642Cet ordre est le même que dans Lois XII, 960c7sq., mais différent de celui que donne la tradition poétique (cf. HÉSIODE Théog. 905 : Clôthô, Lachésis et Atropos). L’auteur du De mundo en donne un troisième (401b14sq.).

643Le texte est difficile à traduire littéralement : Lachésis tourne tantôt le cercle extérieur avec la main droite (et rem­place Clôthô pendant l’intervalle de temps où celle-ci ne fait rien), tantôt les cercles intérieurs avec la main gauche (et remplace Atropos...).

644Rép.X, 617b7-d1.

645Ib. 617d1-2.

646Cf. ib. 620d6-7 : « lors donc que toutes les âmes (cf. supra note 131) eurent choisi les vies, dans l’ordre qui leur avait été assigné par le sort, elles s’approchèrent encore plus (προσιέναι πρός… alors qu’en 617d2 : ἰέναι πρός… simplement) de Lachésis ».

647Ib. 618b7. C’est Socrate qui parle, en philosophe qui commente un mythe (cf. supra note 106, et p.71sq.)

648Ib. 617d4-5.

649Cf. supra note 590.

650Cf. Rép.X, 621c7-d1, qui fait partie du commentaire.

651Cf. supra note 569.

652Cf. infra p.70sqq.

653Rép.X, 617e6-618a1. Cf. 617e2 et 620e4 (λαχών), 619b7 (λαχόντα), 620b1 et c4 (λαχοῦσαν), d2 (λαχοῦσα), d7 (ἔλαχον) : λαγχάνω d’où dérive λάχεσις (cf. l’oracle de BACIS, vers 3, dans HÉRODOTE IX, 43 où λάχεσις est mis sur le même plan que μόρος). Cf. l’étymologie (fantaisiste) que propose l’auteur du De mundo (401b20).

654Cf. ib. 619d7 : τήν τοῦ κλήρου τύχην (dans le commentaire). Cf. P.M.SCHUHL op.cit, p.288 et n.5 : la déesse Tychè est sœur de la Dikè orphique (cf. supra note 573).

655Ib. 617d6.

656Cf. infra p.70sqq.

657Cf. supra note 615.

658Rép.X, 617c3. Cf. infra p.68 (sur l’Activité vocale des Moires).

659Ib. 617a7.

660Supra et à la note 644. Il est évident qu’avec sa main gauche, Atropos ne touche pas les sept planètes. En fait, elle touche, pour le faire tourner, le cercle le plus intérieur (la lune) et, par contact, les six autres sont entraînés dans le même sens. Ce qui explique la vitesse décroissante du huitième au deuxième cercle. Du point de vue du mouvement et de la vitesse, le premier cercle paraît isolé des sept autres. Nous avons déjà vu le même phénomène à propos des couleurs (supra page 47sqq.). D’autre part, il faut rapprocher le cercle que meut Clôthô du cercle du même dans le Timée et celui que meut Atropos du cercle de l’autre (Timée 36b-d).

661Rép.X, 617c7.

662Soph. 242e5-243a1 (trad.A.Diès).

663Cf. Rép.X, 617e6 et 8 : τὴν ἒξω περιφορὰν / τὰς ἐντός, alternance du singulier et du pluriel.

664EMPÉDOCLE fgt 124 (Bollack).

665Rép.X, 617d1.

666Cf. supra p.54sq.

667Th.REINACH op.cit., p.70. Cf. supra aux notes 499 et 500.

668Supra p.56 (La direction de l’impensable)

669Cf. supra fin de la note 660.

670Cf. supra à la note 642.

671Cf. L.ROBIN O.C.de Platon, t.I, n.1 de la page 1236 : il est naturel « que Lachésis enfin, qui chante le passé, doive toucher les cercles intérieurs comme le cercle extérieur, puisque le passé a été un futur prédestiné, avant de devenir un présent ».

672Supra note 634. En vertu de l’analogie dégagée supra note 598, on peut attribuer à la "moira" du fgt 8, 37 une fonction cosmique.

673Cf. supra à la note 635.

674Cf. Timée 37d5-7.

675Supra, p.67sq.

676Rép.X, 617d2-5 et e6-618a3.

677Ib. 617d6-e5.

678Supra à la note 673.

679PINDARE fgt32 (Puech) : μαντεύεο, Μοῖσα, προφατεύσω δ’ἐγώ. Cf. Ion 534e1-5 : « les poètes ne sont rien d’autre que des interprètes (ἑρμηνῆς) des dieux » et les rhapsodes sont des « interprètes d’interprètes » (ἑρμηνέων ἑρμηνῆς, 535a9) ; Rép.II, 366b1-2 : « les enfants de dieux, qui sont poètes et prophètes (προφῆται) des dieux » ; Phdr 262d3-4 : les cigales sont « les prophètesses (προφῆται) des Muses » ; dans Phdr 244sq., la prophétie et l’inspiration poétique sont deux formes de délire ; cf. note suivante.

680Cf. Phdr 244a8 : ἡ [...] ἐν Δελφοῖς προφῆτις (cf. HÉRODOTE VI, 66 ; EURIPIDE Ion, 42, 321, etc.). La divina­tion, première forme de délire est, pour le besoin du jeu de mots (244b6-c5), le délire prophétique (ἡ μανία προφητεύσασα, 244d7 = ἡ μαντική). Mais dans la prophétie en elle-même, la divination est à l’arrière-plan : le pro­phète est, avant tout, un porte-parole ; cf. ce qui suit.

681Que ce soit celle de la République ou celle des Lois ; cf. O.REVERDIN La religion de la cité platonicienne, Paris 1945, pp.89-106, et E.DES PALCES Pindare et Platon, Beauchesne, Paris 1949, p.137 sqq.

682I.LISSNER Civilisations mystérieuses, R.Laffont, Paris 1964, t.I, p.160.

683Ib. p.160sq.

684Ib. p.161.

685Timée 72b2-5, trad.J.Moreau.

686Malgré Charmide 173c6-7, cf. Cratyle 411b4, Rép.VII, 538a4, 7, 539b7 et Lois III, 694c6.

687HOMÈRE Il.I, 70.

688HÉSIODE Théog.38, qui reprend la même formule qu’Il.I, 70. Pour les Muses, cf. supra note 679.

689ARISTOTE Rhét.III, 17, 1418a23-26.

690Cf. HÉRODOTE I, 19, 47, 67, etc. et surtout Apol.21a- b. Une tradition (SUIDAS) veut que l’oracle se soit exprimé ainsi : « Sage est Sophocle, plus sage Euripide, mais, de tous les hommes, Socrate est le plus sage » ; la Pythie connaissait la sagesse (σοφία) de trois hommes vivants (l’oracle a eu lieu bien avant 406). DIOGÈNE LAËRCE donne une autre version (« Socrate est le plus sage de tous les hommes sans exception », II, 37). XÉNOPHON, une autre encore (Apol. § I4).

691Cf. HÉRODOTE I, 91, 174, etc. ; cf. supra note 686.

692Cf. supra p.67sq.

693Cf. ib. note 640.

694Cf. A.BONNARD op.cit., p.70.

695Supra pp.44sqq. et 47sqq.

696Supra pp.52sqq. puis 54sqq.

697O.REVERDIN op.cit., p.105sq.

698« Le dieu la possède, il parle par sa bouche », dit A.BONNARD op.cit., p.61.

699« Discours de la vierge Lachésis, fille (servante) de Nécessité », dit le prophète (Rép.X, 617d6). Cf. supra p.65.

700« Les exégètes étaient nommés à vie, ce qui témoigne de l’importance de leur charge » (I.LISSNER, op.cit. p.161).

701PROCLUS op.cit. p.227.

702Cf. supra à la note 106.

703Supra note 690.

704Apol. 23b8-9.

705lb. 21b3-4, trad.L.Robin.

706Ib. 21b7-23a5.

707Ib. 23a6-b4.

708Ib. 23c1.

709Ib. 22b4-5, 29d4, 30b8-c1, etc. Cf. supra note 700, et Phdn 60c8-61c1 et 85b4-7.

710Ib. 23b9-c1. « Si je tombais sur un bon acquéreur, tous mes biens, y compris ma maison, me rapporteraient très facilement cinq mines »,dit Socrate (XÉNOPHON Économique II, 3). Cinq mines, c’est ce que fait payer Événos de Paros pour donner une leçon (Apol. 20b8-9). « Tu vis de telle sorte », lui disait Antiphon (XÉNOPHON Mémorables I, 6, 2), « qu’il n’y a pas d’esclave qui voudrait vivre sous pareil régime ». Si Socrate, à la fin de sa vie, peut tout juste disposer d’une ruine (Apol. 38 b), il n’en a pas toujours été ainsi : entre 432 et 422, il participa, en qualité d’hoplite, à une campagne (siège de Potidée) et deux expéditions militaires (Délion et Amphipolis) ; or, pour être inscrit sur la liste des appelés, il fallait posséder un κλῆρος, un bien patrimonial ; d’autre part, l’hoplite s’équi­pait à ses frais (cf. P.VIDAL-NAQUET art.cit. p.164sq., et infra p.80sqq.), Socrate est donc entré au "service" d’Apollon après 422, malgré ce que l’on pourrait croire à première lecture d’Apol. 28e ; cf. ce qui suit.

711Ib. 23b4-6.

712Ib. 23b6-7 ; cf. 21b8-9, c1, 22a7-8, e1.

713Ib. 28e4sqq., 29d2-4, 30a5, e3, etc.

714Ib. 23b8-9, 31c5-7.

715Cf. L.GERNET op.cit., p149sqq.

716Cf. supra note 528.

717Apol. 30a7-8, 31c4-5.

718Ib. 30e2, 6.

719Ib. 31a8 ; cf. 30d7-e1.

720Ib. 31a3.

721Ib. 30e1sq., 31a2. Si Socrate meurt, il faudra qu’Apollon envoie quelqu’un d’autre pour le remplacer ce qui n’est pas sûr (31a6-7).

722L.GERNET op.cit., p.149.

723Apol. 30 a7-b2, trad.M.Croiset.

724Ib. 30a3-4 : mais Socrate est plus proche de ses concitoyens, parce qu’ils sont liés par leur γενός commun.

725Phdn 67c5 sqq. et passim.

726Apol. 20e8. Il est un autre aspect par lequel Socrate peut être assimilé aux exégètes officiels : la colonisation (cf. L.GERNET op.cit., p.151). Lorsqu’à la fin du livre IX de la République, Socrate parle du "paradigme" de la cité idéale, ne dit-il pas que celui qui saura le voir pourra, en le voyant, « poser les fondements de sa propre existence »(592b2-3) ? Ce que nous traduisons par "poser les fondements", c’est le verbe κατοικίζειν : littéralement "coloniser, fonder une cité" (cf. V.GOLDSCHMIDT op.cit., p.83 n.27).

727Les personnages religieux de Delphes ont souvent été mis sur la scène tragique ; que l’on pense aux Euménides d’ESCHYLE ou à l’Ion d’EURIPIDE.

728Au sens moderne du terme. Cf. O.NAVARRE Le théâtre grec, Payot, Paris 1925, première partie.

729Cf. ib., p.11sqq.

730Comme dans les Mystères ; cf. supra p.60sq.

731Rép.X, 616c4sqq.

732Ib. 617d1-2.

733Ib. 617d2 sqq.

734Ib. 620d6-e1.

735Ib. 620e1-4.

736Ib. 620e4-6

737Ib. 620e6-621a1.

738Ib. 620e6-621a1 ; cf. supra aux notes 571, 613 et 619.

739Ib. 616c4, 617d4. Cf. supra p.61sqq.

740Cf. supra p.64sqq. Ce rapprochement ne paraît pas trop forcé, lorsque l’on considère que, par exemple, le temple d’Apollon à Delphes fut détruit en 373 par un tremblement de terre (Selon ZELLER et WALAMOWITZ, la Répu­blique aurait été composée entre 374 et 372 ; selon SHOREY, on peut aller jusqu’à 370 ; de toute manière, on sait que Platon retouchait ses dialogues).

741Rép.X, 617c1.

742Cf. ESCHYLE Euménides (tirade de la Pythie) et EURIPIDE Ion (v.6, etc.) et Iphigénie en Tauride (v.1221, 1282, etc.).

743Le verbe est sous-entendu dans le texte (620d8), mais Lachésis-κληροῦχος n’est-elle pas ce qui attribue à chacun sa part ? Cf. supra note653.

744Δαίμων ; 617e1 et 620e4 (μοῖρα : le δαίμων est la μοῖρα en tant qu’elle est inscrite dans la vie terrestre). Cf. supra note630.

745Rép.X, 620e1-4.

746Rép.X, 620e4-6.

747Il y a un jeu de mots entre ἀμετάστροφα (620e5) et ἀμεταστρεπτί (620e6).

748Rép.X, 620e6-621a1.

749Ib. 617d5.

750A.WARTELLE "La pensée théologique d’Eschyle" in Bulletin de l’Association G.Budé, 4 (1971), "Lettres d’huma­nité", XXX, p.536. Cf. aussi O. NAVARRE op.cit., p.92sq.

751POLLUX IV, 130 (éd.E.Bethe, Leipzig 1900 ; rééd.Stuttgart 1967, p.240)

752A.WARTELLE loc.cit.

753A.DIÈS op.cit., p.50. La tribune élevée d’où parle le prophète correspond, dans l’optique de la mise en scène, au "théologéïon", tout en renvoyant directement, comme nous le verrons infra p.87sqq., à la tribune aux harangues qui se trouve sur la Pnyx.

754Rép.X, 617d6.

755Cf. supra note699.

756Rép.IX, 592b3. Cf. supra 36sq.

757Cf. supra p.59sq. (La justice, harmonisation des différences et La cosmologie politique du mythe d’Er).

758Cf. infra note 942.

759Infra p.76-85.

760Infra p.85sqq.

761Infra p.87-94.

762Cf. supra p.44sqq.

763Rép.X, 616c3 : οἷον τὰ ὑποζώματα τῶν τριήρων.

764Cf. la longue note de J.ADAM.

765Cf. ARISTOTE Histoire des animaux I, 17, 496b10-14 ; III, 1, 509 b25 ; 4, 514a30 ; etc.

766Cf. ib. IV, 7, 532b17 ; 9, 535b8 ; De la respiration 9, 475a2, 8, 20. Le terme διάζωμα est synonyme de celui d’ὑπόζωμα.

767J.TAILLARDAT " La trière athénienne et la guerre sur mer aux Vème et IVème siècles" in Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, p.186.

768Ce qui ne nous dit pas grand chose. L’anglais peut calquer le grec en traduisant par "undergirding" ; de même l’allemand "Untergürtel".

769Outre le passage qui nous occupe, Lois XII, 945c4.

770Les références sont données dans le Liddell-Scott et J.ROUGÉ La marine dans l’antiquité, P.U.F., Paris 1975, p.51.

771XXVII, 17 ; mais les gréements sont-ils les mêmes au IVème siècle avant J.C. et au 1er après J.C. ? J.ROUGÉ (loc. cit.) ne se pose même pas la question. J.TAILLARDAT (art.cit.) et P.GILLE ("Les navires à rames de l’antiquité" in Journal des Savants, janv.-mars 1965, pp.36-72) ne mentionnent pas ce texte.

772Étym.XIX, 4, 4.

773J.VANDIER Manuel d’archéologie égyptienne, t.V, 2.

774Cf. infra p.77sq.

775L.ROBIN, O.C. de Platon, t.I, note de la p.1234. L’auteur semble avoir oscillé entre le câble axial et le câble ceinturant ; cf. Platon, p.149 et aussi P.M.SCHUHL "Le joug du Bien...", p.161 et n.5.

776J.ROUGÉ op.cit., p.53.

777J.TAILLARDAT loc.cit.

778P.GILLE art.cit. p.53.

779J.ROUGÉ loc.cit.

780Thèse de P.GILLE (loc.cit.)

781Thèse de J.TAILLARDAT (loc.cit.)

782J.ROUGÉ loc.cit.

783Cf. le schéma de P.GILLE art.cit. p.65.

784Cf. supra p.20.

785Rép.X, 616b7sq.

786Rien ne nous permet de décider.

787Phil. 41e9-42a1, trad.A.Diès.

788Soph.235e6-236a2 ; cf. Rép.X, 602c7-8 sqq.

789J.TAILLARDAT art.cit., p.184.

790Ibid. p.185.

791Ibid.

792Ibid. p.187

793P.GILLE art.cit. p.64.

794J.TAILLARDAT art.cit., p.186.

795Cf. supra note 776.

796Cf. ibid. notes 777 et 778.

797P.GILLE art.cit. p.53.

798Le passage des Actes cité supra (cf. note 771) peut se comprendre de deux façons : l’équipage établit ou bien resserre les câbles (ὑποζωννύντες τό πλοῖον).

799J.ROUGÉ loc.cit., qui renvoie à J.S.MORRISSON et R.T.WILLIAMS Greeck oared Ships, Cambridge, 1968, pp.294-298. Il est possible que PLATON fasse allusion à ces appareils dans Lois XII, 945c4 ; mais la traduction de ce passage est difficile.

800Le texte dit οὐρανός.

801Cf. Lois XII, 945d5-e2, au sujet de l’administration politique.

802Cf. Rép.III, 389c-d ; VI, 488a-489d ; VIII, 551c ; Pol. 296e-297a, 302a ; Lois VI, 758a ; VII, 803a-b (cf. M. VANHOUTTE La philosophie politique de Platon dans les Lois, Louvain 1954, p.206) ; XII, 945c (cf. supra aux notes 769 et 799) ; etc. Pour ce qui concerne notre mythe, nous avons vu la raison politique de la représentation de l’univers qu’il nous livre. D’autre part, la métaphore n’a cessé d’être employée du Vème siècle avant J.C. à nos jours, de telle sorte que l’on oublie très souvent que le terme "gouvernement", par exemple, est d’origine maritime.

803J.ROUGÉ op.cit., p.100.

804Cf. supra à la note 778, et ARISTOTE Constitution d’Athènes, XLVI, 1.

805Au cinquième siècle, il n’y avait qu’un triérarque par vaisseau ; à l’époque de la guerre du Péloponnèse, on autorise deux citoyens à s’associer pour supporter en commun les frais de la triérarchie (cf. ARISTOTE op.cit. LXI, 1). C’est la "syntriérarchie" qui fonctionne à côté de la triérarchie jusqu’en 357/6. Pour la solde des marins, le triérar­que ne faisait qu’avancer l’argent nécessaire.

806Cf. ARISTOTE loc.cit. et LII, 2. « À la fin de son service, s’il avait bien géré sa charge, le triérarque recevait une récompense honorifique, la couronne triérarchique » (J.ROUGÉ op.cit. p.101).

807J.ROUGÉ op.cit. p.99.

808Ibid. p.98.

809ἐλαύνειν, actionner l’aviron, par opposition à θεῖν, se servir des voiles (cf. J.TAILLARDAT art.cit., p.198). Cf. supra note 384.

810[XÉNOPHON] Rép.Ath.I, 2. Cf. infra alinéa suivant. Cf. aussi la remarque d’ARISTOTE op.cit. XXVII, 1 : Périclès « poussa vivement l’État à augmenter sa puissance maritime, ce qui donna à la foule l’audace de tirer à elle de plus en plus toute la vie politique » (trad. G.Mathieu, Les Belles Lettres, Paris 1922 ). On ne peut être plus clair : la démocratisation est une conséquence directe de l’accroissement de la puissance maritime.

811Cf. la mise au point d’É.CHAMBRY, dans Xénophon O.C. 2, GF, Paris 1967, p.468sqq.

812Sur la paix, 48. Ce discours date de 356-355, époque marquée, selon ISOCRATE, par le déclin de l’esprit civique des athéniens (cf. C.MOSSÉ "Le rôle politique des armées dans le monde grec à l’époque classique" in Probl. de la guerre…, p.223 sqq.) : alors qu’Athènes emploie des mercenaires comme hoplitesce qui constitue une manifes­tation de ce déclin –, seule la marine est le lieu du civisme.

813Cf. supra note 809.

814Cf. supra p.77.

815J.TAILLARDAT art.cit., p.200.

816J.ROUGÉ op.cit. p.97.

817HÉRODOTE VI, 8.

818Cf. DIODORE DE SICILE, XIV, 41,3 ; 42, 2 ; 44, 7. Cf. J.TAILLARDAT art.cit., p.205.

819Cf. J.TAILLARDAT loc.cit.

820Cf. J.ROUGÉ op.cit., p.101 ; et supra note 810.

821Cf. J.P.VERNANT, « La guerre des cités », dans Mythe et société …, p.44.

822Cf. P.VIDAL-NAQUET art.cit., p.171sq.

823Cf. ISOCRATE Panégyrique, 20-21. Cf. J.TAILLARDAT loc.cit. et aussi supra note 84.

824Supra p.12 : La guerre.

825Pour l’homogénéité du politique et du guerrier, cf. supra p.12sq.

826Cf. supra p.75sqq.

827HOMÈRE Il. VII, 175 sqq. (qui semble être la description la plus complète de la pratique du tirage au sort) ; III, 316 sqq. ; XXIII, 352, 862 ; XXIV, 400 ; Od. IX, 33I ; X, 206 ; XIV, 209 ; etc.

828Cf. EURIPIDE Iphig.Aul., 1198 ; Troyennes, 186 ; etc.

829J.DE ROMILLY Problèmes de la démocratie grecque, Hermann, Paris 1975, p.9. Cf. infra note 951.

830P.M.SCHUHL Essai…, p.64. Cf.aussi L.GERNET "Les Lois et le droit positif", p.CXI ; et infra p.86sq.

831HOMÈRE Od. XIV, 64.

832Cf. id. Il. XV,498 ; HÉSIODE Trav. 37, 341. Pour une histoire du terme "klèros", cf. L.GERNET "Choses visibles et choses invisibles" in Revue Philosophique, t.146, janv.-mars 1956, pp.79-86 ; repris in Anthropologie de la Grèce antique, Maspero, Paris 1968, p.409sq. ; cf.aussi J.P.VERNANT "Hestia-Hermès" repris in Mythe et pensée, t.I, p.154.

833M.DÉTIENNE "La phalange : problèmes et controverses" in Probl. de la guerre…, p.126. Cf. supra note 825.

834Au IVème siècle, ce registre était couramment appelé κοινὸν γραμματεῖον ; cf. C.PÉLÉKIDIS Histoire de l’éphébie attique, Paris 1962, p.87. C’est à ce registre qu’ARISTOTE fait allusion op.cit. XLII, 1 et 2.

835P.VIDAL-NAQUET art.cit., p.165 ; cf. sa note 17 où il cite Eschine Contre Timarque, 103.

836Cf. le sens économique d’οὐσία : « l’οὐσία est quelque chose de substantiel et, normalement, d’individualisé : dans un emploi persistant, c’est un patrimoine » ( L.GERNET art.cit., p.409), c’est-à-dire un klèros.

837P.VIDAL-NAQUET loc.cit. ; et cf. supra note 710. Selon W.HELBIG ("Les Ἰππεῖς athéniens", Mémoires de l’Institut national de France, XXXVII, 1904, p.206), les trois catégories d’hoplites correspondent à trois niveaux de fortune. Par ailleurs, nous sommes très mal renseignés sur ce que pouvait coûter un équipement d’hoplite ; cf. M.DÉTIENNE art.cit., p.130 n.56.

838Rép.X, 617e6-618a1, b7, 619e1-2, 620b1, 5-6, c3-4 (où l’on a κατὰ τύχην), d2, et surtout d7 (ὤσπερ ἔλαχον ἐν τάξει) ;cf. supra la note 653 et la suivante.

839M.DÉTIENNE art.cit., p.122.

840Si l’on prend τάξις dans son sens le plus large, les latins le traduiront par "ordo" ; cf. SALLUSTE Bel.Jug. XLV, 2 ; L, 4 ; LI, 3 ; etc.

841Criton 51b7-8 ; cf. aussi Apol. 29a1, Ménex. 246b4, Banq. 179a3, Rép.V, 468a5, Phdr 254c8, etc.

842Στρατιά, Phdr 246e6.

843Ib. 247a3. É.Chambry et, à sa suite, M.Meunier parlent, dans leurs traductions du passage, de cohorte traduction qui a l’avantage de prolonger la métaphore militaire, mais l’inconvénient d’utiliser un terme latin. Pour avoir une idée de l’abondance des métaphores militaires dans les textes platoniciens, cf. la liste (non exhaustive) qu’en dresse P.LOUIS, Les métaphores de Platon, Rennes 1945, pp.215-217.

844C’est ainsi que traduit L.Robin ; A.Croiset traduit par : « l’ordre et la proportion (ou harmonie) » ; É.Chambry par : « la régularité (ou règle) et l’ordre », et inversement (?). Sur κόσμος, comme mot du vocabulaire militaire, cf. J.KERCHENSTEINER Kosmos. Quellenkritische Untersuchungen zu den Vorsokratikern, München 1962, p.5 sq.

845Gorg. 503e4-504d4.

846Ib. 506e1-2 : τάξει [...] τεταγμένον καὶ κεκοσμημένον.

847Ib. 508a3-4.

848Ib. 503e6-504a1, trad.L.Robin.

849Cf. supra note 526.

850XÉNOPHON Économique VIII, 7, trad.P.Chambry.

851Ib., 8.

852Cf. supra p.59sq. (La cosmologie politique du mythe d’Er).

853ISOCRATE Panathénaïque, 116. Cf. M.DÉTIENNE loc.cit. : « entre le sens technique de position occupée par l’hoplite et les valeurs éthiques de maîtrise de soi, de discipline et d’ordre, il n’y a pas d’hiatus ». D’autre part, pour le rapport entre σωφροσύνη et δικαιοσύνη, cf. supra note 528.

854Cf. supra p.12sqq.

855C.MOSSÉ art.cit., p.223.

856Avec la phalange, note M.DÉTIENNE (art.cit., p.122), « le combat n’est plus l’œuvre d’un guerrier, pourvu de qualités exceptionnelles ; la bataille est livrée par un groupe d’hommes, soumis à la même discipline ».

857M.DÉTIENNE art.cit., p.123.

858Ibid. ; cf. Rép.III, 410b sqq.

859C.MOSSÉ loc.cit.

860Pour ce divorce entre le citoyen et le soldat, cf. ib. pp.223-229.

861ISOCRATE (Sur la paix, 44-46 ; Panégyrique, 168) et DÉMOSTHÈNE (Prem.Phil., 19), par exemple, s’en lamen­tent.

862Rép.II, 374b1-3.

863Ib. 374d1sqq.

864Supra p.58 (La justice, harmonisation des différences).

865Rép.II, 373e9-374a2.

866Une telle intégration a pour autre nom "harmonisation". Cf. supra p.58sqq. et p.75sq.

867Pour connaître les "aspects juridiques de la victoire et du traitement des vaincus" dans la Grèce des V-IVèmes siècles, cf. l’article, sous ce titre, de P.DUCREY, in Probl. de la guerre…, pp.231-243.

868Rép.V, 469b8-c3, trad.R.Baccou.

869À moins que le dieu ne le veuille : ib. 469e7-470a3.

870Cf. supra aux notes 36 à 38.

871Rép.V, 470c9.

872Cf. Timée 82a6-7 : στάσεις καὶ νόσους où la copule peut très bien se comprendre comme un "ou" ou un "c’est-à-dire". Cf. Pol. 307d6-8 où la « différence des caractères » peut, si elle n’est plus seulement un jeu (παιδία) mais concerne « les choses graves » (trad.A.Diès de τὰ μέγιστα), rendre la cité malade de « la plus détestable de toutes les maladies dont puissent souffrir les États » (trad.L. Robin) ; cette maladie s’appelle, plus loin, "stasis" (308b4). En fait, cette différence ne devient maladie que si elle n’est pas harmonisée ; cf. infra p.93.

873R.BACCOU Hippocrate, Seghers, Paris 1970, p.82. Cf. supra note 496.

874Le terme ταξίς apparaît, par exemple, en Timée 83a2. Cet ordre est celui de la constitution du corps humain ; cf. le tableau de L.BRISSON op.cit., p.424.

875L.BRISSON op.cit., p.424sq.

876Timée 82c6-e2 et la suite.

877Cf. supra note 846.

878Rép.V, 469b10-c1, 470b6-7, c1-2.

879Ib. 462d6-7 ; cf. VIII, 556e3-9.

880Mais force est de constater qu’elle est malade, cf. ib. 471b7-8.

881Supra p.59sqq.

882Cf. THUCYDIDE 111, 82, 1.

883ὥσπερ ξυγγενεῖς. Cf. supra note 878.

884Lysistrata, 1129sq. et 1133sq., trad.H.vanDaele.

885Iphig.Aul., 1421 : « laisse-moi, si je puis, sauver la Grèce » ; 1447 : « comme une femme heureuse et qui sauve la Grèce » ; 1457 : « c’est malgré lui qu’il [Agamémnon] m’a sacrifiée, et pour la Grèce » ; 1502-3 : « Elle [Mycènes] a nourri en moi un astre pour la Grèce. J’accepte de mourir… » (trad.M.Delcourt-Curvers).

886Prononcé, semble-t-il, en 392, à Olympie.

887PHILOSTRATE Vie des sophistes, 1, 9 (=82AI, D.K.), trad. J.P.Dumont Les sophistes, Fragments et témoignages, P.U.F., Paris 1969, p.56.

888Fgt 5b (trad.J.P.Dumont, p.78).

889Prononcé en 388, à Olympie.

890Olympique, 4 : διὰ στάσιν καὶ τὴν πρός ἀλλήλους φιλονικίαν.

891Ib. : τὸν πρὸς ἀλλήλους πόλεμον.

892« Sa publication dut coïncider avec la "panégyrie" d’Olympie en 380 », L.BODIN Extraits des orateurs attiques, Hachette, Paris 1910, p.107.

893Panégyrique, 6.

894Ib., 173. « La guerre fait tellement partie de la vie grecque que l’on n’imagine point de paix qui ne soit fondée sur la guerre ! », J.DE ROMILLY "Guerre et paix entre cités" in Probl. de la guerre…, p.217.

895Cité supra note 890.

896Cité supra note 891.

897Rép.V, 470e5-7.

898Ib. 471b3-5. Cf. supra note 874.

899Rép.V, 470e9-10.

900Cf. supra notes 886, 889 et 892.

901Rép.X, 614e3.

902Supra p.83.

903Cf. L.GERNET Le génie grec dans la religion, p.140sqq. et 262sqq.

904ISOCRATE op.cit., 43.

905L.GERNET op.cit., p.140.

906Ib., p.143.

907Ib., p.146.

908Ib., p.147.

909Ib., p.264 ; et cf. p.149sq..

910Supra aux notes 829 et 830.

911Supra aux notes 831 et 832.

912Cf. M.DÉTIENNE, art.cit., p.126.

913Cf. supra p.75.

914Cf. supra p.78sqq.

915Cf. ib. p.82sqq.

916« Pour la vie religieuse, la cité n’est pas un cadre parmi d’autres : elle est le cadre par excellence. » L.GERNET op.cit., p.251. F.VANNIER (Le IVème siècle grec, A.Colin, Paris 1967, 2ème éd., p.72) précise que, « dans les cités et particulièrement à Athènes, la religion s’était "politisée", se limitant presque au patriotisme, la religion bénéficiait du prestige de la cité tout en étant à son service ». Cf. aussi supra 60.

917Cf. infra p.87sqq.

918Cf. ib. p.91sqq.

919Cf. ib. p.90sq.

920A.VALENSIN Regards, t.I, Aubier, Paris 1955, p.142. L’auteur insiste sur cette fâcheuse idée tout au long de son chapitre sur "les idées politiques et sociales de Platon" (pp.141-162).

921I.KANT Critique de la raison pure, trad. A.Tremesaygnes et B.Pacaud, P.U.F., Paris 1944, p.264 (=A 3l6). Certes le philosophe platonicien doit être oisif, mais cette oisiveté n’est pas inoccupation absolue : elle est l’inoccupation professionnelle qui permet l’activité philosophique et politique – c’est la σχολή, inactivité artisanale, condition obligée selon PLATON d’une activité politique authentique.

922Revue de Métaphysique et de Morale, t.XX, 1913 ; repris in La pensée hellénique…, pp.177-230.

923Ib., p.178sq. ; cf. aussi p.224.

924P.M.SCHUHL La fabulation platonicienne, pp.10-I2 ; "Platon et l’activité politique de l’académie" REG, t.LIX-LX, 1946-1947, repris in L’imagination et le merveilleux, pp.179-187 ; "Une école des sciences politiques", 1958, repris in Études platoniciennes, pp.71-74. Par ailleurs, nous tenons de J.Rodier que son aïeul G.RODIER laissa, à l’état d’ébauche très avancée, un ouvrage sur les relations que Platon entretint avec la vie politique de son temps – ouvrage conçu par conséquent avant que L.ROBIN ne fasse paraître son article.

925Cf. L.BODIN op.cit., p.404.

926Rép.X, 617e5.

927Ib. 617e4 ; cf. e1.

928Supra p.37sqq.

929Cf. Oracles Chaldaïques, fgt 24 (des Places).

930Cf. Lois IV,715e7 sqq.

931Cf. supra p.75sq.

932Rép.X, 618b7 ; ainsi traduit L. Robin.

933Tel est l’un des deux facteurs déterminant le choix. L’autre est constitué par l’ensemble de la vie antérieure de l’âme (cf. Rép.X, 619c6sqq.).

934Rép.X, 618c6-8 et c8-d5.

935Cf. SALOUSTIOS Des dieux et du monde, VI, 4 : « l’harmonie fait la beauté ».

936Cf. supra note 926.

937Rép.II, 381b4.

938Ib. 380c8-9.

939JAMBLIQUE Les mystères d’Égypte, IV, 10, p.104 (éd. des Places p.154) ; cf. PROCLUS op.cit., p.122 sq.

940JAMBLIQUE op.cit., éd. des Places p.155. Cf. le fgt 29 de BACCHYLIDE, et le fgt 102 d’HÉRACLITE.

941Infra pp.90-94.

942Cf. supra p.75sqq., 80sqq. et 85sqq., et infra p.90.

943Comme dans ARISTOPHANE Les oiseaux, 1032, 1053, etc. ; cf. le Greek-English Lexicon de Liddell et Scott, s.v. κάδος.

944Cf. supra note 838.

945L.Robin est le seul traducteur français à rendre correctement l’adverbe συντόνως. A.Saisset (trad. Dacier-Grou revue) parle de conséquence dans la conduite ; É.Chambry, d’effort pour bien vivre ; R.Baccou, de persévérance ardente ; et L.Saint-Michel, de vie disciplinée. Mais il est clair que l’idée de tension est essentielle et que ce passage doit être rapproché de 616c2-4 ; cf. supra à la note 799.

946É.Chambry traduit par un tour positif ("bonne") ; A.Barre voit là une litote et donne "très bonne".

947Rép.X, 619b3-6, trad.L.Robin.

948Voyez le contraste entre l’âme qui choisit en premier (619b7sqq.) et celle d’Ulysse (620c3sqq.).

949Le prophète le dit clairement : ξὺν νῷ (619b3-4). Cf. 619c6sqq.

950Cf. supra p.65sqq. et notes 650 et 651

951J.DE ROMILLY Problèmes de la démocratie grecque, p.10. Cf. supra p.80sq.

952Cf. ib.

953L.GERNET Anthropologie…, p.409.

954J.P.VERNANT "La formation de la pensée positive dans la Grèce archaïque" in Mythe et pensée…, t.II, p.119.

955L.GERNET "Les Lois et le droit positif", p.CLIV.

956J.P.VERNANT "Hestia-Hermès", p.145. Cf. les pages 144-148 qui exposent clairement l’institution de l’épiclérat.

957Le fils de l’épiclère est appelé θυγατριδοῦς : "fils de la fille".

958L.GERNET Anthropologie…, p.410.

959Rép.V, 457d2-3, trad.É.Chambry.

960Ces expressions sont de M.CROISET (op.cit., p.195).

961Cf. Rép.V, 461d2-e1.

962T.A.SINCLAIR Histoire de la pensée politique grecque, Payot, Paris 1953, p.171.

963Cf. supra note 190.

964Supra p.89sq.

965Pour une correspondance économique, cf. Rép.I, 330b1-7.

966Cf. supra note 591.

967Cf. ib. note 959.

968Cf. ib. p.57sq. et note 542.

969P.M.SCHUHL "Desmos" in Mélanges Diès, 1956, p.234 ; repris in Études platoniciennes, p.83.

970Rép.VII, 520a4 ; X, 616c2 ; Pol. 310A4 ; et Lois XI, 921c4. En Pol. 309e10, le manuscrit T de Burnet donne ξύνδεσμον au lieu de δεσμόν ; reste une dernière occurrence dans Épinomis 984c2, dialogue dont l’authenticité est, on le sait, discutée (cf. A.J.FESTUGIÈRE "La suite des idées dans l’Épinomis" Revue des Etudes Grecques, XLIV, 1931, pp.153-I66 repris in Les trois "protreptiques " de Platon, Vrin, Paris 1973, pp.101-123.)

971Cf. supra notes 353 et 354, ainsi que les pages 77sq.

972Συναρμόττων. Cf. supra p.46sqq. et l’ensemble de notre partie intitulée L’harmonie.

973Cf. supra p.58sq. et note 531.

974Rép.VII, 519e1-520a4, trad. L.Robin.

975Cf. supra p.46sqq. et note 387.

976Cf. ib. p.57sqq. et note 60 et suivantes.

977Rép.VII, 520a4 : αὐτός (= la loi).

978Lois XI, 921c4-5.

979Si l’employeur rompt le contrat, il devra payer à l’artisan qui subit le préjudice, le double du prix convenu ; et si, dans le délai d’un an, la somme n’a pas été versée, la dette s’accroît d’un sixième par mois (une obole par drachme)ce qui contredit « le principe des Lois (V, 742c4-6) qui n’admet pas la légitimité de l’intérêt » (L.GERNET "Les Lois et le droit positif", p.CLXXXIV), cette contradiction étant formulée (Lois XI, 921c7) « en termes exprès » (L.GERNET loc.cit.).

980Rép.VIII, 555e3-556a2.

981A.DIÈS "introduction" aux Lois (Budé), p.XXXVII ; cf. Lois IV, 716c4-5.

982T.A.SINCLAIR op.cit., p.203.

983lb. p.217. Ce qui constitue « la différence la plus significative » entre la cité de la République et celle des Lois (cf. ib.) qui est conçue elle-même « comme une religion » (ib. p.206) ; « la République nous donne une cité "séculière" dans le ciel, les Lois une cité "religieuse" sur la terre » (ib. p.219 ). Cf. aussi V.GOLDSCHMIDT La religion de Platon, p.113sq.

984T.A.SINCLAIR op.cit., p.201 ; c’est nous qui soulignons.

985Cf J.VAN CAMP et P.CANART op.cit. p.232.

986Pol. 310a4-5, trad.A.Diès.

987Cf.L.ROBIN Platon, p.192.

988Du Protagoras aux Lois, comme le montre L.ROBIN (ib. pp.192-200).

989Cf. supra p.57sqq. et p.83sqq.

990Ib. p.59sq.

991Pol. 307d6-8 ; cf. supra note 872.

992Il faut noter qu’ici joue l’analogie entre l’âme et la cité.

993Rép.X, 616c2-4. Cf. supra notes 353 et 354.

994Cf. supra note 538.

995J.MOREAU Le sens du platonisme, p.191.

996Cf. Rép.X, 617a4-b3.

997Cf. supra note974.

998Cf. A.DIÈS "introduction" au Politique, p.LXII : le rôle du politique est « ici, comme dans la République,[] non seulement de toujours considérer l’ensemble, mais de créer et d’entretenir l’ensemble ».

999Cf. supra note 986.

1000Cf. ib. note 978 et suivantes.

1001 J.M.BENOIST Tyrannie du logos, Éditions de Minuit, Paris 1975, p.24. Cf. supra p.6 de notre introduction.

1002 En fait, A.Saisset revoit la traduction de Jean-Nicolas Grou (XVIIIème siècle) revue par André Dacier (début XIXème siècle)...


L’itinéraire eschatologique d’Er le pamphylien dans la République de Platon, p.112